Dans une décision sans précédent aux Îles-de-la-Madeleine, la juge Myriam Bédard du Tribunal administratif du travail (TAT) a donné gain de cause à la CSN contre la Résidence Plaisance des Îles. En condamnant l’employeur sur toute la ligne, cette décision est venue donner raison à une salariée qui avait porté plainte pour un congédiement illégal lié à ses activités syndicales, et à la CSN pour une plainte d’ingérence de l’employeur dans le processus de syndicalisation.
Historique du conflit
Cette affaire qui remonte au mois de mars 2021 est une véritable histoire d’horreur pour la personne salariée impliquée dans ce recours. En effet, peu avant l’ouverture de la nouvelle Résidence Plaisance des Îles, plusieurs employé-es ont des questionnements sérieux à propos de leurs conditions de travail. C’est à ce moment qu’une toute nouvelle préposée aux bénéficiaires, Mme Ghislaine Chevarie, contacte les bureaux de la CSN à Cap-aux-Meules pour s’informer des avantages de la syndicalisation et des démarches à suivre pour mettre sur pied un syndicat. La direction générale, avec à sa tête Mme Chantal Hubert, soupçonne qu‘un processus de syndicalisation est en cours et convoque la salariée pour lui imposer une suspension sans solde afin de faire une enquête. Malgré l’intervention des représentants de la CSN auprès de l’employeur, la salariée est convoquée de nouveau et deux semaines plus tard on lui annonce qu’elle est congédiée.
Pour Etienne David-Bellemare, conseiller syndical de la CSN aux Îles-de-la-Madeleine, c’est du jamais vu. « Ces gestes de représailles étaient révoltants et inédits dans ma vie de conseiller syndical. Même les plus anciens militants syndicaux des Îles ne se souvenaient pas d’avoir assisté à un pareil événement. À la suite de la suspension sans solde de la salariée, j’ai contacté la direction générale pour lui expliquer la démarche qui était en cours et tenter de régler le dossier à l’amiable. Celle-ci n’a rien voulu entendre. À ce moment-là, je me suis dit que le combat allait durer longtemps », d’affirmer M. David-Bellemare. Quelques jours plus tard, la salariée est congédiée et la CSN dépose une plainte auprès du TAT. Lors de l’audience, voyant l’étendue de l’ingérence des cadres de la résidence dans le processus de syndicalisation, la CSN dépose alors une deuxième plainte pour ingérence dans la formation d’un syndicat.
Un jugement qui ne laisse planer aucun doute
Les audiences tenues au mois d’août et d’octobre 2021 devant Madame la Juge Bédard vont permettre à la salariée et à la CSN de faire valoir leurs droits. Le verdict est sans équivoque en faveur de ces derniers. Le TAT ordonne à la Résidence Plaisance des Îles de réintégrer la salariée dans son emploi et de compenser les sommes perdues depuis son congédiement. À ce sujet, les passages suivants de la décision sont frappants :
[104] Pourtant, aucun des motifs décrits ne justifie un congédiement. Des événements survenus alors qu’elle n’était pas au service de la Résidence, mais du CISSS et qui sont relatifs aux soins prodigués à sa mère lui sont reprochés. Au surplus, ces fautes alléguées ne sont pas prouvées. Certaines de ces prétendues fautes qu’on retient contre madame Chevarie auraient même été commises par son conjoint. Son négativisme pas plus que ses revendications dites incessantes ne sont non plus démontrés. Certes, provenant d’un autre secteur que celui de la santé, elle a posé des questions et s’est inquiétée des conditions pour elle inconnues, mais cette attitude, comme décrite, ne peut constituer un motif de congédiement.
[111] En l’espèce, les motifs prouvés sont nettement en lien avec les démarches syndicales de madame Chevarie. L’enquête même que la Résidence allègue avoir menée origine des circonstances entourant la remise des avis reprochant les activités syndicales.
[113] Les motifs de congédiement invoqués ne convainquent pas d’une cause réelle et sérieuse qui n’est pas un prétexte pour se départir des services d’une salariée qui a exercé un droit. Il est par ailleurs indéniable que la démarche syndicale à laquelle madame Chevarie a participé a contribué à la décision de mettre fin à son emploi.
Suivant la décision du tribunal, la CSN convoque l’employeur afin d’organiser la réintégration de la salariée à la Résidence Plaisance des Îles. Présent lors de cette rencontre, M. David-Bellemare constate que « malheureusement, la rencontre ne donne pas les résultats escomptés puisque la direction générale n’affiche aucun remords quant à ces agissements et ne daigne pas s’excuser pour le tort causé à la salariée. Devant cette situation, Mme Chevarie a donc décidé de ne pas réintégrer son ancien emploi ».
Un employeur d’une autre époque
Dans une autre partie de sa décision, le TAT ordonne à l’employeur de cesser d’entraver la formation d’un syndicat et exige d’afficher cette ordonnance dans les espaces réservés aux employé-es afin qu’ils prennent connaissance des agissements illégaux de l’employeur. En effet, la CSN avait démontré que les représentants de l’employeur ont tenté d’effrayer ou de décourager les salarié-es face à la possibilité de se syndiquer. Comme le rappelle les passages suivants, les dirigeants de la Résidence Plaisance des Îles sont non seulement condamnés pour l’ingérence, mais également rabroués par la juge pour leurs arguments fallacieux concernant la perturbation des soins aux usagers :
[120] Aussi, en interdisant toute sollicitation sur les lieux du travail, sans nuance, la Résidence, comme Wal-Mart dans l’affaire précitée « cherche apparemment, à entraver les activités de l’association […] »
[121] Finalement, la prétention voulant que les actions et discussions syndicales aient perturbé les soins offerts n’est soutenue d’aucune façon par la preuve.
[122] La plainte en vertu de l’article 12 du Code du travail est fondée.
Selon Jules Richard, vice-président et représentant des Îles au Conseil central de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine–CSN, « C’est inconcevable qu’une employée subisse un traitement semblable dans un milieu de travail. En 2021, on fêtait les 100 ans de la CSN et on est en droit de s’attendre à ce que les employeurs aient changé d’attitude face à la syndicalisation. On parle ici d’un CHSLD et d’une résidence pour personnes âgées, pas d’une multinationale. Il faut saluer le courage de Mme Chevarie qui a su se tenir debout devant l’injustice et défendre sa cause jusqu’au bout. Pour tous les syndicats de la CSN, elle est un exemple de combativité et de courage ».