Comme chaque année, ce sont plusieurs milliers de travailleurs migrants saisonniers qui arrivent avec le printemps dans les zones rurales du Québec.
Venant principalement du Mexique et du Guatemala, ces travailleuses et travailleurs viennent combler la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur agricole. Du moins, ce sont là les prétentions des gouvernements du Canada et du Québec. La réalité, quant à elle, indique plutôt que ce sont les conditions de travail difficiles qui font que les Québécoises et Québécois ne répondent pas à l’appel des employeurs agricoles.
Au cours des dix dernières années, le nombre d’étrangers qui ont obtenu des permis de travail temporaire, soit par le volet agricole du Programme des travailleurs étrangers temporaires peu spécialisés (PTÉT-PS) ou le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS), a presque doublé. Les chiffres de 2016 font état de près de 10 000 travailleurs du Mexique et du Guatemala embauchés par les producteurs agricoles québécois. Avec la croissance importante de cette main-d’œuvre, on aurait pu s’attendre à ce que des mesures soient mises en place pour améliorer la qualité de vie de ces ouvriers, ce qui n’est pas le cas.
Du rêve à la dure réalité
Journées de travail de 12 heures et plus, salaires dérisoires, exposition à des produits toxiques, logements exigus et parfois insalubres : le quotidien des travailleurs migrants dans le domaine de l’agriculture est souvent bien loin de ce que les agences de placement leur promettent lorsqu’elles les recrutent dans leur pays d’origine.
Selon Noé Arteaga, intervenant au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI), la situation est très préoccupante. « Malheureusement, on ne constate pas d’amélioration des conditions de travail. Ce qu’on voit, c’est surtout une plus grande médiatisation des enjeux qui touchent les travailleurs agricoles saisonniers. Nous avons quand même espoir que cette publicisation amène plus de gens à se préoccuper du sort de ces travailleurs et que cela entraîne de réelles avancées sur le terrain. »
Et la syndicalisation ?
Contrairement à plusieurs autres provinces, le Québec ne dispose pas d’une législation qui encadre la protection des droits des travailleurs migrants. De plus, pour les ouvriers agricoles saisonniers du Québec, la lutte pour le droit à la syndicalisation ressemble à un véritable chemin de croix.
En 2010, après 10 ans de lutte, l’ancienne Commission des relations du travail (CRT), aujourd’hui le Tribunal administratif du travail (TAT), ouvrait enfin la porte à la syndicalisation des milliers de travailleurs étrangers embauchés par des producteurs agricoles québécois. La CRT accordait alors le droit de se syndiquer à six travailleurs mexicains employés par la ferme L’Écuyer & Locas de Mirabel, dans les Laurentides. La décision déclarait inconstitutionnel un article du Code du travail qui empêchait l’accréditation des travailleurs d’une ferme lorsque celle-ci n’employait pas ordinairement et continuellement au moins trois personnes. La CRT concluait que l’article en question était contraire aux articles des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés garantissant la liberté d’association.
Un jugement rendu par la Cour supérieure en mars 2013 venait confirmer cette décision, permettant ainsi la syndicalisation de tous les travailleurs agricoles, peu importe la taille de l’entreprise qui les embauche et le caractère temporaire ou permanent de leur travail.
Malheureusement, les réjouissances furent de courte durée puisqu’en juin 2014, Sam Hamad, alors ministre du Travail, présentait le projet de loi 8, qui venait limiter à nouveau le droit des travailleurs saisonniers agricoles de se syndiquer. Cette loi, adoptée en octobre de la même année, ramène la notion d’un minimum de trois salarié-es permanents pour permettre la syndicalisation des employé-es d’une entreprise. Pour les travailleurs dont la situation d’emploi ne répond pas à cette exigence, la loi 8 propose la possibilité de former des « associations ». Cesdites associations n’ont évidemment pas le droit de grève et ne sont pas reconnues par le Code du travail, ce qui les prive d’un quelconque rapport de force.
Tracer la voie vers l’autonomisation
Pendant que les cours de justice et les politiciens se renvoient la balle, les ouvriers agricoles voient leurs droits bafoués, année après année. « Pour les travailleurs migrants temporaires, un des plus grands défis, c’est l’accès à l’information. Comment peuvent-ils jouir de leurs droits sans l’information adéquate et sans les ressources pour les défendre », se questionne M. Arteaga.
Dès leur arrivée, ces travailleurs qui ne parlent qu’espagnol sont amenés en région et se retrouvent isolés, avec comme seuls interlocuteurs l’employeur et un représentant de l’organisation FERME (Fondation des Entreprises en Recrutement de Main-d’œuvre agricole Étrangère). Cette organisation toute-puissante, qui est essentiellement une agence de placement représentant plus de 350 producteurs agricoles, fournit très peu, ou pas du tout, de documentation aux nouveaux arrivants. Selon M. Arteaga, FERME fait définitivement partie du problème. « Cette organisation ferme les yeux sur la discrimination systémique subie par les travailleurs. Sa mission est claire : défendre les intérêts des producteurs. Au CTI, nous croyons qu’une formation donnée aux ouvriers étrangers dès leur arrivée, par des organisations de défense des droits, pourrait améliorer grandement le sort de cette main-d’œuvre agricole. Une chose est sûre, pour qu’un vrai changement s’opère, ça prendra une mobilisation large pour soutenir ces travailleurs vulnérables. » La CSN, qui soutient le CTI depuis plusieurs années en donnant un appui pour le développement de projets axés sur l’action collective, sera de cette mobilisation.
Noé Arteaga arrive au Québec en avril 2008 en tant que travailleur étranger temporaire. Recruté dans son pays natal, le Guatemala, par une agence canadienne de placement d’ouvriers agricoles, il devient employé du producteur de tomates Savoura et commence à travailler dans les serres de l’entreprise à Saint-Étienne-des-Grès, tout près de Shawinigan.
Au mois de juillet, un de ses collègues chargé de l’épandage de pesticides, tombe gravement malade. À la suite du refus de l’employeur d’amener le travailleur à l’hôpital, M. Arteaga organise un arrêt de travail auquel participe la majorité des employés des serres. Il interpelle aussi son superviseur au sujet des horaires qui forcent les ouvriers à travailler jusqu’au milieu de la nuit, en pleine noirceur, puisque l’entreprise a choisi de ne pas éclairer les serres pour sauver des coûts d’électricité.
Quelques jours plus tard, au début du mois d’août, M. Arteaga reçoit un avis de congédiement. Un représentant du Consulat du Guatemala l’appelle et lui dit de faire sa valise, sans lui donner aucune autre information sur les raisons de son départ imminent. Le lendemain, il est amené à l’aéroport et mis sur le premier avion pour le Guatemala.
En 2009, Noé Arteaga revient au Québec et entame une poursuite contre Savoura pour congédiement illégal. Le 11 décembre 2014, après cinq ans de procédures judiciaires, Me Francine Lamy, du Tribunal d’arbitrage de la CRT, statue que le congédiement de M. Arteaga était injustifié. Dans sa décision, Me Lamy affirme « que le plaignant a été victime de discrimination interdite dans ses conditions de travail et dans le contexte de son renvoi, car fondée sur son origine ethnique et nationale et sa langue, en contravention avec la Charte des droits et libertés de la personne ».
Pour M. Arteaga, c’est une victoire importante, même s’il n’a touché aucune compensation financière en raison de la faillite de Savoura, en mars 2015. Mais, ajoute-t-il, ce n’est que le début de la lutte : « Pour un cas comme le mien, avec un dénouement heureux, il y a des centaines de vies brisées. Des migrants pour lesquels leur séjour au Canada est un réel cauchemar qui se vit en silence. Nous devons mettre fin à cette forme sournoise d’exploitation et nous assurer que les droits de ces travailleurs sont respectés, sans discrimination. »