On dit des « trous noirs » que même la lumière ne s’en échappe pas, pourtant, c’est tout le contraire qui s’est produit aujourd’hui dans l’Est du Québec, puisque du « trou noir » de l’assurance-emploi s’est dégagé un élan de solidarité et d’espoir. À l’appel du conseil central de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine et de celui de la Côte-Nord, ainsi que de groupes de chômage de l’Est du Québec et du Nouveau-Brunswick, plus d’une centaine de militantes et militants solidaires, et de chômeurs et chômeuses ont occupé une dizaine de bureaux de Service Canada afin de dénoncer les règles inacceptables de l’assurance-emploi du Canada qui privent de revenus de nombreuses personnes.
Le « trou noir » de l’assurance-emploi, un problème cruel et malheureusement récurrent
La problématique du « trou noir » n’est pas nouvelle, elle est en effet décriée par les groupes de chômeurs et par la CSN depuis de nombreuses années, mais le phénomène prend une ampleur plus importante cette année en raison des règles de calcul qui s’appliquent aux différentes régions. « Dans le fond, plus le taux de chômage est bas, plus on demande des heures pour se qualifier et plus le nombre de semaines de prestation auquel on a droit diminue. En février-mars, les gens n’ont plus de prestations et doivent attendre le retour du travail en avril ou en mai, selon l’emploi qu’ils occupent », explique Line Sirois d’Action chômage Côte-Nord. « Le problème n’est pas nouveau, mais il n’a jamais été aussi important, car aujourd’hui on parle de gens qui n’arriveront même pas à se qualifier à l’assurance-emploi », ajoute-t-elle.
Selon Line Sirois, il existe deux façons de faire face au « trou noir ». L’aide sociale pour les personnes seules ou qui ont un conjoint également touché, ou le crédit pour les autres « qui vivent à crédit jusqu’au retour du travail. Ils devront ensuite rembourser leurs dettes et reprendre leur souffle en attendant que tout cela recommence », dénonce madame Sirois.
Le couple Nancy Gendreau et Jimmy Pelletier de Forestville, vit actuellement la situation du « trou noir ». Alors que monsieur Pelletier a déjà perdu ses prestations depuis une semaine, madame Gendreau, elle, attend avec anxiété ce moment : « Dans deux semaines, c’est le néant pour nous », lance-t-elle avec angoisse. Elle et son conjoint multiplient les recherches d’emploi, mais il y en a peu dans leur secteur et ils refusent de quitter la Côte-Nord : « On ne veut pas s’exiler à Québec ou à Montréal, on a passé notre vie ici », poursuit-elle.
Le couple de Forestville n’est pas au bout de ses peines, l’année 2018-2019 s’annonce pire encore. « Cette année, l’emploi que j’occupe depuis cinq ans ne me permettra pas de me qualifier, je fais 554 heures par saison, et ça en prend 700 », explique Nancy Gendreau.
Richard Leblanc, des Îles-de-la-Madeleine, connaîtra le même sort à la fin du mois. Tout comme le couple Gendreau-Pelletier de Forestville, il multiplie les demandes d’emploi en vain. « Comme je reprends la pêche en avril ou en mai, ce n’est pas n’importe quel employeur qui est intéressé de m’engager pour un mois ou deux mois », indique-t-il. Bien qu’inquiet, le Madelinot prend la chose avec optimisme : « Moi, je suis chanceux parce que j’ai une conjointe qui travaille. J’évite la catastrophe grâce à elle. Si les deux nous perdions notre emploi, on devrait sûrement envisager partir des Îles. »
Nancy Gendreau et Jimmy Pelletier n’ont pas la même situation, ils croient devoir se résoudre à faire une demande d’aide sociale. « Quand t’es rendu dans une situation pareille, je trouve ça humiliant, et de loin. On fait juste transférer le problème du fédéral au provincial », confie Nancy Gendreau avec amertume.
La CSN au front pour mettre un terme au « trou noir »
C’est pour dénoncer ce phénomène injuste et inacceptable que les conseils centraux–CSN de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine et de la Côte-Nord ont entrepris une campagne de mobilisation au cours des dernières semaines. Soucieux d’accroître la pression sur le gouvernement, des efforts ont été faits pour élargir la mobilisation. « Ce matin, on voulait que la mobilisation prenne de l’ampleur. La Gaspésie et les Îles ont décidé d’embarquer avec nous, mais aussi des groupes de chômeuses et chômeurs du Nouveau-Brunswick », explique Guillaume Tremblay, président du Conseil central Côte-Nord. Déjà, en décembre dernier, le conseil central accompagné du groupe Action chômage Côte-Nord avaient occupé pendant 36 heures les bureaux du ministre Duclos à Québec. À ce moment, le ministre avait assuré aux militantes et militants qu’il se pencherait rapidement sur le dossier : « Visiblement, il s’en est occupé, mais pas dans le bon sens, parce que dans la région, au lieu de devoir faire 665 heures pour se qualifier pour 15 semaines, ça en prend maintenant 700 pour 14 semaines de prestations. C’est de pire en pire », affirme Guillaume Tremblay.
Les manifestantes et manifestants ne demandent rien de compliqué. « Nous avons décidé de faire cette action aujourd’hui en appui aux revendications que nous portons depuis plusieurs années auprès du gouvernement fédéral sur la question de l’assurance-emploi. Nous voulons qu’il change les règles de base d’admissibilité pour les prestataires pour éviter le “trou noir”. Ce n’est pourtant pas très compliqué », fait valoir Anatole Chiasson, président du Conseil central de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine–CSN. Guillaume Tremblay renchérit : « La caisse d’assurance-emploi génère des surplus toutes les années. Ce n’est pas le gouvernement qui remplit cette caisse, ce sont les travailleurs, les travailleuses et les employeurs. »
Dix occupations simultanées, et ce n’est pas fini!
À 10 h ce matin, les bureaux de Service Canada à Chandler, à Cap-aux-Meules, à Baie-Comeau, à Forestville, à Sept-Îles ainsi que cinq bureaux au Nouveau-Brunswick ont été pris d’assaut par des militantes et militants solidaires et par des chômeurs. Bien que tout ait été calme et paisible, Service Canada a préféré demander l’aide de la Sûreté du Québec pour faire expulser les occupantes et occupants.
Alors que la Sûreté du Québec évinçait les occupants des différents bureaux, Anatole Chiasson en est allé de cette annonce : « On ne lâchera pas, au contraire, on va rester mobilisé et on va sûrement augmenter la pression sur le gouvernement pour qu’il change rapidement les règles d’admissibilité. »
Tant au Conseil central Côte-Nord qu’à celui de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, on promet d’autres actions d’éclat et on demande aux militantes et militants de rester à l’affût.