Réunir quelque 500 personnes passionnées d’éducation et inquiètes des dérives actuelles en enseignement supérieur pour marquer un temps d’arrêt et réfléchir à l’avenir : voilà l’objectif atteint lors du lancement des États généraux de l’enseignement supérieur (ÉGES) tenus à l’Université Laval à Québec en mai dernier.
S’il a été aisé de rassembler autant de participants — bien davantage que dans les plans originaux des organisateurs — c’est signe que les artisans du réseau, ceux qui le construisent au quotidien, de même que celles et ceux qui le fréquentent, désirent s’exprimer sur sa pérennité et dénoncer les maux qui le rongent un peu plus chaque année : la marchandisation, l’austérité ambiante et la privatisation du mode de gestion.
Une table ronde, de grandes conférences thématiques et des ateliers participatifs ont favorisé les échanges pendant trois jours. Le collectif des vingt-cinq a regroupé des organisations professionnelles, étudiantes et syndicales dont la Fédération des professionnèles (FP–CSN), la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP–CSN) et la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN), initiatrice des ÉGES. Elles s’étaient donné le mandat de trouver une vision commune et de se fédérer, malgré les différences de point de vue sur certains enjeux, afin d’exiger que le gouvernement du Québec remette le cap sur l’essence même de la mission de l’enseignement supérieur. Pari réussi.
Cesser la marchandisation de l’éducation
Participants et panélistes ont déploré unanimement la volonté manifeste de réduire les institutions du savoir à des pépinières de travailleuses et travailleurs préparés uniquement à répondre aux besoins du marché de l’emploi. « Le réseau subit des pressions dues à une logique marchande. Les entreprises réclament qu’il y ait une adéquation entre leurs besoins à court terme en entreprise et les formations offertes. Mais la mission de l’enseignement supérieur est bien plus ambitieuse que ça », rappelle Véronique De Sève, vice-présidente de la CSN. S’il est nécessaire de gagner sa vie grâce, notamment à l’obtention d’un diplôme postsecondaire, les cégeps et les universités doivent toutefois viser à former des citoyennes et des citoyens à part entière, critiques, informés, capables de vision. En cela, le collectif admet sans détour que la marchandisation de l’éducation, une tendance lourde, est un travers à combattre ensemble, solidairement.
Pour ce faire, il faut la volonté politique d’assurer une plus grande accessibilité pour toutes et tous à l’enseignement supérieur, et partout sur le territoire québécois, un enseignement de qualité inscrit dans la tradition humaniste du rapport Parent. « L’éducation, c’est d’abord et avant tout un droit humain. Ce n’est pas une marchandise, les étudiantes et étudiants ne sont pas une clientèle. C’est un service public et c’est comme ça qu’il doit s’incarner dans la société. Il faut sortir d’une vision managériale, clientéliste ou utilitariste. Actuellement, on constate une course à la “clientèle” des étudiants internationaux, par exemple, parce qu’ils sont source de revenus. Sommes-nous devenus une business ou sommes-nous toujours, en 2017, des institutions au service de la population du Québec, comme le voulaient celles et ceux qui ont bâti le réseau ? », questionne Caroline Senneville — à l’époque présidente de la FNEEQ–CSN, aujourd’hui vice-présidente de la CSN —, en exergue des trois grandes conférences thématiques portant sur la mission du réseau, l’accessibilité et le financement public.
Austérité ambiante
Depuis plus de deux décennies, le financement du gouvernement québécois ne suit plus les coûts du système. Des compressions de plus d’un milliard de dollars dans le réseau universitaire et de 155 millions dans les cégeps compromettent leur capacité à contribuer pleinement au développement économique, social et culturel du Québec. L’austérité, omniprésente, créée de toutes pièces par les politiciens au pouvoir, réduit lamentablement les services que l’État doit rendre à sa population et atrophie le financement adéquat des réseaux collégial et universitaire. Et quoi qu’en dise le gouvernement du Québec, les crédits supplémentaires annoncés dans le budget 2017-2018 sont loin de rétablir la situation. Plus cynique encore, le rehaussement du financement général des établissements d’enseignement supérieur annoncé dans le dernier Plan économique du Québec « n’engage » le gouvernement libéral que s’il est réélu en 2018 !
Les conséquences se répercutent partout : situation de précarité pour les individus et les établissements, dévoiement des missions, dégradation des conditions d’enseignement, de recherche et d’études, ainsi qu’une montée d’un centralisme autoritaire dans l’administration des établissements, ce qui a immanquablement transformé les orientations des institutions.
Privatisation du mode de gestion
Le contexte d’austérité a favorisé le développement de tensions dans les établissements. Les nouvelles pratiques de gouvernance soutiennent la montée d’une gestion autoritaire qui se traduit par une judiciarisation croissante des conflits et des rapports entre les acteurs et le recul de la collégialité et de la liberté académique. La liberté de parole et la représentation de la communauté universitaire dans les instances sont en péril. La censure contamine nos institutions. On tente même d’évincer des conseils d’administration les voix dérangeantes, celles qui questionnent et celles qui critiquent.
Celles et ceux qui sont préoccupés par l’avenir de l’éducation au Québec n’ont pas le choix : ils doivent réunir leurs forces pour exiger des changements majeurs dans la manière de financer, d’administrer et de développer l’enseignement supérieur. C’est là le premier consensus des États généraux de l’enseignement supérieur. Le second : la création d’un espace politique autonome, horizontal et non partisan, à l’image de ce premier rendez-vous des ÉGES qui a favorisé la libre expression. « Ces consensus reposent, notamment, sur la solidarité entre toutes et tous et sur la reconnaissance pleine et entière du travail des divers groupes de personnel et de la précarité professionnelle, émotive et matérielle, tant chez les étudiantes et étudiants que chez les travailleuses et travailleurs », souligne Johanne Cadieux, présidente du Secteur soutien cégep de la FEESP–CSN.
Un plan d’action et un second rendez-vous déjà en chantier
Pour les participantes et participants, le temps n’est plus aux constats, mais bien aux propositions et à l’action. Ce premier rendez-vous des ÉGES a été marqué par la dénonciation du malaise qui mine l’enseignement supérieur. En ce sens, le mandat donné au collectif des 25 partenaires est sans équivoque. Il faut consolider les forces et échafauder un plan détaillé de lutte. Un comité de mobilisation et d’information pourrait être rapidement créé pour favoriser la participation des différents groupes dans la conception et la création d’outils de mobilisation et de réflexion collective. Les étudiants, les professeurs, les chargés de cours, les étudiants salariés, les tuteurs, le personnel de soutien et les professionnels convergeront tous vers un même objectif : faire de l’éducation une véritable priorité nationale.
Il y a urgence d’agir et des gestes concrets seront posés dans les prochains mois. « La campagne électorale provinciale de 2018 est le moment idéal pour placer nos demandes et faire valoir les éléments fondamentaux qui vont constituer nos revendications communes. Surtout, on ne veut pas se battre seulement contre quelque chose, mais plutôt se battre POUR quelque chose : POUR l’enseignement supérieur », précise Louise Briand, vice-présidente du secteur universitaire à la FP–CSN.
D’ailleurs, un second rendez-vous se prépare pour porter l’enjeu de l’enseignement supérieur au cœur du débat public.