Déjà, en 2013, la CSN se lançait dans une tournée majeure auprès de ses syndicats et dans les régions pour battre campagne en faveur d’un progrès social qui profite à toutes et à tous. La question d’un revenu décent est au cœur d’une telle revendication qui implique aussi une vision globale des services publics et des programmes sociaux. En effet, un filet de protection sociale efficace et répondant aux réalités vécues par la population est indissociable d’une telle campagne pour l’amélioration générale des conditions de vie et un meilleur partage de la richesse.
Dans cette vaste opération qui s’est déroulée sur le thème Et si on avançait, le progrès social dépend de nous, la CSN a identifié des axes d’intervention pour améliorer la qualité de vie de tous et qui venaient s’ajouter à la syndicalisation : un développement économique durable qui permet de créer de bons emplois, des services publics et des programmes sociaux de qualité, accessibles et universels, ainsi que des mesures visant à sécuriser le revenu tout au long de la vie.
« La lutte que nous menons depuis deux ans contre l’austérité du gouvernement Couillard, au même titre que notre engagement à nous défaire des conservateurs et de leurs politiques antisyndicales et antisociales, s’inscrit dans ce même objectif, explique le président de la CSN, Jacques Létourneau. Le démantèlement de l’État, comme pivot du développement économique et social, est au cœur de la stratégie des libéraux provinciaux et contribue directement à l’appauvrissement collectif du Québec. Nous avons la responsabilité de le stopper ! »
Un revenu décent
Intervenant à Saguenay, dans le cadre de la Journée internationale des travailleuses et des travailleurs, le président de la CSN avait défini ainsi les moyens pour sécuriser le revenu des Québécoises et des Québécois : « Nous devons collectivement et solidairement revendiquer un revenu décent pour tout le monde en proposant de relever les montants des prestations d’aide sociale, de hausser de façon significative le salaire minimum et d’adopter une loi favorisant le droit pour toutes et tous d’être couverts par un régime de retraite auquel chacun des employeurs cotiserait. »
C’est en ce sens que la CSN s’est opposée au projet de loi 70 qui, sous prétexte de permettre « une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi », représente un important recul du filet social québécois par une réforme de l’aide sociale. Avec une prestation de 726 $ par mois, une personne seule ne peut actuellement pas couvrir la moitié des besoins de base reconnus. Le projet de loi 70 pourrait impliquer une coupe de 224 $ à ce montant.
La question d’un régime de retraite accessible à toutes et tous est aussi fondamentale. « Plus de 60 % des Québécoises et des Québécois n’ont aucun régime complémentaire de retraite, ajoute Jacques Létourneau. Dans une stratégie globale visant à sécuriser les revenus, une revendication d’instaurer un tel système prend tout son sens. »
15 $ l’heure, c’est possible ?
Au Québec, est-il possible d’envisager un tel salaire minimum ? Économiste au Service des relations du travail de la CSN, Josée Lamoureux estime que la question fondamentale est plutôt de considérer le type de société auquel nous aspirons.
« Maintenir le salaire minimum à un bas niveau, c’est encourager la création d’emplois mal rémunérés et la dévalorisation des employé-es, explique-t-elle. Concevoir un salaire minimum qui sortirait les gens de la pauvreté obligerait les employeurs à considérer un autre modèle d’affaires. Il n’est pas normal qu’un individu qui travaille à temps plein doive recourir aux banques alimentaires pour s’en sortir ou faire vivre sa famille. » Or, c’est le cas de plusieurs personnes qui travaillent au salaire minimum, établi à 10,75 $ l’heure depuis le 1er mai dernier.
Selon Josée Lamoureux, les entreprises verraient aussi plusieurs avantages à hausser le salaire minimum à 15 $ l’heure : « Les travailleuses et les travailleurs se sentiraient moins exploités, leur satisfaction au travail s’en trouverait améliorée, le roulement de personnel diminuerait et la productivité serait en hausse, diminuant d’autant l’impact des coûts d’une telle mesure. » En outre, le pouvoir d’achat des ménages augmenterait, un point positif pour l’économie.
« Un des problèmes au Québec tient au fait que le salaire de nombreux travailleurs et travailleuses est tout simplement trop bas, soutient Josée Lamoureux. Un salarié sur quatre (26 %) gagne moins de 15 $ l’heure. C’est nettement insuffisant pour vivre décemment. » En 2015, la rémunération hebdomadaire moyenne au Québec se situait à 868 $, soit moins que les 952 $ à l’échelle canadienne. Sur un an, l’écart est de plus de 4300 $ !
Selon l’économiste de la CSN, « lorsqu’il est question d’augmentations de salaire, il est rarement question du niveau de rentabilité et des exigences de rendement des entreprises, ajoute-t-elle. En outre, leurs charges fiscales n’ont cessé de diminuer au cours des dernières années. Elles sont moins imposées, font plus de profits, et ça se répercute peu sur le salaire de leurs employé-es. »
À ce titre, il faut noter que la fiscalité des entreprises au Québec correspond à près de la moitié de celle qui existe aux États-Unis, et est inférieure à celle qui est établie ailleurs au Canada. Ainsi, le fardeau fiscal des entreprises a grandement diminué au Québec, le taux effectif marginal d’imposition sur l’investissement passant de 34,5 % en 1998, à 24,1 % en 2008, puis à 18,8 % en 2012.
Par ailleurs, le concept de « salaire viable » est au cœur des revendications de plusieurs mouvements sociaux en Amérique du Nord qui réclament un salaire minimum suffisant pour sortir un travailleur ou une travailleuse de la pauvreté. Ce seuil considère l’ensemble des dépenses d’une famille pour des activités jugées normales, mais aussi pour participer à la vie économique, culturelle et sociale. Il inclut donc des dépenses qui excèdent les besoins de base. Au Québec, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) est arrivé à 15,10 $, après avoir fait la moyenne des salaires viables dans un échantillon de cinq villes importantes.
Une mobilisation d’envergure
Aux États-Unis, une remarquable mobilisation a permis de hausser le salaire minimum à 15 $ l’heure dans certaines villes et certains États. À Seattle, par exemple, il grimpera à ce niveau en 2021. Dans les États de Californie et de New York, le salaire minimum atteindra graduellement ce seuil suivant des mécanismes différents en fonction des entreprises.
De ce côté de la frontière, plusieurs organisations revendiquent un salaire minimum à 15 $ l’heure. En juin, le conseil confédéral de la CSN a pour sa part voté en faveur d’une campagne pour le relèvement le plus rapidement possible du salaire minimum à 15 $, dans le cadre d’alliances les plus larges possible pour y arriver, et d’un mécanisme annuel d’ajustement. « Pour atteindre cet objectif, et celui visant l’amélioration des normes du travail, il est essentiel de nous unir aux autres organisations progressistes, y compris celles qui œuvrent auprès des non-syndiqués », a fait valoir le président de la CSN.
Déjà, plusieurs groupes prévoient organiser des mobilisations autour de la Journée mondiale pour le travail décent, le 7 octobre. « La CSN sera assurément de ce rendez-vous. Un salaire minimum à 15 $ l’heure, c’est une revendication qui est atteignable », conclut Jacques Létourneau.
Coup d’œil sur le salaire minimum au Québec en 2015
- 6 % de la main-d’œuvre, soit 211 500 salarié-es, dont 56,7 % de femmes et 43,3 % d’hommes, gagnent le salaire minimum.
- 60,9 % des personnes touchant le salaire minimum ont entre 15-24 ans ; 18,7 % ont entre 25 et 44 ans ; 9,2 % ont entre 45 et 54 ans et 11,3 % ont plus de 55 ans.
- 50 % des travailleurs au salaire minimum ne sont pas aux études (en 2012).
- 47,1 % des personnes gagnant le salaire minimum ont des études postsecondaires et 8,8 % un diplôme universitaire.
- La très grande majorité de ces salarié-es ne sont pas syndiqués.
- 38,3 % des salarié-es payés au salaire minimum œuvrent dans le secteur du commerce ; 25,6 % dans ceux de l’hébergement et de la restauration.
- 26 % des salarié-es reçoivent un salaire horaire égal ou inférieur à 15 $, soit 22 % des hommes et 31 % des femmes (en 2014).
Une hausse du salaire minimum a un effet d’entraînement sur les salaires qui se situent au-dessus.