Dans le mémoire qu’elle a déposé ce matin à Québec, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) demande au gouvernement Couillard de remiser le rapport de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, le rapport Godbout, et de plutôt ouvrir un véritable dialogue social pour débattre de la finalité de l’État québécois et des moyens d’assurer une véritable croissance économique. S’il agissait ainsi, il respecterait sa promesse prise lors de la dernière campagne électorale.
« Le président de la commission, Luc Godbout, affirme que son rapport est indivisible, a commenté le président de la CSN, Jacques Létourneau. L’appliquer dans son intégralité serait hautement nuisible pour le Québec, car il causerait un appauvrissement de la classe moyenne tout en accroissant les inégalités et en dénaturant le rôle de l’État québécois tel qu’il a été érigé depuis les 50 dernières années. Nous mettons aussi en garde le premier ministre de ne choisir que les recommandations qui lui conviennent, comme les baisses d’impôts ou les hausses de tarifs. L’effet serait encore plus dévastateur pour la population du Québec. »
Des dés pipés
À l’instar de la Commission sur la révision permanente des programmes, le mandat de la commission Godbout s’inscrivait dans la vision du gouvernement libéral de réduire la taille de l’État, de diminuer le fardeau fiscal des particuliers et des entreprises, et de faire des compressions dans les services publics et les programmes sociaux, alors que le PLQ n’a certainement pas reçu ce mandat lors de son élection, en avril 2014.
« Les dés étaient pipés d’avance, a mentionné le président de la CSN. La commission ne propose donc aucun nouveau revenu pour l’État, malgré les besoins criants. Ses recommandations conduisent plutôt à substituer aux impôts des hausses de tarifs et de taxes à la consommation. Nous estimons, au contraire des prétentions de la commission Godbout, que le recours à ces sources de revenus régressives et à une réduction du financement public de l’ensemble des programmes sociaux et des services gouvernementaux, comme la santé et l’éducation, auraient des effets néfastes sur la croissance économique et sur la qualité de vie de la population, en particulier des classes moyennes et populaires. « Avec ses recommandations qui réduisent de façon draconienne le rôle que joue la fiscalité dans notre société, la commission Godbout donne de sérieuses justifications au régime d’austérité du gouvernement Couillard », d’ajouter le président de la CSN.
Une méthode contestable
Pour parvenir aux conclusions qu’il tire visant à réformer la fiscalité afin de stimuler la croissance économique, la commission Godbout s’appuie fortement sur le modèle d’équilibre général du ministère des Finances du Québec (MEGFQ). Ce modèle d’analyse est présenté comme une vérité absolue, une boîte noire désincarnée et neutre, en fait, qui opèrerait d’une façon objective et infaillible en posant comme hypothèse l’existence d’un équilibre parfait entre l’offre et la demande sur tous les marchés. « Or, la plupart des économistes reconnaissent que l’économie réelle n’est jamais en équilibre, de dire le trésorier de la CSN, Pierre Patry. Recourir à ce modèle pour analyser un transfert des formes progressives des revenus de l’État vers des sources régressives comme les taxes à la consommation ou les tarifications, comme le fait la commission, est hautement contestable et hasardeux. Il est impossible de prétendre qu’il en résulterait automatiquement la création de quelque 20 505 emplois et une hausse du PIB de 2 milliards de dollars sur cinq ans ! La commission Godbout semble avoir percé le secret de la pierre philosophale en recourant à cette méthode qui repose sur une foule d’hypothèses comportant toutes une grande part d’incertitude. »
Une vision réductrice
Pour la CSN, le rapport présente une vision réductrice de la fiscalité en ce qu’il occulte sa fonction première de financer adéquatement les services publics et les programmes sociaux et de redistribuer la richesse. Il ne considère pas non plus le rôle essentiel qu’elle joue dans le développement d’une société à tous les niveaux, qui, selon la commission Godbout, ne serait tributaire que des activités du secteur privé. De façon générale, la CSN estime que les hausses de taxes et de tarifs proposées dans le rapport Godbout sont inacceptables, non seulement parce qu’elles contreviennent au principe d’équité mais aussi parce qu’elles sont susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la croissance économique. En outre, le rapport est muet sur la lutte qui doit être menée contre l’évasion fiscale, l’économie souterraine et les paradis fiscaux, des champs sur lesquels le gouvernement doit définitivement agir en priorité.
Un changement de paradigme
Dans le mémoire qu’elle dépose aujourd’hui à la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, la CSN plaide que le gouvernement regarde plutôt par l’autre bout de sa lorgnette et qu’il considère d’abord les services publics et les programmes sociaux nécessaires aux besoins en évolution de la population et qu’il regarde ensuite comment les financer. Jacques Létourneau : « Après plus de 25 ans de sous-financement et de compressions, il ne fait aucun doute que l’État doit hausser ses revenus pour répondre à cette exigence. Les mesures d’austérité ne sont certes pas la solution, en raison de leurs effets sur le quotidien des Québécoises et des Québécois, comme on le constate de plus en plus. » Pour cela, le gouvernement doit donc les convier à un large exercice de débat social sur le rôle de l’État, le financement des services publics et des programmes sociaux. La CSN souhaite participer à un tel débat pour réhabiliter la fonction essentielle de la fiscalité : un financement adéquat des services publics et des mesures de protection sociale, des facteurs déterminants pour la redistribution de la richesse et pour la justice sociale, mais aussi pour la performance économique et environnementale du Québec.