Le 21 novembre prochain marquera le 20e anniversaire de la Loi sur l’équité salariale. Vingt ans de victoires, certes, mais encore bien du chemin à parcourir. Depuis les années 1970, la CSN s’investit dans cette importante lutte et en fait une priorité, elle revendiquera notamment l’adoption d’une loi contraignante visant à obliger les employeurs à éliminer la discrimination salariale à l’égard des emplois majoritairement occupés par les femmes. Grâce à la solidarité d’un large mouvement, une mobilisation sans précédent conduit finalement à l’adoption d’une loi proactive en matière d’équité salariale. Une grande victoire pour les femmes !
La Loi sur l’équité salariale adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 21 novembre 1996 vise à mettre fin à la discrimination salariale dont sont victimes les femmes parce qu’elles travaillent dans des catégories d’emplois à prédominance féminine. C’est l’application du principe du « salaire égal pour un travail de valeur équivalente ». Chaque entreprise de dix employé-es et plus doit vérifier si sa structure de rémunération est discriminatoire à l’égard des emplois à prédominance féminine et si tel est le cas, apporter les correctifs salariaux nécessaires.
L’adoption de cette loi proactive a, encore une fois, marqué le caractère distinct du Québec. En effet, même si le gouvernement fédéral et quelques provinces avaient, par le passé, adopté des lois visant à éliminer la discrimination salariale fondée sur le sexe au sein du secteur public, aucune ne touchait le secteur privé et ne présentait le caractère proactif de la loi québécoise. Cette loi fait d’ailleurs encore aujourd’hui figure d’exception, et sert de modèle à travers le monde. Le gouvernement fédéral, qui avait pourtant adopté en 2009 une loi interdisant aux fonctionnaires de porter plainte en matière d’équité salariale auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, s’en inspire aujourd’hui. Il produira d’ailleurs sous peu une nouvelle mouture pour que l’équité salariale devienne enfin une réalité pour les fonctionnaires fédérales et les travailleuses des entreprises de juridiction fédérale implantées partout au Canada.
L’adoption de la Loi sur l’équité salariale a constitué un jalon important pour l’avancement du droit des femmes au Québec, mais elle n’est pas parfaite. En effet, celle-ci ne vise que les entreprises de 10 salariés-es et plus, ce qui laisse comme seul recours à des milliers de femmes victimes de discrimination salariale, le processus de plaintes auprès de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse.
La loi a aussi fait l’objet de contestations judiciaires déterminantes. Parmi ces recours, mentionnons l’opposition unanime des organisations syndicales relativement au chapitre IX de la loi, qui exemptait de leur obligation les employeurs qui avaient fait une démarche d’évaluation des emplois dans leur entreprise avant l’entrée en vigueur de la loi. L’application du chapitre IX a fait en sorte que la Commission de l’équité salariale a systématiquement accepté ces démarches, même si elles ne répondaient pas aux exigences de la loi. En janvier 2004, cette partie de la Loi sur l’équité salariale a été déclarée inconstitutionnelle. À la suite de cette importante décision, ces employeurs, incluant le gouvernement du Québec, ont été obligés de réaliser un véritable exercice d’équité salariale et de corriger les écarts salariaux discriminatoires constatés au sein de leur entreprise. Il s’agit là d’une victoire majeure.
Des gains sans précédent
Depuis l’entrée en vigueur de la loi, on constate une réduction des écarts salariaux entre les hommes et les femmes au Québec. Entre 2000 et 2010, l’écart entre le salaire horaire des femmes et des hommes a diminué de 4,6 %, passant de 16,51 % à 11,93 %. Il est clair que la Loi sur l’équité salariale a eu des conséquences positives, mais il reste du travail à faire. En début d’année 2015, les entreprises québécoises de dix employé-es et plus déclaraient avoir réalisé l’équité salariale dans une proportion de 83 %.
« Parmi les milieux où l’équité salariale a fait une énorme différence, je pense tout de suite au cas des préposées aux chambres, dans le secteur de l’hôtellerie. Dans les CPE, les éducatrices ont obtenu près de 9 % d’ajustement ! Pourtant la bataille n’est pas terminée dans ce dossier, puisqu’il n’y a pas eu de rétroactivité en raison des délais et du fait que les CPE n’avaient pas de comparateur masculin, explique Francine Lévesque, première vice-présidente de la CSN et responsable des dossiers d’équité salariale. Les brigadières du secteur municipal ont aussi vu leur rémunération augmenter. Il y a tellement de milieux où ça a fait une différence. Dans le secteur public aussi ça a été important. Ce sont 326 000 personnes regroupées dans 130 catégories d’emplois à prédominance féminine qui ont obtenu un ajustement alors que le gouvernement prétendait que sa structure salariale n’était pas discriminatoire. Il y a plus de 4 milliards de dollars qui ont été versés pour l’équité dans la foulée de l’exercice initial. C’est clair que notre mobilisation a porté ses fruits ! »
Des difficultés réelles
Dans la foulée de l’adoption de la loi, plusieurs intervenants ont fait valoir la nécessité de réaliser des programmes d’équité salariale distincts pour les groupes syndiqués qui en faisaient la demande. Pourtant, dans une entreprise, la rémunération répond à une logique globale et il faut tenir compte de l’ensemble des emplois masculins pour prendre toute la mesure de la discrimination subie par les catégories d’emplois à prédominance féminine.
La loi a quand même été adoptée en permettant des programmes distincts au sein d’une même entreprise touchant des groupes d’employé-es différents. Un syndicat peut donc obtenir son propre programme d’équité salariale même s’il ne compte que des catégories d’emplois à prédominance masculine. Les catégories d’emplois à prédominance féminine seraient alors privées de plusieurs emplois parmi les plus rémunérateurs aux fins de comparaison. Nous vivons encore aujourd’hui avec les programmes distincts et leurs conséquences.
Jusqu’en 2009, l’employeur était responsable de s’assurer en tout temps que les écarts salariaux discriminatoires ne se recréent pas au fil du temps dans son entreprise. Malheureusement, les employeurs n’ont pratiquement rien fait à ce chapitre et très peu de syndicats et de salariées ont porté plainte lorsque l’équité salariale n’était pas maintenue. Si la loi était claire quant à la marche à suivre pour la réalisation du programme initial d’équité salariale, elle l’était beaucoup moins dans le cas de son maintien. C’est ainsi que la première révision de la loi a donné lieu à d’importantes modifications législatives au printemps 2009, dont l’obligation pour l’employeur de vérifier si l’équité salariale est maintenue, et ce, tous les cinq ans, sans effet rétroactif. L’employeur peut également réaliser seul l’évaluation du maintien. La principale difficulté rencontrée dans ce cas reste le manque de transparence des employeurs et l’accès quasi inexistant aux informations ayant servi à maintenir l’équité, les employeurs prétextant la confidentialité. Il est bien difficile de se plaindre quand on n’a pas d’information !
Depuis 20 ans, la CSN a accompagné des centaines de syndicats sur le chemin de l’équité salariale. Que ce soit lors de la réalisation de l’exercice initial, lors de processus de conciliation de plaintes ou lors de l’évaluation du maintien de l’équité, les syndicats de la CSN ont pu compter sur l’appui et l’expertise du mouvement. Cependant, on ne peut pas se permettre d’envisager l’avenir avec naïveté. Les difficultés qui se sont dressées au fil du temps doivent servir de base pour revendiquer des bonifications à la Loi sur l’équité salariale, de meilleures mesures de contrôle auprès des employeurs récalcitrants, et un meilleur soutien de la part de la vice-présidence à l’équité salariale de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).
Il s’agit là d’enjeux importants qui doivent faire l’objet d’une réflexion approfondie de la part de la CNESST et de propositions concrètes de la part du gouvernement en prévision de la révision de la loi prévue pour 2019.
Des perspectives pour l’avenir ?
Pour Francine Lévesque, il est clair qu’il reste encore beaucoup de travail à faire et que le maintien de l’équité n’est pas encore un acquis : « Dans nos milieux syndiqués, les personnes qui font le travail au quotidien n’ont souvent pas leur mot à dire sur l’évaluation du maintien de l’équité lorsque l’employeur décide de faire cavalier seul. Dans les faits, nos militantes et militants sont alors exclus du processus et aucune information ne leur est transmise. C’est aberrant. » La vice-présidente de la CSN estime que la loi doit permettre une meilleure participation des syndicats. « N’oublions pas que cet exercice a un impact sur leur négociation par la suite ! », s’exclame-t-elle. Elle note d’ailleurs qu’une réelle différence se fait sentir là où la collaboration a été bonne avec les employeurs ; les syndicats adhèrent alors davantage à la démarche et peuvent faire valoir leur point de vue. « Ce sont ces militantes et militants qui connaissent le mieux les emplois et la réalité quotidienne du travail. Il faut qu’ils puissent être partie prenante de cet important processus. »
Dans les milieux non syndiqués, c’est encore plus dramatique. Les femmes qui y travaillent n’ont assurément pas les mêmes moyens pour faire valoir leurs droits. On prend toute la mesure de l’écart entre les ressources de l’employeur et celles de ces travailleuses. « La vice-présidence à l’équité salariale de la CNESST devrait offrir davantage de soutien dans ces milieux. Sans moyens réels, la réalité quotidienne rattrape ces femmes. C’est vrai dans nos milieux syndiqués, mais c’est encore plus criant dans les milieux non syndiqués », soutient Francine Lévesque.
La CNESST a un rôle primordial à jouer dans l’application de la loi. Le processus d’enquêtes de conformité mis en place depuis quelques années devrait être systématisé et mieux encadré. « Avec l’expérience, nous constatons que les employeurs ont besoin de soutien. À l’heure actuelle, alors que les milieux de travail devraient avoir développé une expertise en équité salariale, on observe que les consultants ont pris toute la place. Il faut s’attaquer à ces enjeux dans la perspective de la révision de la loi annoncée pour 2019 », conclut madame Lévesque.