Toujours vivant

L’édition 2017 du concours Chapeau les filles! Excelle Science est lancée! Organisé par le ministère de l’Éducation du Québec, ce concours vise à reconnaître la volonté et le travail des femmes inscrites à un programme de formation professionnelle ou technique conduisant vers un métier traditionnellement masculin. Il encourage les jeunes femmes à poursuivre leurs études dans des disciplines offrant généralement de bonnes conditions salariales et contribue à créer des modèles de réussite féminins dans des secteurs d’emploi majoritairement masculins.

En 2014, la CSN avait dénoncé la suspension en douce du concours par le gouvernement libéral, pour cause d’austérité. L’annonce avait été si mal accueillie au sein de l’opinion publique, que le gouvernement avait dû rétablir à tout le moins le volet national du concours Chapeau les filles! Excelle science.

Pour connaître les modalités du concours, cliquez ici.

Toutes et tous unis pour mettre fin aux paradis fiscaux 

Les milieux de la santé, de l’éducation, de l’environnement, de la recherche, des affaires, de la coopération internationale, des arts et de la culture, de la lutte à la pauvreté, de la jeunesse, de la défense des droits de la personne et des organisations syndicales, dont la CSN, s’unissent pour demander à nos gouvernements de mettre fin à l’ère des paradis fiscaux. L’impôt est un pilier essentiel de notre société démocratique, mais nous devons changer les règles de ce système fiscal afin de nous assurer que tous paient leur juste part. Pour y arriver, une forte mobilisation de la société civile est nécessaire.

Il y a quelques jours, Oxfam annonçait que 8 hommes possèdent autant que la moitié de la population mondiale. Alors que les inégalités économiques n’ont jamais été aussi grandes, un réseau international de paradis fiscaux permet aux multinationales et aux détenteurs de grandes fortunes de contourner l’impôt et prive ainsi les Trésors publics du financement qui leur est dû.

Au Canada et au Québec, c’est à coup de milliards de dollars que les gouvernements pourraient réinvestir dans les services publics s’ils luttaient efficacement contre les paradis fiscaux. En privant les gouvernements de ressources importantes, les paradis fiscaux nuisent directement à la capacité des États à financer les infrastructures publiques et les services sociaux dont la population a besoin et dont les entreprises profitent elles-mêmes.

C’est pour rallier l’ensemble des acteurs touchés par les paradis fiscaux qu’Oxfam-Québec, en collaboration avec le collectif Échec aux paradis fiscaux, a lancé en avril 2016 la campagne À la recherche des milliards perdus. Dans le cadre de cette campagne, des hommes, des femmes et des jeunes ainsi que des organisations et autres acteurs de la société demandent aux gouvernements fédéral et provincial d’agir pour mettre fin à l’ère des paradis fiscaux.

Les résultats concrets de cette campagne sont :

  1. Une déclaration signée par plus de 100 organisations et personnalités publiques.
  2. Une pétition signée par plus de 24 000 citoyennes et citoyens.
  3. Une consultation citoyenne, menée auprès de 2500 personnes, qui porte sur le coût social des paradis fiscaux.

 Précisément, nous demandons aux gouvernements québécois et canadien de :

  • Faire de la lutte aux paradis fiscaux une priorité absolue et s’attaquer fermement au recours qu’en ont les grandes entreprises et les particuliers fortunés.
  • User de tous les pouvoirs que leur confère leur champ de compétences afin de renforcer les lois et règlements pour que ces pratiques inadmissibles deviennent illégales.
  • Jouer un rôle de chef de file dans le cadre des discussions et des initiatives internationales visant à endiguer le phénomène du recours aux paradis fiscaux.

Nous invitons les organisations, les entreprises et les personnalités qui n’ont pas signé, mais souhaiteraient le faire à communiquer avec nous jusqu’au vendredi 10 février 2017.

« À quelques semaines du dépôt des budgets, plus de cent organisations et personnalités publiques joignent leur voix pour demander à nos gouvernements de rendre illégaux des mécanismes qui sont aujourd’hui parfaitement légaux et qui facilitent le recours aux paradis fiscaux. Les solutions sont à leur portée. Il s’agit d’en faire une priorité ».
Denise Byrnes, directrice générale d’Oxfam-Québec.

Un an après les attentats, les mouvements sociaux sont toujours mobilisés

Un reportage d’Amélie Nguyen, coordonnatrice du Centre international de solidarité ouvrière (CISO)

Loin de s’être affaiblis suite au coup d’État de 2015 ou à l’attentat du 12 janvier 2016, les groupes de la société civile au Burkina Faso demeurent organisés, forts et mobilisés pour favoriser une amélioration des conditions de vie de la population et faire face à la « vie chère » ensemble. Nous les avons rencontrés en décembre 2016 pour faire le point sur l’action du CISO, dont est membre la CSN.

En 2014, malgré les coupures de financement imposées par le gouvernement Harper, le CISO et ses membres décident de financer un projet d’appui aux travailleuses et travailleurs de l’économie informelle au Burkina Faso, d’une durée de deux ans. C’est alors que se consolide une collaboration entre deux intersyndicales : le CISO au Québec et au Burkina, l’Unité d’action syndicale (U.A.S.), deux syndicats autonomes d’enseignants  ainsi que la coordination locale de la Marche mondiale des femmes. Les préoccupations de genre sont au coeur du projet, puisque 74% des travailleuses et travailleurs de l’économie informelle sont des femmes.

L’austérité en cause

L’économie informelle, en marge du contrôle de l’État, est caractérisée par des salaires extrêmement bas, des heures de travail illimitées, une absence de protection sociale (pension de vieillesse, assurance santé, congés de maternité, etc.), de piètres conditions de santé et sécurité au travail et une grande insécurité financière et psychologique. Ce sont souvent les secteurs les plus pauvres et les plus vulnérables de la société qui y sont confinés et dans le cas du Burkina Faso, des travailleuses et travailleurs souvent peu alphabétisé.e.s.

Cette « économie de la débrouille », fruit de la résilience de populations marginalisées par le capitalisme mondialisé, occupe plus de 80% de la main d’œuvre burkinabé. L’austérité si chère à nos gouvernants y est pour quelque chose ; en effet, les mesures d’ajustement structurel imposées dans les années 80 et 90 par les grandes institutions financières internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international) à l’État burkinabé ont gonflé les rangs de l’économie informelle, repoussant des travailleuses et travailleurs qualifié.e.s du secteur public vers la précarité et l’informalité  et affaiblissant du même coup le mouvement syndical burkinabé. Le produit intérieur brut par habitant.e (en dollars constants de 2005) était de 630 $US au Burkina Faso en 2015, l’un des plus faibles au monde ; à titre de comparaison, il était de 50 000$US au Canada.

Un partenariat novateur

En décembre dernier, des membres de l’équipe du CISO se sont rendus au Burkina Faso à l’occasion du démarrage d’un nouveau projet : « Coordination Intersectorielle Burkinabè pour L’Emploi – CIBLE travail décent ».  Ce projet, qui s’échelonnera sur les 3 prochaines années, sera mis en œuvre en collaboration avec une coalition d’organisations de la société civile burkinabé avec l’appui financier du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec. Il constitue en quelque sorte une seconde phase du « Projet d’appui au secteur de l’économie informelle » entrepris par le CISO en 2014  et vise à faire valoir et reconnaître les revendications des travailleuses et travailleurs de l’économie informelle dans le cadre du dialogue entre le gouvernement et les syndicats, par un appui à leur organisation, ainsi que par des formations sur le travail décent et des formations techniques liées à leur métier.

Si des formations sur les droits de la personne, la santé et la sécurité, la gestion de petites entreprises seront notamment données, l’intérêt du projet est qu’il rassemble les travailleuses et travailleurs afin qu’ils s’organisent ensemble et soient mieux à même de mieux faire valoir leurs revendications au sein des organisations syndicales et leurs droits auprès du gouvernement du Burkina Faso. Le groupe-cible est composé de femmes à  plus de 60% et le projet vise également les jeunes de l’économie informelle.

Le projet a été lancé officiellement à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso par les partenaires du projet et le CISO, en présence des médias et avec la participation active d’un nombre important de travailleuses et travailleurs de l’économie informelle.

Le partenariat novateur entre la Marche mondiale des femmes et les syndicats semble particulièrement porteur. Les croisements entre ces cultures organisationnelles et ces mandats différents engendrent un apprentissage mutuel qui teintera l’action des groupes de femmes et des syndicats au terme des 3 années de collaboration. Nous souhaitons ainsi que la lutte pour l’égalité des genres soit portée par les femmes de l’économie informelle, qui seront des actrices-clé du projet en tant qu’éducatrices et que mobilisatrices dans leur milieu.

Reste à dire que l’Unité d’action syndicale de Bobo-Dioulasso a chaleureusement remercié les syndicats québécois pour leur appui solidaire suite au coup d’État, qu’une mobilisation populaire exemplaire et rapide est parvenue à tuer dans l’œuf, limitant les violences fratricides.

Souhaitons que cette solidarité entre les travailleuses et travailleurs du Québec et du Burkina Faso se poursuive et s’accroisse dans les années à venir, à travers la richesse des échanges et des apprentissages réciproques ; d’un côté ou l’autre de la planète, nos luttes ont beaucoup plus en commun qu’on pourrait le croire.

Un réseau sous pression

Soumis à un sous-financement chronique depuis plus de 25 ans, le réseau de la santé et des services sociaux québécois n’aura jamais été aussi ébranlé et affaibli qu’avec les mesures d’austérité qui continuent de s’abattre sur le Québec depuis l’élection des libéraux de Philippe Couillard, en 2014. Ces compressions sans précédent ont eu des effets désastreux sur la population et sur les 257 000 travailleuses et travailleurs qui œuvrent dans le réseau. Pour faire avaler cette pilule austère, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a imposé une énième réforme qui force entre autres la fusion des établissements en mégacentres, dont treize centres intégrés et neuf centres intégrés universitaires. Du jamais vu. Pourtant, c’est le même gouvernement qui s’est récemment vanté de dégager des surplus budgétaires de 3,7 milliards de dollars en 2015-2016, et de 1,7 milliard pour les six premiers mois de l’année 2016. Et ce n’est pas l’injection récente de quelque 300 millions de dollars dans le réseau qui va changer la donne. Des miettes en comparaison du 1,5 milliard versé au Fonds des générations l’an dernier et des 2 milliards de plus que souhaite y verser le gouvernement l’an prochain.

Un aveuglement total

Cette refonte sans précédent des services devait d’abord remettre le patient au centre des activités du réseau, aux dires des libéraux du premier ministre Philippe Couillard, lui-même auteur d’une autre réorganisation inachevée décrétée en 2004. C’est tout le contraire qui s’est produit, générant pour la population une détérioration des services ainsi que de la détresse et des cris du cœur. Malgré les rapports dévastateurs du Protecteur du citoyen et du Commissaire à la santé et au bien-être démontrant la détérioration de l’accès et de la qualité des services aux usagers, le gouvernement a toujours maintenu que les services directs n’ont jamais été affectés.

En outre, des centaines d’organismes com­mu­nautaires et d’associations de défense des droits ont tour à tour fustigé cette réforme. D’autres comme Médecins québécois pour un régime public ou encore le Réseau de recherche en interventions en sciences infirmières du Québec de l’Université de Montréal ont joint leur voix à ce concert de protestations, critiquant par ailleurs le renforcement du pouvoir médical sur notre système public de santé et de services sociaux. Des constats d’ailleurs partagés par les trois partis de l’opposition.

Pour leur part, les syndicats affiliés à la CSN n’ont cessé de manifester et continuent de décrier les effets néfastes des fusions et des mesures d’austérité ou « d’optimisation », ainsi que la dégradation marquée des conditions de travail et les pertes d’emplois. Même les gestionnaires n’ont pas échappé aux pressions et aux diktats du ministre Barrette, devenu seul décideur d’un réseau ultra centralisé. Jamais dans l’histoire du réseau n’aura-t-on vu une telle unanimité contre une réforme.

Les échecs de la réforme Barrette

Ce qui était prévu, annoncé, est donc en train de se produire. L’avocat Jean-Pierre Ménard, spécialisé en droit médical, connaît bien les ratés du système de santé québécois. Il a consacré sa vie à la défense des droits des patientes et des patients. Aujourd’hui, il affirme sans détour que la réforme Barrette est un échec.

Selon lui, c’est une réforme coup-de-poing, opaque et improvisée : « Cette réforme-là s’est faite contre la volonté de la population. Pour les patients, c’est une réforme qui a de lourdes conséquences, pour les travailleurs et les cadres, c’est un désastre. Cette réforme de structure s’est accompagnée de compressions financières majeures, on parle d’à peu près un milliard sur trois ans. Des compressions qui sont d’une telle ampleur que c’est l’offre de service qui en a été diminuée, dans un réseau qui avait déjà de grandes difficultés d’accessibilité. On a aggravé le problème d’accessibilité au lieu de le régler. Partout où c’était possible, on a supprimé des postes, on a délocalisé des services qui sont devenus moins accessibles à la population. »

Tout le monde cherche encore quel modèle a pu inspirer le ministre Gaétan Barrette. Pour l’instant, la vérité c’est que personne ne sait où le navire va s’échouer. Ni la population, ni les intervenants du réseau, ni les gestionnaires, qui sont tellement submergés par la mise en place des nouvelles structures, qu’ils n’ont plus le temps de s’occuper de la santé des gens.

Pourtant, à entendre le ministre Barrette, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si ça n’avance pas assez vite, selon lui, c’est parce que le réseau « résiste au changement ». Ce que conteste le chercheur Damien Contandriopoulos, de l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal : « On entend le ministre faire toutes sortes d’affirmations assez divertissantes sur le fait que la loi 10 livre déjà la marchandise, qu’on voit déjà une amélioration. On ne sait pas sur quoi il se base pour faire ces affirmations-là, mais moi, toutes mes données, toutes les communications que j’ai avec les professionnel-les qui donnent des soins, ou mes conversations avec les administrateurs, m’indiquent que le réseau est actuellement en très grande difficulté. Difficulté en raison des fortes compressions budgétaires et d’une désorganisation administrative profonde. La situation est vraiment difficile et ça se voit lorsqu’on observe la hausse importante de l’absentéisme et des congés de maladie. On voit aussi à grande échelle une diminution de l’accessibilité aux services de santé. Ce qu’on constate clairement, c’est que la performance du système de santé s’est détériorée depuis l’arrivée du ministre Barrette. »

Les personnes les plus vulnérables, les plus touchées

Contrairement au discours du ministre, Jean-Pierre Ménard soutient que les compressions ne se sont pas limitées à la bureaucratie : « Les coupes ont touché de plein fouet tout le réseau de la santé, en particulier les services directs aux citoyens. On a resserré les critères d’admissibilité pour les soins à domicile, on a réduit l’accès aux CHSLD, aux soins pour les personnes handicapées, aux soins de santé mentale, et aux centres jeunesse. Les grands perdants de la réforme, ce sont les personnes les plus vulnérables, on a diminué les services dont ils ont besoin, sachant qu’elles ne se défendent pas. La baisse de la qualité des soins en CHSLD en témoigne : patates en poudre, pogos décongelés, repas-minutes, un bain par semaine, ça, c’est vraiment une dégradation des soins et ce sont des décisions budgétaires qui ont provoqué cela. »

Photo : Michel Giroux

Paul Brunet, du Conseil pour la protection des malades, estime que les patients ont perdu, encore une fois : « On a fait des économies sur notre dos. Au conseil, on reçoit des appels, on traite les plaintes et on constate que ça ne va pas mieux, ça sent plus mauvais, les gens ne sont pas mieux lavés, ils ne mangent pas mieux. Il y a encore 4000 personnes qui attendent un lit en soins de longue durée. Les soins à domicile, on n’en parle même pas. Le ministre a avoué candidement ne pas connaître la norme non écrite des “couches pleines”, je ne sais pas où il a vécu les dernières années, mais il n’est certainement pas allé dans les centres d’hébergement, parce que ça fait quelques années qu’elle existe cette norme du “remplis ta couche avant que je la change”. »

Paul Brunet ajoute que le personnel soignant est largement insuffisant. « En soins de longue durée, on en est toujours à un ratio d’un préposé-e pour onze, douze ou vingt résidents, selon les moments de la journée ou de la nuit. Aujourd’hui, il y a un chef d’unité pour deux ou trois étages, alors qu’autrefois, c’était un par étage. En plus, ils sont souvent débordés avec la paperasse et ils n’ont pas le temps d’aider ou de superviser les préposé-es. »

Moins de soins à domicile, plus d’hospitalisation

Les mauvais choix du ministre Barrette coûtent maintenant plus cher à l’État, affirme le chercheur Damien Contandriopoulos : « On a demandé à des professionnel-les de réévaluer à la baisse le nombre d’heures-soins pour les personnes qui avaient des soins à domicile et, de manière systématique, la consigne était de diminuer l’offre de service. Il y a aujourd’hui moins d’heures-soins qui sont offertes. Quand on voit des personnes qui recevaient autrefois des soins à domicile chez eux et qui sont maintenant rendues sur un lit d’hôpital, en attendant des mois une place en CHSLD, on est en train de dépenser des sommes colossales pour une diminution de la qualité de vie de ces gens-là. C’est un exemple de dysfonctionnement à grande échelle. On a mis en place des mesures incohérentes. On essaie de diminuer les coûts, mais d’une façon tellement bête, que ça provoque finalement une augmentation des coûts. On s’est trompé et on ne livre pas la marchandise. »

Jean-Pierre Ménard constate une privatisation accélérée des services, notamment dans l’hébergement des personnes âgées : « Depuis cinq ans, le nombre de places en CHSLD a baissé de 8 %, comme si la population du Québec avait arrêté de vieillir. Il n’y a plus de places dans le public, alors on pousse très fort les gens vers les centres d’hébergement privés pour aîné-es. Il y avait 15 000 places en 2006 en résidences privées, en 2011, on en comptait 120 000. »

Damien Contandriopoulos estime que le processus de privatisation s’accélère : « Depuis l’arrivée du Dr Barrette, la privatisation des soins ne fait plus aucun doute. Il juge que le secteur privé est plus performant et il essaie, par exemple, de transférer des soins spécialisés depuis le milieu hospitalier vers des cliniques privées. Le démantèlement des CLSC en est un autre exemple, le ministre prend une partie de l’effectif des CLSC et la transfère vers les groupes de médecine de famille, qui opèrent surtout en cliniques privées. Les travailleurs sociaux des CLSC, qui s’occupaient des clientèles les plus vulnérables, des personnes aux prises avec des troubles mentaux graves, pratiquent maintenant dans des cliniques privées. Mais on sait que toutes ces clientèles ne sont pas prises en charge par ces cliniques. On abandonne littéralement ceux qui sont aux prises avec les difficultés les plus graves, on les laisse sans services. »

Pour les professionnel-les du réseau des CLSC, il est clair que le ministre Barrette est en train de recréer dans les cliniques privées, les GMF, le modèle des CLSC, tel qu’il était à ses débuts, nous dit Myra Therrien, vice-présidente du Syndicat des professionnels de la santé et des services sociaux, région de Québec : « Le transfert des ressources des CLSC vers des GMF, c’est une privatisation. Depuis deux ou trois ans, les cliniques privées ont vu une manne d’intervenants sociaux payés par le public venir travailler chez eux avec les transferts de personnel des CLSC vers ces grosses cliniques privées, les GMF. Psychologues, travailleurs sociaux et plusieurs infirmières et nutritionnistes y ont été déplacés. »

Le gros lot aux médecins

Le système de santé québécois est de plus en plus orienté vers les médecins et les hôpitaux, qui accaparent le plus gros des ressources et toute l’attention du ministre. Pour le docteur Barrette, souligne l’avocat Jean-Pierre Ménard : « Seuls les médecins et les hôpitaux comptent. Le reste, pour lui, c’est secondaire. À preuve, ajoute-t-il, depuis cinq ans, la rémunération des médecins a augmenté d’environ 9 % par année, pour un accroissement d’environ 45 % à 49 %, justifié par le rattrapage avec la moyenne canadienne. Les médecins accaparent maintenant plus de 21 % du budget de la santé. On a dû sabrer les autres programmes pour réussir à les payer. Leur hausse de rémunération, sans précédent dans l’histoire du Québec, leur a été accordée au détriment des personnes les plus vulnérables, qui se voient imposer des sacrifices incroyables. Voilà pourquoi il faut revoir de fond en comble l’organisation de la pratique médicale, incluant la rémunération et le statut des médecins. »

Une étude réalisée par Guillaume Hébert, chercheur à l’IRIS (Institut de recherche socio-économique), publiée en juin dernier, démontre que de 2004 à 2014, la rémunération des médecins québécois a connu une hausse spectaculaire. Le salaire moyen des médecins spécialistes est passé de 237 000 dollars à près de 400 000 dollars, une hausse de 66 % en dix ans. Les médecins omnipraticiens ont vu leur rémunération augmenter de 54 % pendant la même période, passant de 158 000 dollars à 243 000 dollars. Cette hausse de rémunération s’est poursuivie en 2014-2015, puisque les médecins spécialistes ont vu leur salaire moyen augmenter à 450 000 dollars. C’est sans compter que la rémunération varie considérablement d’un spécialiste à l’autre. Les médecins spécialisés en santé communautaire touchent en moyenne 250 421 $ par année, alors que les ophtalmologues encaissent 645 965 $. La rémunération des 35 radiologues les mieux payés atteint, elle, 1,4 million de dollars. À la fin de 2015, 174 médecins ont facturé plus d’un million de dollars à la RAMQ.

La ronde des augmentations n’est pas terminée, loin de là, explique le chercheur Guillaume Hébert, puisque la rémunération globale des médecins qui dépasse 7,3 milliards de dollars par année devrait atteindre 9 milliards en 2020-2021. Une hausse phénoménale, qui dépasse de beaucoup le budget de plusieurs ministères du gouvernement du Québec.

La solution : abolir la rémunération à l’acte

Comme le démontre une nouvelle étude rendue publique le 18 janvier dernier, étude réalisée par trois chercheurs de l’IRIS, Jennie-Laure Sully, Minh Nguyen et Guillaume Hébert, les médecins gagnent beaucoup trop par rapport à l’ensemble des Québécoises et Québécois. En 2014, leurs gains atteignaient 7,6 fois le salaire moyen des travailleuses et travailleurs du Québec. Si on réduisait le salaire des médecins à quatre fois le revenu moyen des Québécois, on économiserait annuellement 4,3 milliards de dollars.

Cette étude, menée en collaboration avec la CSN, suggère plusieurs pistes de solution pour mieux baliser la rémunération des médecins québécois et améliorer l’accès aux soins. Le document propose notamment d’abolir la rémunération à l’acte : « Une pratique qui comporte de nombreux effets pervers, parce qu’elle encourage des soins parfois non pertinents et des actes non nécessaires. La rémunération à l’acte décourage l’interdisciplinarité, nuit au travail d’équipe et va à l’encontre d’une médecine axée sur les soins préventifs. Les chercheurs proposent que les médecins québécois qui évoluent dans le secteur public deviennent des salarié-es en bonne et due forme des établissements de santé et de services sociaux.

L’IRIS propose également d’abolir le statut de travailleur autonome des médecins. Un statut qui leur permet de s’incorporer en créant une société par actions (SPA). Cette incorporation fait en sorte que les médecins, déjà grassement rémunérés, paient beaucoup moins d’impôts. Les auteurs de l’étude se demandent : « Comment justifier la possibilité offerte aux médecins de contourner les règles fiscales alors que leur revenu est déjà très élevé? » Ils ajoutent que « ces manœuvres d’évitement fiscal sont particulièrement troublantes lorsque l’on considère l’écart entre le revenu moyen des médecins et celui des travailleuses et des travailleurs québécois. » Ils suggèrent que « les médecins devraient être considérés comme des employé-es, à l’instar de toutes les autres personnes qui œuvrent dans le système sociosanitaire ».

Les chercheurs proposent enfin « d’accroître le nombre d’actes que peuvent effectuer des professionnel-les de la santé autres que les médecins. Qu’il s’agisse des infirmières praticiennes spécialisées, des infirmières, des infirmières auxiliaires, des hygiénistes dentaires, des inhalothérapeutes, des technologues médicaux, des physiothérapeutes, des travailleurs sociaux, des sages-femmes ou d’autres professionnelles de la santé, plusieurs actes médicaux pourraient être pratiqués par des non-médecins afin d’améliorer l’accès aux soins et de réduire les coûts de la santé. »

Plus de médecins, moins de services

L’étude de l’IRIS révèle aussi que malgré la hausse des effectifs médicaux, le nombre d’actes médicaux pratiqués au Québec n’a cessé de diminuer. De l’aveu du ministre Barrette, les médecins québécois travailleraient huit heures de moins par semaine que les médecins ontariens. De plus, la moyenne de patients traités par médecin serait de 1549 en Ontario contre 1081 au Québec.

Un rapport publié en 2014 par le ministère de la Santé des Services sociaux, et cité par le chercheur de l’IRIS, Guillaume Hébert, confirme également que le nombre de jours travaillés par les médecins québécois a grandement diminué, surtout depuis les fortes augmentations salariales consenties aux médecins à partir de 2007. Guillaume Hébert rappelle que c’est sous la pression du premier ministre Jean Charest, de son ministre de la Santé Philippe Couillard et du radiologue Gaétan Barrette, aujourd’hui ministre de la Santé et des Services sociaux, que tout s’est joué, avec le résultat que l’on connaît aujourd’hui.

Le trio Charest-Couillard-Barrette affirmait que l’amélioration du salaire des médecins devait améliorer l’accès aux soins de santé et corriger l’injustice faite aux médecins québécois, qui se plaignaient d’être sous-payés par rapport à leurs homologues ontariens.

L’histoire a montré clairement que toutes les hausses salariales faramineuses consenties depuis aux médecins québécois ont plutôt eu pour effet de diminuer le nombre d’actes médicaux et le nombre de jours travaillés. Les médecins travaillent maintenant moins et sont payés plus cher qu’auparavant. Comme l’explique l’avocat Jean-Pierre Ménard : « Les hausses salariales consenties aux médecins québécois ont été accordées sans demander de contrepartie aux médecins en termes de productivité et d’engagement envers le service public. Dans les faits, les services offerts aux patients par les médecins ont diminué de 10 % en cinq ans ». Il ajoute que « les médecins sont devenus, et de loin, la ressource la plus coûteuse du système de santé. Nous n’avons jamais eu autant de médecins, le Québec a un des ratios médecins-population les plus élevés au Canada. Pourtant la performance des médecins québécois, en termes d’accès aux soins et de suivi des patients, se classe au dernier rang de la moyenne canadienne. »

En 2015, il y avait 242 médecins pour 100 000 habitants au Québec. Au Canada, on compte en moyenne 233 médecins pour 100 000 personnes. Pourtant, 30 % des Québécoises et Québécois n’ont toujours pas de médecin de famille.

Au Québec, les médecins ne sont soumis à aucune contrainte de productivité, ajoute l’avocat Jean-Pierre Ménard : « C’est comme si on avait une université et qu’on engageait des professeurs en leur disant “vous êtes libres de donner des cours quand vous voudrez, à qui vous voudrez et comme vous voudrez, nous on va vous payer de toute façon”. Bien, c’est ça la médecine en ce moment. Les médecins sont libres de travailler quand ils veulent, comme ils veulent et de donner le service à qui ils veulent. Ils choisissent leurs patients et leur cadre de pratique et nous on paye et on n’a rien à dire là-dessus. »

Le professeur Damien Contandriopoulos constate que le Québec a choisi une trajectoire différente de tout le reste du Canada en concentrant toutes les ressources additionnelles en santé dans un seul secteur, la rémunération des médecins : « Une société qui décide de couper dans la prévention primaire, dans la santé publique, dans les CPE, une société qui prend toutes ses ressources et qui les donne aux médecins, donc à une fraction de la population qui est déjà la plus riche, une société qui fait ça, fait des choix horriblement contreproductifs. Cette situation rend le ministre Barrette très vulnérable. D’un côté, c’est lui qui, à partir de 2007, comme président de la Fédération des médecins spécialistes, a négocié les hausses, a structuré les discours pour justifier ces hausses-là et s’est avéré un négociateur extrêmement féroce. Et aujourd’hui, il se retrouve dans le poste du ministre responsable du déploiement de ce bar ouvert de rémunération des médecins. »

Aujourd’hui, les médecins québécois gagnent plus que leurs homologues ontariens. Ils sont même doublement avantagés, parce qu’ils travaillent moins d’heures que leurs collègues ontariens et que le coût de la vie est moins élevé au Québec qu’en Ontario. Le chercheur Guillaume Hébert estime que le Québec pourrait économiser 1 milliard dès 2017-2018 et deux milliards en 2020-2021 s’il réduisait de 12 % l’enveloppe de rémunération médicale, pour ramener le revenu moyen des médecins québécois au niveau des médecins ontariens.

Selon les calculs de l’IRIS, avec une économie d’un milliard de dollars, on pourrait embaucher 20 000 préposé-es aux bénéficiaires ou 15 000 infirmières de plus.

Un système menacé : la prévention et les services sociaux, grands perdants de la réforme

Dans le volumineux rapport du Commissaire à la santé et au bien-être sur la performance de notre réseau de santé, publié l’automne dernier, les 6000 Québécois consultés affirment qu’ils veulent à tout prix préserver l’accès à leur système de santé universel et gratuit. Anne Robitaille, la Commissaire à la santé par intérim est formelle : « Il est clair que les Québécois tiennent au caractère public de leur système de santé, c’est non équivoque, il n’y a aucun doute là-dessus. Ils sont très fiers d’avoir un système public universel, même s’ils constatent des failles. Ils ne veulent pas aller vers un système privé, c’est très clair ».

Comme l’explique Anne Robitaille, l’édifice est maintenant fragilisé : « Les services sociaux sont devenus le “parent pauvre” et la prévention, c’est le “parent encore plus pauvre” de notre système. Pourtant, chaque dollar investi en prévention permet d’économiser cinq dollars en coûts directs de soins de santé. »

Du côté de la prévention, le désinvestissement est tout simplement ahurissant. Les budgets ont été amputés de 30 %, en dépit de toutes les mises en garde des spécialistes. En fait, les ressources consacrées à la santé publique ont fondu sous le ministre Barrette et les services sociaux, eux, sont demeurés sous-financés. À ce chapitre, nous en faisons moins qu’auparavant et moins que la moyenne canadienne, parce que les priorités du ministre Barrette sont ailleurs.

Un réseau sous tutelle ministérielle

S’il est difficile aujourd’hui d’obtenir des données précises sur « l’état de santé réel » du ministère de la Santé, c’est justement parce que le ministre Barrette exerce un contrôle absolu sur tout, nous dit le chercheur Damien Contandriopoulos : « L’objectif réel et caché de la réforme était de centraliser tous les pouvoirs entre les mains d’une seule personne, le ministre. Il exerce maintenant ce pouvoir pour limiter la capacité des gens du réseau de s’exprimer publiquement, d’utiliser leur jugement professionnel et pour empêcher le commun des mortels d’avoir une idée réelle de ce qui se passe dans le réseau. »

Les exemples en ce sens ne manquent pas. Selon lui : « Pour éviter que la population ne s’intéresse de trop près à la rémunération des médecins, le ministre Barrette a décidé d’éliminer le poste de Commissaire à la santé, parce qu’il n’acceptait pas que le Commissaire finance des équipes de recherches pour étudier cette rémunération médicale. »

« La peur est bien installée dans le réseau, constate Paul Brunet. Des gestionnaires me disent, je te donne une information ou un document, mais ne va jamais parler de moi. »

Selon Jean-Pierre Ménard : « Les patients ne sont pas les seuls à se plaindre, ça coïncide avec ce que disent les syndicats et les cadres. Les trois groupes affirment que cette réforme-là ne va pas dans la bonne direction ».

Après avoir dépouillé le réseau de la santé et des services sociaux pendant des années, le gouvernement Couillard y injecte maintenant, ici et là, des millions de dollars. Des investissements ciblés, à des fins purement électoralistes. Cynique, comme toujours, le gouvernement Couillard cherche à corriger ses propres dégâts en nous faisant croire que son ministre de la Santé, le principal responsable du gâchis, saura à lui seul sauver notre système de santé. Mais c’est trop peu, trop tard, nous dit le chercheur Damien Contandriopoulous : « Cette réforme est un échec, ça ne fait aucun doute. Comme société, on va devoir reconnaître qu’on a pris les mauvaises décisions et il va nous falloir un plan cohérent pour le futur. Les acteurs sociaux comme les syndicats, les ordres professionnels, les associations de patients doivent réfléchir au système de santé dont ils n’ont pas envie et ça doit se passer maintenant ».

La manière CSN

À compter du 30 janvier, le Québec connaîtra la plus importante période de changement d’allégeance syndicale de son histoire. Près de 200 000 travailleuses et travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux devront voter par scrutin postal pour l’une des organisations syndicales en lice dans leur tout nouveau mégaétablissement.

En effet, lorsqu’en février 2015, le ministre Barrette a déposé le projet de loi 10 visant à fusionner les 182 centres de santé et de services sociaux avec les centres jeunesse et les centres de réadaptation pour former plus d’une trentaine de structures mammouths, il mettait aussi en branle un non moins gigantesque processus de fusion des accréditations syndicales. Une attaque pure et simple au droit d’association.

Il y a deux ans, nous avons dénoncé haut et fort ces fusions forcées. Depuis lors, il ne se passe pas une semaine sans qu’un syndicat de la CSN ne s’élève contre ces réformes. Avec la campagne Ma place en santé, j’y tiens !, la CSN a mis à la disposition de ses membres tous les moyens nécessaires pour faire entendre leur voix et mobiliser la population sur l’avenir du réseau.

En plus de dénaturer sa mission sociale, la réforme Barrette ouvrira plus grande encore la porte à la privatisation des services. Il s’agit d’une autre des multiples couleurs de l’austérité du gouvernement Couillard, son arme pour démanteler l’État social québécois. Les prochaines années s’annoncent tumultueuses au regard de l’emploi dans le réseau, des conditions de travail et des services à la population. Dans ce contexte, l’intérêt des travailleuses et des travailleurs est certes de se donner les meilleures conditions pour se faire respecter et pour porter un projet rassembleur qui profite à toute la population.

Une force incontournable

Depuis les dernières semaines, les organisations syndicales présentes dans les établissements de santé et de services sociaux s’activent pour inviter les travailleuses et les travailleurs du réseau à se joindre à elles. Il est consternant de constater que l’un des arguments forts soulevés par certaines de ces organisations est de vanter les vertus qu’aurait une basse cotisation syndicale ou un coût moins élevé du régime d’assurance.

Le syndicalisme au Québec se résume-t-il à cela ? La première raison qui amène des travailleurs et des travailleuses à unir leurs forces dans un syndicat n’est pas le coût de la cotisation syndicale. Ils veulent d’abord se faire respecter. Ils cherchent à établir des règles équitables pour renverser l’arbitraire patronal dans l’organisation du travail. Ils veulent se donner une voix pour obtenir plus de dignité au travail.

Dans ce contexte, le type de syndicalisme pratiqué est fondamental. À la CSN, l’autonomie du syndicat, la participation des membres, la solidarité, sont des valeurs essentielles qui guident notre action. Ainsi, le combat mené par des travailleuses et des travailleurs pour se faire respecter devient celui de tous les syndicats de la CSN. Cette solidarité concrète prend forme dans les moyens déployés pour soutenir leur action : dans leur établissement, devant leur employeur ; avec les autres syndicats d’une même région, au sein des conseils centraux; avec les syndicats du même secteur professionnel ou sectoriel dans les fédérations ; et avec l’ensemble des syndicats réunis dans la confédération elle-même. Cette solidarité entre tous les membres d’une centrale syndicale active dans toutes les sphères d’activité et dans toutes les régions a permis des avancées extraordinaires dans les milieux de travail et dans la société québécoise. À la CSN, un syndicat n’est jamais seul.

Certains peuvent trouver réconfortant de s’isoler dans une organisation syndicale corporatiste qui ne vise qu’à tenter de défendre les intérêts d’une seule catégorie d’emploi. Au fond, et l’histoire du syndicalisme québécois des 50 dernières années en témoigne, il s’agit d’une illusion. Les syndicats indépendants et non affiliés à une centrale syndicale ont montré les limites de leur action.

La CSN est une organisation de combat. Cette volonté de placer en avant les revendications des membres est, pour ainsi dire, dans nos gènes. Depuis plus de 95 ans, les militantes et les militants des syndicats affiliés modèlent leur organisation pour qu’ils soient en mesure de recevoir l’appui et l’expertise dont ils ont besoin dans ce désir d’améliorer leurs conditions de travail et de vie.

C’est la manière CSN : celle de tout mettre en œuvre pour appuyer les revendications et les luttes des membres sur tous les fronts : dans leur milieu de travail et dans la société. La CSN, une force incontournable.

Un effectif à bout de souffle

Pas une semaine ne s’écoule sans que les médias et les réseaux sociaux ne rapportent les ratés de la réorganisation forcée du ministre Barrette dans le réseau de la santé et des services sociaux et les effets néfastes de l’austérité libérale sur la population et sur celles et ceux qui donnent les services.

Le 7 novembre dernier, des infirmières du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, membres de la CSN, ont dénoncé la hausse fulgurante des accidents et incidents à déclaration obligatoire, dont ceux en salle d’accouchement. La surcharge de travail, causée par le non-rempla­cement des absences et le refus de se voir accorder des heures supplémentaires, comptait parmi les facteurs explicatifs. « On n’a pas le temps de s’asseoir ni d’aller à la toilette. Nous ne sommes pas assez nombreuses pour satisfaire aux normes », rapportait dans l’anonymat une infirmière de l’unité des naissances sur les ondes de Radio-Canada. Pourtant, le même jour, le ministre Barrette inaugurait les nouveaux locaux de ce réputé hôpital mère-enfant au coût de près d’un demi-milliard de dollars.

Dans les semaines précédentes, le personnel infirmier et les préposé-es aux bénéficiaires du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec décrivaient les effets des compressions de 51 millions de dollars sur trois ans. Même chose au CIUSSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean alors que des membres de la CSN dénonçaient un train de 120 mesures « d’optimisation » totalisant 14 millions de dollars en 2016 seulement, causant la perte de 127 postes ! Et la liste ne cesse de s’allonger tant la crise dans le réseau est généralisée.

Établissements mammouths… et inhumains

En faisant passer de 182 à 34 le nombre d’établissements en les fusionnant, le gouvernement a créé des organisations éléphantesques, qui n’ont pas d’équivalent au Canada. Le CIUSSS de la Capitale-Nationale regroupe ainsi plus de 17 000 employé-es, gestionnaires et médecins avec un budget annuel de près de 1,3 milliard de dollars, soit dix fois les budgets du ministère des Relations internationales et celui de la Francophonie! Le CIUSSS de l’Estrie, dont le budget avoisine le 1,4 milliard, compte pour sa part 18 000 employé-es. De quoi donner le vertige.

Dans les mois qui ont suivi les mégafusions d’avril 2015, la CSN, la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN) et la Fédération des professionnèles (FP–CSN) ont réalisé plusieurs enquêtes sur l’état de la situation dans le réseau. Menées dans le cadre de la campagne publique Ma place en santé, j’y tiens, mise en place par la CSN pour dénoncer la réforme, mobiliser les membres et conscientiser la population, les enquêtes avaient pour but de mesurer l’ampleur des conséquences qu’ont eu la réforme et les mesures d’austérité sur les conditions de travail de ses membres. Les constats sont non seulement inquiétants, mais alarmants.

Des jeunes à bout

L’une de ces enquêtes a été menée à l’automne 2016 par le comité des jeunes de la FSSS–CSN auprès de 1407 jeunes âgés de moins de 35 ans. Déjà aux prises avec un statut d’emploi précaire, six jeunes sur dix ont affirmé avoir connu une augmentation de leur tâche dans les douze mois précédents. En outre, une personne sur cinq a indiqué s’être retrouvée en invalidité à long terme durant la même période. Pas moins de 83 % des répondants, soit plus de huit personnes sur dix, ont souligné que la réforme du système de santé n’allait pas contribuer à améliorer leur situation professionnelle sur un horizon de trois à cinq ans.

« C’est sûrement ce qui explique que 60 % des jeunes techniciens et professionnels de la santé et des services sociaux songent à quitter le réseau, lance Kevin Newbury, président du Syndicat des personnes salariées des Centres jeunesse de Lanaudière. Le réseau souffrant déjà d’une certaine pénurie de main-d’œuvre, on se demande comment on va faire pour offrir des services publics de qualité si notre propre relève quitte le bateau parce que les gens sont au bout du rouleau. C’est déconcertant de voir ces statistiques-là. »

Charge accrue pour les PAB

Les préposé-es aux bénéficiaires (PAB) œuvrant en CHSLD ont connu une détérioration rapide de leurs conditions de travail en raison du non-remplacement des absences et d’une charge de travail accrue. L’entrée en vigueur de la réforme Barrette n’a rien amélioré, les démarches paritaires en santé-sécurité du travail (SST) ayant été paralysées. C’est ce que démontre une enquête réalisée au CSSS de Jonquière au printemps 2015, et actualisée en 2016 par le Service des relations du travail de la CSN.

Ainsi, un PAB sur trois a reçu un diagnostic médical lié à une lésion psychologique (trouble d’adaptation, surmenage professionnel, épuisement, etc.) tandis que quatre personnes sur dix disent avoir consulté un programme d’aide aux employé-es. Sur le plan de la santé musculo-squelettique, huit personnes sur dix ont déclaré avoir ressenti des douleurs dans les douze derniers mois, tandis que trois personnes sur dix ont reçu un diagnostic lié à une lésion physique, notamment au dos, aux épaules et au cou. Bien que les PAB représentent 15 % du personnel du CSSS, ils sont 35 % à avoir déclaré des accidents à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

« Le taux d’absentéisme chez nous a presque doublé depuis 2014-2015, passant de 6,2 % à 11,6 % pour les huit premiers mois de 2016, affirme Manon Tremblay, présidente du Syndicat des travailleuses et travailleurs de la santé et des services sociaux de Jonquière, affilié à la FSSS–CSN. Les gens sont épuisés, découragés. La fusion, ça leur fait peur. Ce qui me heurte encore plus, c’est de savoir que les préposé-es aux bénéficiaires ont des troubles musculo-squelettiques, mais qu’ils se présentent malgré tout au boulot parce qu’ils ne seront jamais capables de prouver que c’est lié au travail. »

Climat de travail malsain

Le personnel de bureau, les techniciennes, les techniciens et les professionnel-les de l’administration membres de la FSSS–CSN ne font pas exception. Une étude menée l’automne dernier auprès de 1500 répondantes révèle que ce groupe de salarié-es cumule 14,3 jours d’absence maladie par année, comparativement à 9,3 jours en moyenne pour les autres travailleuses et travailleurs canadiens. Une forte proportion (63,9 %) du groupe considère que la réforme Barrette a eu des incidences très négatives ou négatives sur le climat de travail, mais aussi sur la stabilité du personnel (83 %) et la charge de travail (68,9 %).

« La réorganisation du ministre Barrette n’a rien à voir avec la fusion de 2004-2005, dit Sylvie Lachambre, présidente du Syndicat du personnel paratechnique, services auxiliaires, métiers, bureau et de l’administration du Centre de santé et de services sociaux Richelieu-Yamaska. Quand tu n’as plus de sentiment d’appartenance, que tu ne contrôles plus ta vie au travail parce que ça change tout le temps, parce que tu ne sais plus dans quel service ni avec qui tu vas travailler, ça devient très démotivant. Et l’absence d’une planification de la main-d’œuvre pour la mise en place d’Optilab vient confirmer l’amateurisme des gestionnaires qui jouent avec les nerfs des employé-es. »

Travailler, même malade

Chez le personnel technique et professionnel, les effets de la fusion et de la réorganisation du réseau ont été durement ressentis entre autres par rapport aux transferts de personnel des CLSC vers les groupes de médecine de famille (GMF). C’est ce qu’a révélé un sondage effectué par la FP–CSN auprès de 1031 répondants, au printemps 2016.

Une personne sur deux a indiqué s’être présentée au travail malgré un état de santé physique ou psychologique qui aurait pu justifier son absence du travail. Six personnes sur dix ont dit vivre constamment ou fréquemment une surcharge de travail, perçue comme la conséquence directe des compressions budgétaires. Enfin, 10 % du personnel technique et professionnel ont dit projeter de quitter le réseau public d’ici les cinq prochaines années, comparativement à 7,4 % dans un sondage réalisé en 2014.

« Les impacts de la fusion sont désastreux, avance Jaimie Lemieux, présidente de la section locale du Syndicat des technicien-nes et des professionnel-les de la santé et des services sociaux du Québec au CSSS de la Mitis. En plus, on doit vivre avec des compressions de 20 millions de dollars pour 2016 et 2017. En 2004-2005, personne n’a perdu son emploi. Présentement, on a six personnes qui détiennent une sécurité d’emploi qui sont à la maison, du jamais vu en douze ans d’implication syndicale. Alors, on ramasse beaucoup de cas de détresse psychologique. Plusieurs débarquent chez le médecin pour demander un arrêt de travail. Le hic, c’est que l’employeur conteste de plus en plus les cas d’arrêt. J’ai récemment vu un travailleur être envoyé en expertise médicale après trois semaines d’absence. Avant, on ne voyait ça que pour des invalidités d’un an et plus. »

Répondre à des cibles statistiques

Les données précédentes rejoignent celles d’une autre enquête terrain réalisée en mai 2016 dans 14 centres jeunesse du Québec auprès de 1934 personnes. Menée conjointement par la FP–CSN et la FSSS–CSN, l’enquête cherchait à établir les conséquences des compressions de 20 millions de dollars en 2015-2016 sur les travailleurs, les jeunes et leurs familles.

Ainsi, seulement 5 % des intervenantes et intervenants ont estimé être en mesure de répondre adéquatement et en temps utile aux besoins de leur clientèle aux prises avec d’importants problèmes. L’alourdissement de la tâche a entraîné une surcharge de travail, suivie souvent d’un épuisement professionnel en raison du travail effectué en heures supplémentaires. Pour sept personnes sur dix, les multiples formulaires à remplir et la saisie accrue de notes constituent un obstacle majeur à la qualité de leur travail. Ils sont tout autant à estimer que leur intervention sert davantage à répondre aux cibles statistiques du ministre Barrette qu’à aider les familles. Enfin, une personne sur trois a indiqué que les difficiles conditions d’exercice de leur pratique l’ont forcée à prendre un congé de maladie.

« En CLSC, nos membres sont dans un état de détresse extrême, explique Danny Roy, président du Syndicat des professionnels de la santé et des services sociaux, région Québec–Chaudières-Appalaches, affilié à la FP-CSN. Près de la moitié des intervenants à l’accueil des CLSC, dans la grande région de Québec, sont partis en maladie ou dans d’autres établissements en espérant trouver mieux, parce qu’ils étaient incapables de se voir travailler avec la charge de travail qui leur était imposée. Cette perte d’expertise a des conséquences directes sur les services à la population. »

Pour Sylvie Théoret, présidente sortante du Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre jeunesse de Montréal, affilié à la FSSS–CSN : « En centre jeunesse, nos travailleurs sont formés pour faire de l’intervention et donner des services aux familles et aux enfants. Mais ils se ramassent avec des charges de travail qui sont maintenant le double de ce qu’elles devraient être. C’est ce qui fait que les gens ont le sentiment de ne plus être en mesure de faire le travail qui pourrait faire une différence dans la vie des enfants et de leurs familles. »

En route vers le 65e congrès – sur tous les fronts

« Le 65e Congrès de la CSN sera résolument politique et certainement engageant pour nos militantes et nos militants ! » Pour le président Jacques Létourneau, le congrès qui se tiendra du 5 au 9 juin prochain à Montréal fera preuve d’innovation et tranchera de façon significative avec les précédents.

«Au cours des trente dernières années, nos congrès ont débattu d’un grand nombre de questions et les recommandations qui y ont été adoptées guident, encore aujourd’hui, notre action, explique le président de la CSN. Pour le 65e Congrès, nous proposons une approche différente en ce sens que les délégué-es débattront des moyens à déployer pour faire vivre un manifeste qui nous projettera dans les trois années du prochain mandat, au cours duquel il y aura une élection à Québec, en 2018, et une autre au fédéral, l’année suivante. En ce sens, notre action sera indéniablement plus politique. »

Depuis octobre dernier, les syndicats de la CSN sont directement consultés sur cinq grandes revendications au centre desquelles s’articulent neuf recommandations. Celles-ci conduiront à la rédaction d’un manifeste qui sera présenté au congrès. Toutes les équipes de travail ainsi que les fédérations et les conseils centraux ont été consultés sur la démarche pour leur permettre d’appuyer efficacement les débats dans les syndicats. Ces derniers doivent se prononcer sur ces grandes revendications dans l’instance qu’ils jugent la plus appropriée. Dans le questionnaire qu’ils peuvent remplir en ligne, ils sont invités à soumettre de nouvelles propositions. Une telle façon de faire est une première.

La situation politique et la prochaine élection générale sont propices à susciter des discussions, voire une mobilisation, sur des enjeux importants pour la société québécoise. C’est dans cette perspective et afin de sonder le plus de membres possible que la CSN a entamé cette vaste consultation, souligne le président de la CSN dans le document qui a été présenté aux syndicats. Pour lui, il y a plus que jamais une nécessité à opposer aux politiques d’austérité menées par un gouvernement carrément conservateur à l’Assemblée nationale un projet porteur pour le Québec. De là l’idée du manifeste qui découlera de la tournée menée auprès des syndicats.

Haro contre l’austérité

« Au cours de la dernière année, nous nous som­mes débarrassés de l’un des partis les plus antisyndical et antisocial qui a sévi à Ottawa, rappelle Jacques Létourneau. Cependant, depuis deux ans, tout le Québec subit durement les effets des mesures d’austérité du gouvernement Couillard. Le prochain budget pourrait plomber davantage l’État social québécois et nous faire plonger dans une situation d’austérité permanente si le gouvernement maintient le sous-financement des programmes. Il doit impérativement investir massivement dans les services publics et les programmes sociaux. »

Au printemps, la tournée précongrès permettra aux syndicats de débattre du manifeste qui leur sera soumis. Ce sera aussi l’occasion pour eux de se l’approprier. Jacques Létourneau explique que « les recommandations qui sont actuellement en discussion dans les syndicats se résument à ceci : quelle société voulons-nous, quels moyens devons-nous déployer pour y arriver et pour vivre mieux ? On le voit, la lutte pour l’amélioration des conditions de travail et des conditions de vie est indissociable ».

Le congrès permettra aux délégué-es de débattre d’une stratégie pour soutenir le manifeste. Au cours des trois années qui suivront, la CSN sera en action, aux côtés de ses alliés, pour que les choses changent. « C’est notre responsabilité, en tant que mouvement organisé, d’agir ainsi », conclut le président de la CSN.


Thématique proposées

  • Sécuriser le revenu tout au long de la vie
  • Développer l’économie et créer des emplois de qualité
  • Lutter contre les changements climatiques
  • Consolider les services publics
  • Renforcer la démocratie

La longue marche se poursuit

Les services préhospitaliers tels que nous les connaissons ont été bâtis à la suite de luttes mémorables menées depuis plus de 30 ans par le personnel du secteur, notamment les ambulanciers paramédicaux de la CSN, ce qui a mené à une véritable professionnalisation du secteur et à une amélioration considérable des services à la population. L’année 2017 s’annonce déjà comme un nouveau jalon important de cette grande marche vers la consolidation de ces services, qui nous apparaissent aujourd’hui indispensables.

En avril dernier, le ministre de la Santé et des Services sociaux lançait un pavé dans la mare en annonçant le retrait du gouvernement des négociations avec le personnel de ce secteur. À l’en croire, les conditions de travail et d’exercice de la profession ne seraient plus de son ressort. Et pourtant, même si les services sont assurés par des entreprises et des coopératives partout, sauf à Montréal et à Laval, c’est le gouvernement qui les finance, par contrat. C’est l’État et les établissements publics qui établissent les normes de la profession et qui doivent assurer une uniformité des services sur le territoire. Il est difficile d’imaginer, d’ailleurs, comment il pourrait en être autrement.

Des enjeux importants

Les 3600 membres des syndicats CSN du secteur — paramédics, répartitrices et répar­titeurs et employé-es de soutien — sont sans convention collective depuis le 31 mars 2015. Les négociations concernent Urgences-santé, à Montréal et Laval, et des dizaines d’entreprises et de coopératives partout au Québec, réunies au sein de trois associations patronales. Au moment d’écrire ces lignes, les discussions sur les aspects normatifs étaient passablement avancées. Toutefois, les pourparlers achoppent sur les questions nécessitant de nouveaux investissements. Car, selon les patrons, le gouvernement refuse de leur garantir toute somme supplémentaire au-delà du 1er avril 2017, alors qu’elles devront renouveler leurs contrats de service. Et comme le gouvernement dit ne plus vouloir négocier directement avec les syndicats du secteur, les membres de la CSN se trouvent sans interlocuteur pour discuter de leurs principales priorités.

Pourtant, un règlement sur ces sujets, outre la question salariale, entraînerait des améliorations immédiates aux services à la population, un aspect délicat pour le gouvernement. Ainsi, l’instauration d’horaires normaux au lieu des horaires de faction, en vertu desquels les paramédics doivent se tenir prêts à intervenir durant sept jours consécutifs, serait bénéfique pour le temps de réponse des paramédics aux appels d’urgence — il va de soi qu’on ne peut passer 168 heures de suite derrière le volant d’une ambulance à attendre un appel… De même, les surcharges de travail dans certaines zones urbaines font en sorte que les services ne peuvent être déployés de façon optimale. En négociation, le personnel du secteur veut également élargir l’accès à une retraite progressive et s’attaquer à des problèmes de santé et de sécurité du travail.

La grève

Dans ces circonstances, les syndicats ont décidé de consulter leurs membres sur le déclenchement éventuel d’une grève au cours de laquelle ils pourraient aller jusqu’à cesser certains types de transport. Une telle grève n’a jamais été exercée. La santé et la sécurité de la population ne seront bien entendu pas mises en péril, mais en cessant d’effectuer ces transports non essentiels, ils exerceront une pression considérable sur tout le système qui peinera à trouver une solution de rechange.

« Nous sommes conscients qu’une grève générale dans le secteur sera inconfortable pour tout le monde, explique le responsable du secteur à la FSSS–CSN, Jean Gagnon, membre du comité national de négociation. Mais si on doit se rendre là, le ministre Barrette en sera le seul responsable. C’est à lui d’agir, maintenant, pour faire débloquer la négociation. »

Une vie des plus surprenante

Les sages-femmes ne savent jamais de quoi leur journée sera faite. De garde 24 heures sur 24, elles peuvent à tout moment être obligées d’interrompre leurs activités pour répondre à une urgence ou pour accompagner une femme lors d’un accouchement. Les sages-femmes veillent sur leurs clientes à toute heure du jour ou de la nuit, pendant les périodes prénatale et postnatale et, bien sûr, durant les accouchements. Regard sur une profession vieille comme le monde qui continue de fasciner.

Josyane Giroux a complété un baccalauréat en géomatique appliquée à l’environnement avant de pratiquer comme sage-femme. Bien que cette discipline l’ait stimulée intellectuellement, son travail actuel la comble davantage. « Devenir sage-femme, c’est bien sûr acquérir l’ensemble des connaissances et des compétences pour pouvoir donner tout le soutien clinique nécessaire aux femmes et aux familles, mais c’est beaucoup plus que ça. Je me sens comblée par l’aspect humain et relationnel de mon travail », souligne-t-elle. Josyane et ses consœurs de pratique sont représentées par la Fédération des professionnèles–CSN.

Une vie trépidante

27 novembre 2016, 2 h 30. Josyane est appelée par une cliente pour des saignements anormaux. Elle craint une hémorragie post-partum tardive et prend une quarantaine de minutes pour évaluer la situation. Elle décide de garder un contact étroit avec sa cliente. 5 h 30, le téléphone sonne à nouveau pour un accouchement, cette fois-ci. Josyane se rend chez la future mère. Le bébé naît à 12 h. Elle revient chez elle à 16 h.

Photo : Louise Leblanc

17 h, une cliente en panique l’appelle : elle vomit sans arrêt. Après consultation et analyse de la situation, Josyane conclut qu’il s’agit d’une gastro sévère. À 20 h, Josyane fait un suivi avec la mère qui l’a appelée la nuit précédente et détermine avec elle le plan à suivre si les saignements recommencent. 1 h du matin, une autre femme appelle, elle éprouve de sérieuses douleurs au bas du ventre. Celles-ci viennent de la compression des intestins. « Ce n’est pas toujours comme ça, des fois le rythme est plus intense ! », lance Josyane en riant.

La garde constitue la pierre angulaire de la profession de sage-femme. Elle est nécessaire pour permettre la continuité relationnelle des soins et des services à toutes les phases du suivi de grossesse, jusqu’à six semaines après l’accouchement. Le fait de ne pouvoir prévoir l’horaire exact et la nature des tâches de la journée fait donc partie intégrante de la réalité des sages-femmes. À ce sujet, Josyane raconte. « Le mois dernier, j’ai été appelée par un papa à 23 h 30, alors que j’étais couchée. Sa conjointe avait des contractions très intenses depuis 15 minutes. Cinq minutes plus tard, elle a commencé à pousser. Je finissais de mettre mes bottes. Merci à mon GPS qui m’a conduite au bon endroit ! Quand j’ai mis le pied dans la chambre, la tête du bébé était déjà sortie ; je suis tout de même arrivée à temps pour assister à sa naissance. Imaginez ! 32 minutes plus tôt, je dormais. C’est aussi ça, la vie de sage-femme. »

Comme à l’habitude, Josyane avait ce soir-là accroché des vêtements derrière la porte de la salle de bain. Elle en place toujours à cet endroit pour éviter de réveiller la famille, car son travail l’appelle à se lever la nuit régulièrement. Bien sûr, une trousse contenant tous ses instruments, prête à être utilisée, l’attendait aussi. « Il faut développer des trucs pour mieux s’adapter aux éléments stressants de la profession et pour composer plus efficacement avec les urgences », explique-t-elle.

La cohésion et l’entraide au sein de l’équipe d’une maison de naissance font toute la différence pour permettre aux sages-femmes de soutenir le rythme exigeant de la profession. « Parfois, on est capable de travailler 24 heures en ligne, alors qu’à d’autres moments, on est exténuée après 12 heures et il faut absolument dormir un peu. Je peux toujours compter sur mes collègues pour me permettre d’aller me coucher. À moins qu’elles soient, elles aussi, en train d’assister un accouchement… Alors on se relaie pour aller se reposer quelques heures », poursuit Josyane.

Différents modèles

Certaines maisons de naissance ont décidé de nommer une sage-femme de remplacement, communément appelée sage-femme volante, pour aider l’équipe à suppléer aux congés de maladie, aux grossesses et aux conflits d’horaires des sages-femmes régulières. « Notre présence permet à l’équipe de souffler un peu, souligne Marie-France Beaudoin, sage-femme de remplacement à la Maison du Haut-Richelieu–Rouville. On permet aussi d’atténuer les bouleversements pour les clientes, qui n’apprécient pas, à juste titre, de voir se succéder les sages-femmes au cours de leur grossesse. »

Bien sûr, le suivi d’une sage-femme de remplacement est différent. « Il faut vite comprendre le dossier et espérer qu’il a été bien rempli. Il est primordial de pouvoir entrer rapidement en relation avec les clientes. Le rapport diffère, puisqu’on ne réalise pas l’accompagnement en continu, mais le rôle de remplaçante est par contre très apprécié au sein de la maison de naissance ».

Photo : Annik de Carufel

Des femmes-orchestres

Beaucoup de femmes ont recours aux services d’une sage-femme pour leur deuxième grossesse, car elles ont l’impression de ne pas avoir été bien informées la première fois. « Elles déplorent souvent le côté un peu inhumain du processus médical », relate encore Josyane Giroux. L’accouchement avec une sage-femme est bien différent de celui pratiqué à l’hôpital et prend la forme que le couple veut lui donner. « Nous sommes là pour accompagner les femmes et leur famille dans leur choix. Si elles veulent écouter de la musique métal, je ne suis pas là pour les en empêcher. »

Bien sûr, toutes les mesures de sécurité sont prises pour assurer le bon déroulement de l’accouchement. D’ailleurs, elles doivent toujours être deux professionnelles pour assister la femme au moment de la naissance du bébé. Cela dit, l’un des principes importants de la pratique sage-femme est basé sur le choix éclairé, contrairement au choix dirigé du milieu hospitalier. « Il n’y a pas de protocole dans notre pratique, ce qui occasionne encore beaucoup de tensions avec les médecins qui ne comprennent pas pourquoi des couples choisissent de ne pas subir certains tests. Pour une sage-femme, le respect du choix des femmes est très important. Lorsque tous les renseignements nécessaires ont été donnés, elles peuvent décider de ne pas recevoir un geste clinique, c’est leur droit », renchérit Josyane Giroux.

À l’hôpital, une infirmière de l’équipe médicale se trouve à tout moment dans la chambre avec la femme sur le point d’accoucher. Pour donner tout le soutien et la disponibilité requise, les sages-femmes, pour leur part, doivent écouter leurs propres besoins tout en veillant au bien-être de la cliente : « Ça peut paraître évident, mais quand on a faim, il faut manger. Si les contractions commencent et qu’elles ne sont pas très intensives, il m’arrive d’aller m’étendre quelques minutes, entre l’écoute des deux cœurs. Mais je ne suis pas loin, seulement à la porte d’à côté. » Ces temps d’arrêt permettent également au couple de profiter d’une intimité qui n’existe pas avec l’équipe médicale.

Le rôle de soutien psychologique de la sage-femme auprès des femmes et des familles prend également toute son importance, surtout lorsque l’accouchement se déroule dans un contexte difficile comme une perte d’emploi, un déménagement, une rupture ou le décès du conjoint. « La transformation au cours de la grossesse est majeure à tous les points de vue. Le corps change, les hormones s’activent et les impacts sont énormes sur la vie de la femme et du couple. On est amenées à parler de communication, de sexualité, et de façon plus concrète, des ressources existantes, comme le CLSC ou les groupes communautaires. Ce travail avec les autres professionnel-les de la santé est primordial. Je ne suis pas psychologue, mais je peux être une intermédiaire déterminante lorsque le besoin se présente. »

Les sages-femmes agissent en somme comme des femmes-orchestres dans les moments les plus importants de la vie. Et leurs œuvres magistrales ont de quoi marquer chaque fois les familles qu’elles accompagnent.

Des outils pour défendre le syndicalisme

Les 17 et 18 novembre, la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN) proposait à ses membres un colloque qui sortait des sentiers battus.

Organisé par le comité exécutif de la fédération, de concert avec le module de formation du Service des relations du travail de la CSN, le colloque « Le syndicalisme, c’est mon fort ! », répondait à deux propositions adoptées par le dernier congrès de la FEESP, la première portant sur la communication avec les membres et la deuxième sur les débats à engager pour discuter de la pertinence et des bénéfices de l’action syndicale.

« Pour répondre à la demande des membres, l’idée du colloque nous semblait la plus porteuse, mais il était clair pour tout le comité exécutif qu’une formule dynamique et interactive était de mise », explique Nathalie Arguin, secrétaire générale de la FEESP. « La configuration en tables rondes, permettant aux membres des différents secteurs de la fédération d’échanger entre eux, s’est donc imposée, mais ce n’était pas suffisant. Nous voulions mettre les militantes et les militants au centre de l’action. »

La première journée, consacrée au développement d’un argumentaire syndical pour contrer le discours de droite, a débuté par une table ronde composée de Jean-François Nadeau, journaliste au journal Le Devoir, de Marty Laforest, professeure au Département de lettres et de communication sociale de l’UQTR, et d’Olivier Niquet, chroniqueur et co-animateur de La soirée est encore jeune. Ce dernier a présenté des extraits de commentaires issus des radios poubelles qui illustraient parfaitement les propos de Mme Laforest pour qui la droite populiste joue entre autres sur l’émotion et sur la confrontation (nous contre eux) pour alimenter son discours.

Des outils pour intervenir

Les quelque 150 militantes et militants ont ensuite développé un argumentaire prosyndical, déconstruisant point par point les principaux énoncés de la droite. Pour les organisateurs du colloque, l’exercice ne devait toutefois pas s’arrêter là. « Constituer un discours, c’est une chose, mais prendre la parole pour le défendre est une tout autre affaire. C’est pour travailler là-dessus que nous avons sollicité la Ligue nationale d’improvisation », ajoute Nathalie Arguin. Des comédiens de la LNI sont donc venus recréer diverses scènes de la vie quotidienne, dans lesquelles on trouvait toujours un personnage qui réussissait à imposer ses réflexions populistes. Après chaque scène, les participants étaient appelés à commenter la situation et un participant choisi au hasard était invité à refaire la scène avec les comédiens, en puisant dans les arguments développés plus tôt pour renverser la situation.

Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications, est venue clore la journée par une brève présentation sur l’importance de bien connaître l’univers médiatique pour intervenir de façon adéquate dans l’espace public.

La deuxième journée portait essentiellement sur la communication avec les membres. Les réponses à un questionnaire préalablement envoyé aux syndicats ont servi de base de travail pour l’animateur de la journée, Gregor Murray, professeur à l’Université de Montréal. Des syndicats des différents secteurs de la FEESP ont partagé leurs expériences fructueuses, comme la mise en place d’un conseil syndical, la communication en situation de négociation coordonnée ou la décision d’investir les médias sociaux. Pour clore l’événement, des élu-es, des conseillères et des conseillers sont venus présenter les différentes ressources disponibles à la CSN pour appuyer les initiatives des syndicats.

À la sortie du colloque, les militantes et les militants se sont dits prêts et motivés à occuper le terrain, ce qui fait dire aux organisateurs : mission accomplie.

Pour demeurer une force incontournable

Comment faire de la prévention en santé et sécurité au travail (SST) alors que la réforme Barrette a imposé la création de mégastructures qui ont grandement chamboulé le réseau de la santé et des services sociaux ? Deux cents délégué-es en SST de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN) se sont penchés sur cette épineuse question lors d’un colloque qu’elle a organisé en septembre 2016.

Les syndicats de la CSN interviennent depuis plusieurs années pour réduire les risques à la source dans les environnements de travail. Plusieurs exemples émanant des syndicats du réseau ont démontré qu’à la suite des fusions qui avaient mené à la création des CSSS, le travail avait été ardu pour restructurer leurs actions en prévention. « La fusion des établissements de santé et de services sociaux et la création des CSSS en 2005 nous ont forcés à revoir notre façon de mener les dossiers — ce qui se reproduira sûrement avec la création des CISSS et des CIUSSS. À la conclusion de la négociation de 2010, nous avions l’objectif ambitieux de parvenir à implanter près de 300 comités paritaires en santé et sécurité. C’est ainsi qu’en novembre 2010, nous avions lancé la campagne 1, 2, 3 Go pour nous donner un plan de travail, régional et national, pour atteindre nos objectifs », rappelle Guy Laurion, vice-président responsable de la SST à la FSSS–CSN.

La présentation de Geneviève Baril-Gingras, professeure au Département des relations industrielles de l’Université Laval, a fait ressortir l’importance de miser sur une organisation syndicale fortement décentralisée pour améliorer les interventions à la source et réduire les accidents dans les milieux de travail. « Avec le projet de loi 10 du ministre Barrette, on risque de se retrouver avec une augmentation des accidents du travail si on ne parvient pas à établir une structure syndicale décentralisée. L’objectif, c’est qu’un salarié-e puisse toujours se référer facilement à un représentant syndical s’il vit des situations risquées dans son environnement de travail », poursuit Guy Laurion.

Par ailleurs, les données de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) démontrent que c’est maintenant le secteur de la santé et des services sociaux qui est le plus à risque. En 2014, ce secteur comptait près de 18,4 % des réclamations d’accidents du travail acceptées par la CNESST. Les troubles musculosquelettiques et les chutes sont les principales causes d’accidents du travail. Les lésions psychologiques augmentent aussi de manière inquiétante, mais elles sont rarement reconnues par la CNESST.

La CSN en action sur la prévention

La CSN entend poursuivre ses actions pour réduire le danger à la source dans le réseau de la santé et des services sociaux. Cela est d’autant plus nécessaire dans un contexte où les compressions budgétaires ont grandement alourdi la charge de travail du personnel. Les surcharges de travail augmentent nécessairement les risques d’accident du travail.

« Il est urgent de faire de la prévention une réelle priorité pour les années à venir, explique Jean Lacharité, vice-président responsable de la SST à la CSN. La réforme Barrette ne fait rien pour améliorer les choses. Les signaux d’alarme s’accumulent. Le personnel du réseau de la santé et des services sociaux s’essouffle. Et pour soigner la population, encore faut-il que le personnel soit lui-même en santé, ce qui n’est clairement pas le cas actuellement. Face à ce constat inquiétant, la CSN passe à l’action. À l’opposé de la concentration bureaucratique du ministre Barrette, elle compte sur des services de proximité offerts par des milliers de militantes et de militants partout au Québec et sur un syndicalisme combatif qui veille constamment au grain. »

Répondre au besoins des patrons

En février prochain, le gouvernement libéral du Québec tiendra son Rendez-vous sur la main-d’œuvre en réunissant 300 participantes et participants issus de tous les milieux socioéconomiques, dont la CSN. L’objectif ? Cerner les défis et les enjeux en matière de main-d’œuvre pour mieux faire face au marché du travail de demain.

Si l’exercice est noble, le gouvernement a pourtant multiplié les actions au cours de son mandat pour nuire à l’économie et à la création d’emplois. Cure radicale pour les finances et les services publics, abolition des conférences régionales des élus (CRÉ), diminution des obligations des entreprises dans la formation des employé-es. Que faut-il attendre de ce rendez-vous ?

« Des rencontres préparatoires ont lieu avec le comité de pilotage en vue de cet événement et on doute pouvoir décrocher une entente significative, avance le président de la CSN, Jacques Létourneau. Il y a un bras de fer actuellement et c’est difficile d’amener les employeurs et le gouvernement ailleurs. On aimerait parler de conditions de travail, mais tout ce qui concerne le salaire minimum à 15 $ l’heure, les régimes de retraite, les disparités de traitement et les normes du travail, sera exclu. On nous a même laissé entendre que le développement économique sera débattu dans un autre cadre avant les prochaines élections. Alors il reste quoi, qui soit différent de la Commission des partenaires du marché du travail ? »

Rien à voir donc avec le Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996, organisé par l’ancien premier ministre Lucien Bouchard et présidé par Claude Béland. « Même si on s’était cassé les dents avec le déficit zéro, on a quand même lancé le Chantier sur l’économie sociale et les centres de la petite enfance (CPE), se souvient Jacques Létourneau, qui était alors secrétaire général au Conseil central du Montréal métropolitain–CSN. Vingt ans plus tard, le gouvernement du Québec est en train de saccager les CPE et il est incapable de créer des emplois. »

Des emplois qui tardent

En remportant ses élections en avril 2014, le gouvernement de Philippe Couillard avait promis 250 000 nouveaux emplois en cinq ans, soit l’équivalent de 50 000 emplois par année. Or, au rythme où vont les choses, atteindre la moitié de cet objectif serait déjà un exploit. Il s’est perdu 1100 emplois en 2014, il s’en est créé 37 300 en 2015 et 26 000 en 2016, selon un bilan provisoire des dix premiers mois. Le nombre de chômeurs et de chômeuses a même grimpé de quelques milliers durant les deux premières années du règne libéral. « C’est clair que les emplois créés dans le domaine des services du secteur privé sont plus précaires et sont loin d’être aussi bons que ceux perdus dans le secteur manufacturier. En 2015, près de quatre emplois sur dix étaient atypiques et un emploi sur cinq était à temps partiel. Et rien ne laisse présager un renversement de tendance », martèle Jacques Létourneau.

Donc, pas étonnant de constater que de plus en plus de Québécoises et Québécois ont recours aux banques alimentaires pour subvenir à leurs besoins. Selon Bilan-Faim, ils ont augmenté de 5,3 % l’an dernier. Sur les quelque 172 000 personnes qui y ont eu recours, 10,8 % avaient un revenu d’emploi. C’est pourquoi il est primordial d’augmenter le salaire minimum à 15 $ l’heure, alors qu’il se situe à 10,75 $ actuellement. Plus de 211 500 personnes travaillent au salaire minimum, soit 6 % de la main-d’œuvre québécoise. Près de 57 % d’entre elles sont des femmes et plus de 40 % sont âgées de plus de 24 ans. « Non seulement leur qualité de vie s’améliorerait, notamment grâce à l’augmentation de leur pouvoir d’achat, mais il y aurait aussi des effets bénéfiques sur l’économie. Puisque la satisfaction au travail augmenterait, le roulement de personnel dans les lieux de travail diminuerait, produisant un effet positif sur la productivité », soutient le président de la CSN.

Au printemps 2015, une étude de la Banque TD concluait que « la précarité d’emploi est néfaste pour l’économie canadienne. Sans l’assurance financière que procurent le salaire et les avantages sociaux associés à un emploi et à un horaire de travail stables, le consommateur hésite à dépenser. Les profits des entreprises demeurent ainsi en deçà de leur potentiel, ce qui amenuise l’optimisme des investisseurs. De plus, les recettes fiscales sont moins importantes et les dépenses publiques plus élevées afin de soutenir les personnes qui se retrouvent fréquemment sans emploi ou qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts ».

La précarité au sommet

Bien qu’il soit difficile de définir clairement ce qu’est un emploi atypique, il désigne habituellement le travail temporaire, intérimaire, autonome ou à temps partiel involontaire. Des emplois où l’instabilité financière est plus grande et dont les avantages sociaux sont nettement moins intéressants. Selon l’Institut de la statistique du Québec, environ 20 % des travailleurs syndiqués et non syndiqués occupent un autre type d’emploi que permanent à temps plein. Toutefois, la nature de l’emploi atypique n’est pas la même dans les deux groupes. Les milieux non syndiqués offrent davantage d’emplois à temps partiel permanents, alors que les emplois temporaires à temps plein sont plus répandus dans les milieux syndiqués.

Lors de ce Rendez-vous sur la main-d’œuvre, la conciliation famille-travail-études aurait une petite chance de se tailler une place dans les débats. Pour pallier le problème de pénurie de main-d’œuvre, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais, a émis le souhait, lors des consultations régionales de l’automne dernier, qu’il y ait davantage de travailleuses et de travailleurs formés en entreprise. Étonnant alors que son propre gouvernement a décidé, lors du budget 2015-2016, d’alléger le fardeau fiscal des PME : désormais, seules les entreprises qui ont une masse salariale supérieure à deux millions de dollars devront consacrer 1 % de leur budget à la formation. Auparavant, le seuil de la masse salariale était d’un million de dollars. Il y a donc deux fois moins d’employeurs assujettis à la loi. Une véritable rebuffade alors que la CSN milite pour une loi contraignante pour toute entreprise qui a une masse salariale de 250 000 $ et plus.

Et pour comble d’insulte, alors que les PME se désengagent de la formation, le milieu des affaires voudrait que les établissements d’enseignement arriment davantage leur formation aux besoins du marché du travail. Ce qu’on appelle couramment l’adéquation formation-emploi pour avoir des travailleurs « clés en main ». Or, la formation professionnelle et technique doit demeurer générique, et ce, particulièrement dans un contexte où le milieu de l’emploi est en constant changement.

Autre preuve que les dés sont pipés d’avance dans les orientations du gouvernement du Québec : le Conseil consultatif sur l’économie et l’innovation créé en octobre dernier, et présidé par Monique Leroux, est presque exclusivement composé de gens issus du milieu des affaires : Banque Nationale, CGI, Couche-Tard, Groupe Canam, EY, Claridge, McKinsey, Caisse de dépôt et placement du Québec.


Austérité en matière d’emploi

  • Compressions au Fonds de développement du marché du travail, à Emploi-Québec et dans les carrefours jeunesse-emploi (CJE).
  • Allègement de la Loi sur la formation de la main-d’œuvre (communément appelée loi du 1 %), qui ne cible que les entreprises dont la masse salariale est supérieure à 2 millions de dollars.
  • Disparition des conférences régionales des élus (CRÉ).
  • Démantèlement des centres locaux de développement (CLD) et des corporations de développement économique et communautaire (CDEC).
  • Gel d’embauche dans la fonction publique.

On ne peut pas parler des jeunes sans parler des moins jeunes

Le comité national des jeunes de la CSN a bien cerné les enjeux soulevés par les défis intergénérationnels en organisant son sixième rassemblement, en novembre dernier. Bien sûr, le sujet n’est plus nouveau, mais les défis, eux, sont plus que jamais d’actualité. Ancienneté, conciliation famille-travail-études, militantisme, disparités de traitement : les jeunes et les moins jeunes ont encore beaucoup de pain sur la planche.

Kevin Gagnon fait partie de cette nouvelle génération de militants syndicaux bien déterminée à changer les choses. Pragmatique, Kevin a grandi dans une famille « syndiquée ». Son père était président d’un syndicat, « on baignait là-dedans à la maison », nous raconte-t-il. Kevin a gravi une à une les marches de son organisation syndicale. À trente-cinq ans, il se retrouve à la tête d’un très gros syndicat, celui des travailleurs et travailleuses de l’usine Bridgestone de Joliette. Onze cents membres. Un syndicat qui, comme bien d’autres, a dû faire des choix douloureux. Des choix avec lesquels il doit maintenant composer. « Chez nous, le gros coup est arrivé en 2011. La situation économique n’était pas bonne, d’autres usines américaines avaient accepté des diminutions de salaire considérables pour garder leurs emplois. On a été forcés d’accepter des clauses de disparité. Avant la négociation de 2011, les nouveaux employé-es commençaient à 80 % de l’échelle salariale, pour obtenir 100 % de leur salaire en deux ans. Maintenant, c’est un départ à 70 % et ça leur demande six ans d’ancienneté avant d’obtenir un plein salaire. On a aussi dû accepter un régime de retraite à deux vitesses, ce qui fait que les plus anciens ont un régime à prestations déterminées et les plus jeunes sont pris avec un régime à cotisation déterminée. »

Ces clauses de disparité sont devenues à la longue une source de conflits entre les jeunes et les moins jeunes à l’intérieur de l’usine, ajoute Kevin Gagnon : « Depuis 2011, il y a environ 300 jeunes qui sont arrivés à l’usine et qui vivent aujourd’hui avec ces conditions de travail là, ça crée des tensions. »

Disparités nocives

« Les disparités de traitement, ça pourrit le climat de travail, ça diminue la solidarité. Pour un syndicat, c’est excessivement nocif , constate Patrice Jalette, professeur à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. La mise en place de disparités de traitement, c’est presque toujours une demande patronale. »

Doug Scott Lorvil, membre du comité national des jeunes, travaille au Centre de santé et de services sociaux d’Ahuntsic et Montréal-Nord. Il constate lui aussi que ces disparités de traitement sont extrêmement néfastes. « J’ai des exemples en tête qui me montrent que ces disparités ont fait en sorte que les jeunes sont moins mobilisés, ils n’ont plus le même sens du travail, le lien d’appartenance s’est effrité. »

Sa collègue du comité national des jeunes, Annick Patriarca, a vécu elle aussi dans son milieu de travail les effets destructeurs des disparités de traitement. « On a été obligés de négocier des clauses comme celles-là à la dernière convention collective et ça a provoqué un taux de roulement important des travailleurs à temps partiel, ils préfèrent aller ailleurs. »

Craintes et mauvaises perceptions

C’est souvent la peur et une mauvaise compréhension des enjeux qui provoquent l’adoption de clauses de disparités de traitement, touchant l’ancienneté, le salaire, les congés, les horaires de travail ou le régime de retraite, nous explique Kevin Gagnon. « Moi, j’ai vu une assemblée où les gens se prononçaient sans aucune gêne en faveur des clauses de disparité, parce qu’ils ne comprenaient pas les enjeux derrière leur vote. »

Les recherches menées par la professeure Mélanie Laroche, à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, montrent bien que la multiplication des clauses de disparité de traitement est souvent attribuable à la diminution du rapport de force des syndicats, à la baisse du taux de syndicalisation et aux mauvaises conditions économiques. Pour sauver des emplois, minimiser les dégâts, on négocie des concessions. Et même si la loi interdit les clauses de disparités salariales, elles sont toujours bien présentes dans certaines conventions. « Lorsqu’on regarde les dispa­rités salariales liées au salaire d’entrée, au salaire en fonction du statut d’emploi, à l’accès au maximum de l’échelle salariale, ce sont majoritairement des disparités interdites par la loi. Pourtant, au Québec, il y en a beaucoup, et cela, malgré l’existence d’une loi. »

Photo : Louise Leblanc

Autre constat surprenant, selon elle, « c’est qu’il y a plus de disparités salariales dans les vieux syndicats. Et quand il y a eu des concessions salariales, il y a aussi eu d’autres concessions négociées en matière de sous-traitance et d’organisation du travail. Des syndicats forts ont fait le choix de sacrifier une partie de leur main-d’œuvre pour maintenir des acquis »

Les défis des jeunes militants

Mettre fin aux clauses de disparités de traitement n’est pas une mince tâche, mais ce n’est pas le seul défi qui préoccupe les militants présents au 6e Rassemblement des jeunes de la CSN, tenu les 17 et 18 novembre dernier à Lac Delage, près de Québec.

Les jeunes présents ont témoigné sans réserve de leur attachement aux valeurs de l’ancienneté, de l’équité, de la justice et de l’engagement syndical. Mais en même temps, ils refusent le statu quo. Leur présence au sein des comités exécutifs risque de bouleverser les habitudes, de modifier la nature même de la vie syndicale. Les recommandations mises de l’avant par les jeunes de la CSN réclament une modernisation des structures et du discours syndical. Ils veulent un message clair, simple et qui leur est accessible. Tous insistent sur la nécessité de mieux informer les nouveaux arrivants, de faire de l’éducation, de déboulonner les vieux tabous, de convaincre et de susciter l’engagement des jeunes.

Annick Patriarca soutient que « les jeunes veulent être impliqués dans les processus, dans les choix, ils veulent une place dans le syndicat et une écoute auprès de l’employeur. Leur présence dans les comités exécutifs et les comités de négociation fait toute la différence. C’est leur absence des lieux de décision qui fait reculer la cause des jeunes ».

Mais pour s’engager, pour militer activement, il faut du temps. Parlez-en à Kevin Gagnon, jeune président du STT de l’usine Bridgestone de Joliette. Pour ce père de deux enfants, dont la conjointe milite aussi au sein de la CSN, les journées sont longues, les fins de semaine très courtes. Comme plusieurs, il souhaite une plus grande ouverture aux jeunes et la mise en place de pratiques qui favorisent la conciliation famille-travail-études. Il constate que les besoins des jeunes travailleurs sont aujourd’hui très différents de ceux d’il y a vingt ou trente ans. « L’année dernière quand on est arrivés en négociation, on a vu clairement qu’il y avait une brisure entre les générations, puisque les demandes étaient complètement différentes. Nous, nos demandes étaient axées sur la conciliation famille-travail, sur le temps de qualité qu’on va pouvoir passer à la maison. C’est ça notre priorité. D’ici 2019, il y aura chez nous 300 personnes qui seront admissibles à la retraite. C’est certain que le vent risque de tourner. »

Vers un nouvel équilibre

Les jeunes, autrefois minoritaires dans les organisations syndicales, sont en voie de devenir majoritaires dans plusieurs syndicats. Les priorités de négociation risquent de changer. On ne pourra pas éviter certains débats douloureux, mais essentiels, selon la professeure Mélanie Laroche, qui affirme que « pelleter par en avant n’est pas la solution ».

Malgré l’ampleur de la tâche, Kevin Gagnon demeure optimiste : « Je suis confiant, mais ça va prendre énormément de travail et de l’implication aussi de la part des nouveaux élu-es. Ça va prendre beaucoup de persévérance, ça prend des jeunes qui sont prêts à donner du temps. »

Mettre fin au saccage

Le 3 décembre dernier, deux manifestations se sont tenues devant les bureaux du député et premier ministre Philippe Couillard pour dénoncer les conséquences néfastes de l’opération de démantèlement des services de garde éducatifs en centres de la petite enfance, en milieu familial régi et en milieu scolaire, sur les travailleuses et les familles.

Des milliers de cartes ont été remises par huissier à Philippe Couillard pour réclamer la fin des compressions budgétaires, un réinvestissement majeur dans le réseau et l’abandon de la tarification modulée selon le revenu familial. Au total, près de 80 000 cartes postales ont été signées par la population et les travailleuses et travailleurs de toutes les régions depuis le lancement de la campagne de la CSN Un réseau qui fait grandir, le 28 février dernier. De ce nombre, 25 000 cartes avaient déjà été déposées à l’Assemblée nationale, le 15 mars dernier, pour réclamer du gouvernement un changement de cap.

« Le premier ministre Philippe Couillard doit se montrer sensible à cette démarche qui a permis de rejoindre un à un des parents, des salarié-es, des spécialistes et des personnalités de tous horizons et de toutes les régions, a lancé Véronique De Sève, vice-présidente de la CSN. Deux années d’austérité ont permis au gouvernement d’engranger des surplus de 3,9 milliards de dollars en 2015-2016, en plus de 1,5 milliard versés au Fonds des générations. Il a donc amplement les marges de manœuvre pour remettre le réseau sur ses rails. »

Un réseau mis à mal

Photo : Michel Giroux

Les compressions de 300 millions de dollars imposées depuis 2014 font très mal aux enfants et aux travailleuses et travailleurs. En CPE : diminution des heures consacrées à l’alimentation, à la désinfection et à l’entretien sanitaire, à l’accompagnement des enfants aux besoins spécifiques, ainsi que le non-remplacement du personnel. En milieu familial régi : baisse des ressources dédiées à l’aide pédagogique et à l’aide aux enfants ayant des besoins spécifiques. En milieu scolaire : réduction des achats de matériel ainsi que du temps de planification et de préparation au détriment de la diversité des activités offertes aux enfants.

En outre, les gouvernements libéraux successifs ont mis en place au fil des ans des mesures pour favoriser le développement de garderies commerciales : pour certaines, en leur accordant davantage de places à contribution réduite et, pour d’autres, en bonifiant le crédit d’impôt versé aux parents pour frais de garde. En 2003, ces garderies privées représentaient 16 % du total des places, contre 35 % aujourd’hui.

À bout de souffle !

« Ça ne peut plus continuer ! », ont affirmé en chœur Lucie Longchamps, représentante du secteur des responsables de service de garde en milieu familial (RSG), Louise Labrie, représentante du secteur des CPE, toutes deux de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN), et Gabrielle Messier, du Syndicat du soutien scolaire Chemin-du-Roy affilié à la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP–CSN). « Tout le monde est à bout de souffle tellement on nous oblige à faire plus avec beaucoup moins. C’est sans compter les effets sur la santé physique et psychologique de nos travailleuses et de nos travailleurs de même que pour les RSG qui, dans bien des cas, sont contraintes d’abandonner leur service de garde pour aller au secteur privé », ont conclu les représentantes.

La parole aux militantes

Jusqu’à maintenant, quatorze syndicats participant à la négociation coordonnée de l’hôtellerie ont obtenu une entente de principe avec leur employeur. Six militantes qui ont pris part à cette neuvième ronde de négociations nous parlent de l’expérience qu’elles viennent tout juste de vivre.


Une quinzaine de syndiqué-es inébranlables

Préposée aux chambres depuis 30 ans au Lord Berri, Laura Carrillo Calmet est présidente du STT de l’Hôtel Lord Berri–CSN depuis deux ans et s’implique dans son syndicat depuis environ sept ans.

Photo : Michel Giroux

« En plus d’avoir obtenu les éléments de la plateforme de la négociation coordonnée, nous allons également recevoir une rétroactivité de 1 %, ce qui a porté nos augmentations à 4 %, 3 %, 3 % et 4 % pour les quatre années de notre contrat de travail.

Nous avons aussi récupéré les jours fériés que nous avions perdus à cause d’une manœuvre volontaire de l’employeur. Notre ancienne convention prévoyait qu’il nous fallait travailler la veille et le lendemain de ces congés afin de toucher l’indemnité des fériés, clause qui a été retirée. Plusieurs autres demandes de reculs de l’employeur ont également été retirées grâce à notre mobilisation et à celle des autres hôtels. Nous avons porté les étoiles — symbole de la négociation coordonnée —, le foulard et le t-shirt, puis nous avons participé à la première grève du secteur le 9 septembre. Par la suite, face à notre mobilisation et juste avant l’adoption des cinq jours de grève, l’employeur a décidé de contacter son patron à Toronto pour obtenir le mandat de finaliser ce qu’il restait à régler.

La force de notre secteur nous a donné l’énergie et la détermination de mener notre négociation jusqu’au bout. »


Des moments solidaires forts

Julie Touchette est réceptionniste au Hilton Laval depuis près de 20 ans.

Photo : Michel Giroux
« Ça fait environ 12 ans que je m’implique dans mon syndicat. Au départ, j’étais délé­guée, puis j’ai occupé le poste de tréso­rière et celui de secrétaire, avant de revenir à la trésorerie.

Je suis une passionnée et j’ai toujours voulu aider les gens, défendre leurs droits, particulièrement dans leur milieu de travail. Plusieurs préposées aux chambres viennent tout juste d’arriver au pays et ce n’est pas toujours évident pour elles de revendiquer leur dû, de se faire respecter dans leur travail. Bien connaître les lois et nos droits, c’est l’essence même du travail que nous faisons avec elles. Ce travail nous a permis de bâtir une relation de confiance qui incite nos membres à venir nous voir dès qu’elles ou ils ont des questions ou des doutes.
Au début de la ronde de négociations qui a débuté en 2016, les échanges étaient plutôt tranquilles et lents, mais tout juste après le débrayage massif du 9 septembre, les événements se sont précipités jusqu’à l’obtention de notre entente de principe, le 14 septembre dernier. Les relations étaient bonnes, mais il nous a tout de même fallu exercer des moyens de pression pour que les pourparlers débloquent.

Le point le plus positif de cette négociation pour moi, c’est vraiment la solidarité. Nous avons vécu des moments forts avec nos collègues du Holiday Inn Laval qui travaillent tout juste de l’autre côté de l’autoroute 15. Notre mobilisation était au rendez-vous, nous avons pleinement atteint nos objectifs et tout le monde est vraiment content. »


Une militante convaincue

Louise Jobin est préposée aux chambres depuis 1985 et présidente du STT de Hilton Québec (CSN) depuis 2014.

Photo : Michel Giroux
« Dès ma première implication syndicale, je me suis fait élire sur le comité de négociation. À la première rencontre de négociation, j’ai vu le vrai visage de l’employeur et j’ai compris pourquoi il fallait que je m’implique. En 2005, j’ai été élue secrétaire de mon syndicat et j’ai remplacé la vice-présidence par intérim, juste avant de devenir présidente.

Même si j’en étais à ma quatrième négociation coordonnée, ce fut la première à titre de présidente. Elle m’a permis de saisir toutes les subtilités de ce type de négociation. C’est ingrat comme travail parce que si tu atteins tes objectifs, le monde est heureux, mais si tu échoues, c’est toi qui te retrouves sur la sellette.

Les liens durables qu’on a créés avec les autres syndiqué-es sont là pour rester. Plusieurs collègues s’inquiétaient pour les hôtels en conflit comme l’Hôtel Pur, qui a réglé depuis, et l’Hôtel Classique. Nos membres s’informaient régulièrement de leur situation. Et je peux vous dire que les employeurs veulent se débarrasser de la négociation coordonnée parce que justement, grâce à cette solidarité exemplaire, on obtient d’excellents résultats à la table de négociation.

Puisque la mobilisation au Hilton Québec a été exceptionnelle et qu’elle a donné la force qu’il fallait au comité de négociation, l’employeur a vite compris qu’il lui fallait régler. La négociation s’est très bien déroulée, nous avons été très bien conseillés pour la mener à terme et tous les membres du syndicat sont satisfaits. »


L’expérience d’une première négociation

Josée Latulippe est présidente du STT Ritz Carlton (CSN). Préposée aux chambres depuis 2002, elle travaillait auparavant à titre de pâtissière, depuis 1990.

Photo : Michel Giroux

« Je me suis impliquée environ deux ans en 2004-2005 et je suis revenue à la réouverture de l’hôtel, il y a quatre ans. Au tout début de la négociation, les rapports étaient cordiaux à la table, mais nous n’avancions pas très rapidement. Les échanges ont commencé à porter leurs fruits lorsque nous avons enclenché les moyens de pression.

Nous avons réussi à nous entendre in extremis avec l’employeur dans la nuit du 8 au 9 septembre alors que nous étions en conciliation, juste avant la tenue du débrayage massif de 24 heures adopté par les syndicats de la région montréalaise.

Malgré des relations de travail cordiales avec notre employeur, il avait déposé une série de demandes de reculs, finalement tombés par la suite. Nous avons obtenu les quatre éléments de la plateforme de négociation et tous les membres sont contents.

uisque je venais tout juste d’être élue, c’était ma première expérience de négociation à titre de présidente et je dois avouer que j’ai trouvé ça difficile, mais motivant et instructif. Quand tu es au centre de la négociation, tu as l’impression que ta tête est sur le billot. Les membres comptent sur toi pour atteindre les objectifs et disons que ça met de la pression sur le travail de négociation qui est déjà assez exigeant. Mais avec le recul, en observant les résultats que nous avons obtenus et la satisfaction des membres, je vois que tout s’est quand même bien déroulé. »


Le travail de l’ombre vers la lumière

D’origine portugaise, Aida Gonçalves est une militante de grande expérience.

Photo : Michel Giroux
« J’ai commencé à travailler au Marriott Château Champlain en avril 1989. Je m’implique dans mon syndicat depuis environ 25 ans et j’ai vécu presque toutes les négociations coordonnées. Je suis secrétaire depuis le tout début parce que j’aime travailler dans l’ombre.

À l’époque, on n’avait pas de congés fixes et nos horaires obligatoires changeaient tout le temps. Un jour, j’avais pris rendez-vous chez le médecin deux mois d’avance et la boss m’a dit que je n’avais pas le droit de prendre ce rendez-vous sans savoir si je travaillais ce jour-là. J’ai chialé contre ça. On était presque des esclaves à cette époque.

J’ai donc tout appris sur le terrain parce que dans le temps, nous étions avec les TCA [aujourd’hui Unifor], et ils ne sont pas très forts sur la formation. En 2003, on a décidé de joindre la CSN parce qu’on avait entendu parler de la négociation coordonnée.

Cette année, l’employeur a mis beaucoup de pression sur les membres du personnel de la réception pour qu’ils enlèvent leur foulard aux couleurs de la négociation coordonnée, mais tout le monde a résisté. L’hôtel était plein, on attendait des banquets de 500 personnes et la menace de la grève de 24 heures du 9 septembre a été l’élément qui a poussé l’employeur à régler au matin du 7 septembre.

En plus de la plateforme, nous avons réglé des problèmes qui duraient depuis plusieurs années. À titre d’exemple, le nombre de chambres qu’on doit faire chaque jour sur les étages où l’on ne retrouve que des lits à deux places a été réduit. On a aussi inclus dans la convention collective des rencontres du comité de relations de travail en présence du conciliateur pour discuter de la surcharge de travail dans les départements où il y avait de graves problèmes. Ce sont des gains locaux que nos membres sont très heureux d’avoir obtenus. »


On savait pourquoi on voulait se syndiquer

Sophie Lareau travaille à l’Hôtel Quality de Sherbrooke depuis près de 20 ans. Elle est présidente du STT de l’Hôtel Quality–CSN depuis qu’elle y travaille.

Photo : Michel Giroux
« Lorsque je suis arrivée ici, on gagnait 7 $ l’heure et on voulait être mieux payées. On savait pourquoi on voulait se syndiquer et, depuis ce temps, on a vraiment amélioré nos conditions de travail et la négociation coordonnée nous a beaucoup aidées. Même si notre réalité est différente des grands hôtels, regroupé avec les autres établissements, on bénéficie d’un excellent rapport de force.

La négociation s’est vraiment bien passée et, malgré le fait que la plateforme ne s’applique pas à tout le monde, on est allé chercher ce qu’on voulait. On est un petit hôtel et l’employeur nous connaît bien : quand on dit qu’on va agir, la mobilisation est là et on finit par obtenir ce qu’on veut. »


Au moment d’écrire ces lignes, une entente était intervenue à l’Hôtel Pur et à l’Hôtel Classique de Québec, mettant ainsi fin aux deux conflits de travail, et l’Hôtel des Gouverneurs de Montréal avait mis ses employé-es en lock-out, le 14 décembre 2016.

C’est le temps de s’inscrire

La formation continue n’est certainement pas valorisée au Québec, d’autant que le gouvernement Couillard a modifié la loi sur la formation, soustrayant ainsi des milliers d’entreprises à cette obligation d’investir l’équivalent de 1 % de leur masse salariale à la formation de leur personnel. À ce chapitre, le retard du Québec sur le reste du Canada est indiscutable, malgré les besoins en croissance liés aux changements technologiques. Pourtant, elle permet aux travailleuses et aux travailleurs de s’adapter aux bouleversements du marché de l’emploi et de maintenir leur capacité de mobilité et leur autonomie.

C’est pourquoi la CSN a lancé en 2003 les bourses Fernand-Jolicœur, soulignant ainsi les efforts des syndicats qui ont entrepris une démarche novatrice de formation en milieu de travail de même que ceux des militantes et des militants qui ont développé un projet individuel ou collectif de formation. Du même coup, la CSN rend hommage à l’un des artisans du service confédéral de formation, le camarade Fernand Jolicœur, qui a œuvré au service du mouvement de 1943 à 1966.

Avec ces bourses, la CSN veut aussi sensibiliser les membres à l’importance de la formation continue et encourager le développement de la formation continue en milieu de travail.

La CSN invite les membres et les syndicats à s’inscrire à csn.qc.ca/bourses, d’ici le 28 février 2017. Les noms des lauréates et des lauréats seront dévoilés au cours de la réunion du conseil confédéral qui se tiendra en mars 2017. Les bourses s’élèvent à 1000 $ pour les syndicats et à 500 $ pour les militantes et les militants.

Des solutions existent

La CSN participe activement à la réflexion et au débat entourant les pistes de solution pour un meilleur financement et une efficacité accrue du réseau. Entrevue avec Jean Lacharité, vice-président de la CSN.

Pourquoi la centralisation des services de santé et de services sociaux est-elle à éviter ?

— L’expérience de centralisation à outrance a été tentée en Alberta. Or, le gouvernement a compris qu’il allait vers l’échec et a fait marche arrière. Au Québec, la réforme Barrette est un mélange de toutes les missions de santé et de services sociaux ayant à sa base une vision très hospitalocentriste qui bousille le système. Il en découle un bouleversement du réseau et une surcharge de travail qui affecte négativement la qualité des services. On en a eu un exemple récemment avec les infirmières de Sainte-Justine. L’hypercentralisation du Dr Barrette, c’est aussi le projet Optilab, qui met en péril la sécurité des échantillons de laboratoire et dépouille les régions d’emplois de qualité au profit des grands centres. Ce sont des patients qui ne savent plus à quel saint se vouer pour obtenir un rendez-vous avec une travailleuse ou un travailleur social. Les acteurs de la centralisation sont déconnectés des besoins des bénéficiaires. Nous devrions plutôt nous rapprocher des clientèles.

Le réinvestissement annoncé dans le réseau public par le gouvernement vous apparaît-il suffisant ?

— Jamais ! Un réinvestissement récurrent de 300 millions après une coupe de plus d’un milliard, qui a permis au gouvernement d’engranger des surplus astronomiques, est une insulte à l’intelligence ! Le ministre poursuit sa réforme avec obstination en abolissant des postes et en fusionnant des services qui s’éloignent des patients. Il étouffe les CLSC par une ponction de leurs ressources pour les incorporer aux organismes à but lucratif que sont les groupes de médecine de famille. Le ministre a beau déclarer que le financement restera public, dans les faits, il privatise la dispensation de services. Pour juguler les problèmes qui éclatent partout, il faut plutôt un réinvestissement massif dans le système public.

La privatisation n’est-elle pas un moyen pour réduire les dépenses en santé et services sociaux ?

— Au contraire. Dans les pays qui financent leurs soins sur une base privée, on observe une nette augmentation des coûts. Au bout du compte, les gens payent plus pour en avoir moins. Les soins sont réservés aux mieux nantis ou à ceux qui sont bien assurés. De plus, le vieillissement de la population augmente la demande de services, ce qui crée un impact sur les finances du régime public. À la CSN, on préconise un retour à un système de santé complètement public. On a un joyau entre les mains qui est un élément majeur de notre filet de protection sociale. N’oublions pas qu’avant la création de la RAMQ, beaucoup de gens devaient se faire soigner à crédit.

Pourquoi la CSN prône-t-elle l’interdisciplinarité dans le réseau ?

— La complémentarité du travail est nécessaire à l’efficacité et à la qualité des services rendus ainsi qu’à l’utilisation optimale des ressources. Prenons le cas des personnes âgées : une travailleuse sociale intervient, ensuite une infirmière, sans trop savoir ce que la première a fait. Il faut briser les silos qui nuisent à tous points de vue. C’est vrai pour les CHSLD, pour les CLSC, pour les centres hospitaliers. Or, l’interdisciplinarité demande du temps, de l’énergie et encore une fois, du financement.

Y a-t-il d’autres pistes que la CSN aimerait explo­rer pour un meilleur financement du réseau ?

— Oui. On pourrait tenir des états généraux sur la situation du réseau dans son ensemble. Comme il s’agit des dépenses qui exercent le plus de pression sur le réseau, on pourrait y aborder le mode de rémunération des médecins et le régime d’assurance médicaments. Nous demandons aussi des états généraux qui porteraient spécifiquement sur le réseau des centres jeunesse du Québec.

Sur quoi faut-il se pencher dans les centres jeunesse ?

— Il faut cesser de fonctionner à la pièce. On observe d’année en année une augmentation des signalements et un délai d’attente avant la prise en charge qui varie entre 15 et 70 jours, selon les régions. À cela s’ajoute une insuffisance criante de ressources due au sous-financement que subissent les centres depuis plusieurs années. Encore en 2015, des compressions de 20 millions se sont abattues sur le réseau. Un moratoire et un refinancement s’imposent.

Pourquoi pensez-vous qu’il est nécessaire de se pencher sur la rémunération des médecins ?

— L’augmentation de la rémunération des médecins est faramineuse et la rémunération à l’acte médical ne fonctionne pas. Celle-ci a été responsable d’importants dépassements de coûts par le passé. Entre 2010 et 2015, les sommes reliées à la rémunération des médecins ont dépassé de 417 millions de dollars le seuil prévu. Qui plus est, le rapport 2015 de la Vérificatrice générale démontre que la RAMQ ne peut assurer le plein contrôle des 55 millions de demandes de paiement qui lui sont adressées par les médecins chaque année. Le contrôle inadéquat des factures des médecins a contribué à l’explosion des coûts. Il est temps d’avoir un débat de fond sur cette question.

Selon vous, pourquoi le système d’assurance médicaments n’est-il pas adéquat ?

— Le système hybride actuel fait grimper de façon excessive le coût des médicaments. Il est impératif de revoir la façon d’en fixer les prix et, par extension, de s’intéresser à la question de la surmédication. Le ministre le nie, mais il y a un problème qui existe là. Il a d’ailleurs dû le reconnaître durant son forum sur les bonnes pratiques en CHSLD. Nous insistons sur la nécessité d’un débat public sur le sujet.

Ne serait-il pas plus rentable d’insister davantage sur la prévention ?

— Absolument. La prévention est la mission première de la santé publique, et pourtant, elle disparaît peu à peu au profit du curatif. D’ailleurs, les libéraux ont coupé les budgets de santé publique de 30 %. Il y a quelque chose d’électoraliste dans le refus des gouvernements d’investir dans des politiques dont les effets ne sont pas visibles de façon immédiate. Pourtant, il s’agit d’une piste de solution très importante à moyen et à long terme.

Prix Pierre-Vadeboncœur 2016

C’est le professeur Normand Baillargeon qui a été désigné lauréat du prix Pierre-Vadeboncœur 2016 pour son essai La dure école, publié chez Leméac. Ce prix, remis une première fois en 2011, a été créé par la CSN pour honorer la mémoire du syndicaliste et essayiste décédé en 2010, il est doté d’une bourse de 5000 $.

Une nécessité environnementale

Au mois d’octobre dernier, la presse laissait filtrer des données venant de Recyc-Québec, qui dévoilaient les intentions de Québec sur la consigne publique. Selon l’information divulguée, l’organisme aurait l’intention de demander une consigne de 0,05 $ pour tous les contenants de moins de 900 ml, peu importe le contenu, à l’exception de la bouteille de vin.

Recyc-Québec estime que cette mesure mettrait fin aux disparités qui existent actuellement sur la consigne de contenants similaires. La solution envisagée a été vivement critiquée par l’industrie, qui anticipe les problèmes reliés à l’entreposage de ce milliard de contenants. Des études démontrent que le taux de récupération des canettes d’aluminium consignées à 0,05 $ est de 71 %, comparativement à 98 % pour la bouteille de bière qui, elle, est consignée à 0,10 $. Le taux de récupération chute radicalement pour les contenants non consignés comme les bouteilles d’eau.
Pierre Patry, trésorier de la CSN et responsable des dossiers d’environnement et de développement durable, accueille favorablement cette mesure. « Ça fait des années que les pouvoirs publics sont interpellés sur les risques importants pour l’environnement des contenants qui ne sont pas recyclés, tout particulièrement la bouteille d’eau. L’imposition d’une consigne permettrait de récupérer une quantité importante de ces contenants et cela ne pourrait qu’être bénéfique à long terme », explique-t-il.

Coup de pouce à la bouteille brune

Le passage de la consigne publique de 0,05 $ à 0,10 $ pour la canette de bière viendrait normaliser une situation qui désavantage la bouteille brune. La vente de bière étant soumise à un prix plancher, la canette est vendue moins cher que la bouteille pour la même quantité. Selon David Bergeron-Cyr, vice-président de la Fédération du commerce (FC–CSN), « la production de la bière en bouteille permettrait l’embauche de quatre à cinq fois plus de salarié-es tout en comportant d’importants avantages environnementaux. Pourtant, les brasseurs ont décidé de délaisser la bouteille brune en usant de stratégies de marketing agressives pour favoriser la canette. En uniformisant les consignes, le gouvernement viendrait rétablir légèrement la situation ».

Pourquoi pas la bouteille de vin ?

Le talon d’Achille de ces nouvelles mesures, c’est sans aucun doute l’exemption accordée à la SAQ pour la bouteille de vin. Alors que le gouvernement s’apprête à obliger les détaillants et les épiceries à entreposer plus d’un milliard de contenants, la société d’État échapperait à cette obligation. Difficilement défendable d’un point de vue environnemental, cette décision déçoit également le Syndicat des employé(e)s de magasins et de bureaux de la SAQ–CSN : « Nous sommes prêts depuis longtemps à travailler paritairement avec la SAQ pour trouver des façons de faire qui permettraient d’étendre la consigne à la bouteille de vin et ainsi réduire la quantité de verre perdue », soutient Alexandre Joly, président du syndicat.

Une mesure efficace, mais insuffisante

À elle seule, la consigne est insuffisante. En ce moment, des tonnes de matières recyclées prennent la direction des sites d’enfouissement, soit parce qu’elles sont contaminées par du verre, soit parce qu’elles ne trouvent pas preneur sur le marché international. « Non seulement il faut que la SAQ soit également soumise à la consigne pour sortir le verre des centres de tri, mais il faudrait aussi que cette matière puisse être transformée, ici, au Québec », affirme Nathalie Arguin, secrétaire générale de la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP–CSN). Même son de cloche du côté de la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM–CSN). Le président de la fédération, Alain Lampron, conclut en affirmant que « l’expertise pour traiter les matières plastiques, le métal ou le verre existe et il suffirait de soutenir le développement de ce secteur pour voir s’ériger une industrie viable »