Le fonds d’appui aux luttes de la CSN, connu sous le nom de Fonds de défense professionnelle (FDP), a toujours su s’adapter afin de remplir sa mission principale : fournir à ses syndicats affiliés un soutien financier pour pouvoir améliorer les conditions de travail de leurs membres et leur permettre, lorsque nécessaire, de tenir la minute de plus. Regard sur un outil de solidarité unique, et parfois méconnu, adopté par les membres de la CSN il y a déjà 65 ans.
Le Fonds de défense professionnelle est une étiquette, une sorte d’appellation CSN, qui distingue notre centrale de toutes les autres organisations syndicales au Québec. Les membres de la CSN ont créé, au fil des ans, un levier puissant pour mieux traverser les situations difficiles de leur vie syndicale.
Malgré les périodes de turbulence financière qui ont marqué l’évolution de ce fonds, une constante demeure : la volonté des membres de contribuer de façon équitable et solidaire à une caisse dont le modèle est unique dans le monde syndical. En ceci, les syndiqué-es de la CSN jouissent d’un soutien financier concret, d’un outil de solidarité et de résistance qui leur donne tous les moyens pour affronter les coups bas dont ils sont souvent la cible.
Solidaires depuis 1952
Lorsque des conflits de travail éclatent durant les années 40 et 50, la Confédération des travailleurs catholiques du Canada — ancêtre de la CSN —, qui veut appuyer ses membres en grève par le versement d’une prestation de soutien, est souvent contrainte de se renflouer auprès de ses organisations affiliées. Le principe de création du FDP est adopté durant le congrès de 1948, mais il faut attendre 1952 pour que les premières cotisations mensuelles soient prélevées ; celles-ci s’élèvent alors à 10 cents par membre. « Les cotisations étaient loin de couvrir les très nombreux conflits qui éclataient, évoque le trésorier de la CSN, Pierre Patry. Cette situation provoque, au fil des ans, l’endettement progressif du Fonds. » L’équation entre le coût des services fournis et le total des cotisations reçues est fortement débalancée.
Au cours de sa première décennie d’existence, les cotisations au FDP font donc l’objet de nombreux ajustements. Entre 1952 et 1955, elles passent de 10 à 30 cents. En 1957, la formule est à nouveau modifiée pour s’établir, selon le salaire annuel moyen, entre 35 et 85 cents. Malgré ces changements, un constat se dégage en 1958 : le FDP n’arrive toujours pas à répondre aux nombreuses demandes des syndicats en conflit. La CSN se retrouve souvent dans l’obligation d’organiser des campagnes et des collectes de fonds ; elle doit en plus solliciter des dons ou des prêts pour remettre le Fonds à flot. Des opérations de sauvetage comme la campagne du 6 millions en 1981 sont lancées pour aider le fonds à équilibrer ses dépenses. Les bouleversements que connaît la CSN entre 1972 et 1975, et qui provoquent une baisse importante du nombre de membres, ébranlent fortement le mouvement. Dans cette optique, l’idée d’établir une cotisation à pourcentage, qui plane depuis la création du FDP, est adoptée en 1978 et conduit à la stabilisation du Fonds. Cette formule lui permet de constituer une réserve et d’affronter les soubresauts et les périodes chaudes de l’action syndicale.
Le FDP ajuste le tir
À ses débuts, l’objectif du Fonds de défense professionnelle consiste à assurer un bas de laine pour les syndiqué-es en conflit. Au tournant des années 70, la façon dont le Fonds épaule les luttes commence peu à peu à emprunter d’autres formes. À cette époque, Marcel Pepin appelait les syndicats non seulement à militer pour leurs conditions de travail, mais aussi à élargir leur action afin de contrer les injustices systémiques à l’égard des travailleuses et des travailleurs. Cette philosophie du deuxième front conduit la CSN à organiser de vastes campagnes pour contrer les attaques gouvernementales de tous genres. Financées par le FDP, celles-ci visent à assurer la pérennité des services publics et à maintenir les emplois des salarié-es dans ces secteurs. Elles ont également pour motif de protéger l’accès à des services publics de qualité. Refusons l’austérité, Ma place en santé, j’y tiens et Tous amis de Radio-Canada figurent parmi les récentes campagnes du genre.
À partir des années 70, l’importance de lutter sur le deuxième front requiert des ressources du Fonds, car, déjà, les gouvernements laissent le secteur privé s’infiltrer dans l’offre de services publics notamment en santé, dans les services sociaux et en éducation. « Le FDP nous donne les moyens de défendre nos choix sociaux. À titre d’exemple, on peut se demander à quoi serviraient de meilleures conditions salariales s’il fallait débourser des sommes faramineuses pour aller à l’université ou pour se faire soigner lorsque nécessaire », poursuit le trésorier de la CSN.
Parallèlement à l’élargissement de la mission du FDP, la façon de négocier des employé-es du secteur public prend elle aussi une autre forme. La réforme du Code du travail vient de leur accorder le droit de grève sous le gouvernement Lesage. La négociation du secteur public, qui s’est centralisée, est dès lors soutenue par le FDP pour la part CSN. Dans la foulée de ces transformations et du premier grand front commun intersyndical de 1972, les actions de mobilisation se multiplient ; le FDP est directement interpellé pour offrir de l’aide aux syndiqué-es en conflit.
Le FDP accompagne la négociation coordonnée
En se regroupant pour négocier, le secteur public a fortement inspiré plusieurs autres syndicats, si bien qu’en 1980, une politique d’avant-garde est adoptée par la CSN pour leur permettre d’organiser une négociation coordonnée. « Avec cette politique, les syndicats évoluant dans un même secteur d’activité peuvent s’unir pour négocier avec les employeurs et revendiquer des demandes communes », enchaîne Pierre Patry. Grâce à l’appui du FDP, de nombreux syndicats ont été et sont aujourd’hui en mesure de créer un véritable rapport de force et d’améliorer leurs conditions de travail, notamment dans les centres d’hébergement privés, dans certaines municipalités en Estrie, dans les centres de la petite enfance, les secteurs de l’alimentation, du préhospitalier et de l’hôtellerie. D’ailleurs, les employé-es du secteur hôtelier se regroupent depuis 30 ans au sein d’une négociation coordonnée rodée au quart de tour. Cette façon de négocier a été très bénéfique pour ce groupe de syndiqué-es, constitué d’un grand nombre de femmes et d’immigrantes. Elles ont obtenu, entre autres, la sixième semaine de vacances, l’ajout d’une journée de maladie, des hausses de salaire importantes et les allocations de retraite. « Dans les années 1980, le salaire de la majorité des préposées aux chambres était environ de 10 cents de plus que le salaire minimum. Aujourd’hui, il n’est pas rare, dans le cadre de la négociation coordonnée, qu’une préposée syndiquée à la CSN gagne plus de 20 $ l’heure », déclare Pierre Patry.
Le FDP, au combat sur deux fronts
Le bien-fondé du Fonds de défense professionnelle n’est plus à démontrer. De nos jours, les attaques se présentent de manière tout aussi virulente, sinon plus qu’autrefois. Le mouvement syndical subit des assauts sans précédent par l’adoption de projets de loi antisyndicaux ou la mise en œuvre de réformes diverses. À cet effet, le ministre Barrette a contribué largement à la démolition du système de santé par sa réforme qui vient grandement complexifier la tâche des syndicats de représenter leurs membres. « Si les gens ne font plus autant la grève, ils n’en continuent pas moins à mener des luttes collectives soutenues par le FDP », explique le trésorier. Le Fonds permet en outre d’organiser la solidarité en s’assurant que les gains obtenus par la lutte des uns ou des autres profitent à l’ensemble. Si le mouvement syndical s’affaiblit, les conditions des travailleuses et travailleurs, syndiqués ou non, en subiront le contrecoup. « On n’est jamais à l’abri d’un coup dur. Avant l’élection du gouvernement libéral de Philippe Couillard, on était loin d’imaginer que le secteur public subirait une fronde aussi grave. Comme le FDP dispose d’une bonne marge de manœuvre, il a pu activer la mobilisation contre les mesures d’austérité, sensibiliser la population et envoyer un sérieux avertissement », affirme Pierre Patry.
Un tel coussin est absolument nécessaire pour permettre aux membres de la CSN de se défendre devant l’adversité. Le FDP, une création de tous les syndicats de la CSN, incarne vraiment la solidarité à la « manière CSN ». Il constitue un instrument indispensable pour se prémunir contre les charges vicieuses et imprévisibles provenant de toutes parts.
Le FDP travaille pour vous
Le FDP est donc une caisse spéciale et unique qui procure plusieurs avantages. Voici un tour d’horizon de ses principales missions.
- Prestation aux membres durant les conflits.
La prestation hebdomadaire de 255 $, qui est libre d’impôt, est accessible au huitième jour de grève. « Tout le monde a droit au même montant qui n’est pas un remplacement de rémunération : il s’agit plutôt d’une allocation de secours », précise Pierre Patry. - Allocation hebdomadaire aux syndicats.
Les syndicats peuvent compter eux aussi sur une allocation hebdomadaire variable de la part du FDP. Celle-ci leur permet notamment d’aménager un local de grève et de payer d’autres dépenses courantes reliées au conflit (téléphone, café, transport). Le Fonds accorde aussi du soutien pour les manifestations, les visites dans les instances, les activités de financement, etc. Une aide appréciable pour les syndicats. - Le FDP derrière la mobilisation.
Les syndicats sont très nombreux à se mobiliser pour soutenir leur comité de négociation et à adopter des moyens de pression afin d’exercer leur rapport de force face à l’employeur. Ces actions de mobilisation financées par le FDP, souvent longues, nombreuses et coûteuses, permettent aux membres des syndicats CSN d’améliorer leurs conditions de travail en évitant le recours à la grève. - Une assurance pour frais juridiques.
Le Fonds assume les frais juridiques qu’occasionne l’utilisation de briseurs de grève par l’employeur et ceux qui touchent les suspensions ou les congédiements liés à des activités syndicales. Le FDP peut également apporter son appui lors de la fermeture d’un établissement ou d’une usine. Ces frais peuvent représenter des sommes importantes. - Le FDP dans les campagnes.
En plus de son appui aux grandes campagnes nationales déjà évoquées, le FDP réserve un budget aux fédérations et aux conseils centraux pour mener des campagnes liées à des régions ou à des secteurs d’activité spécifiques. Tout récemment, le Fonds a permis d’empêcher la privatisation des buanderies publiques dans Lanaudière et à Québec. - Le FDP et la répartition de la richesse.
La péréquation distribuée aux fédérations et aux conseils centraux constitue une autre mesure incarnant la solidarité à la CSN. Cet outil permet l’équité dans la qualité des services offerts à tous les syndiqué-es de la CSN, quel que soit leur salaire. À titre d’exemple, les salarié-es du secteur de l’alimentation, membres de la Fédération du commerce (CSN), ont bénéficié d’un tel partage.
En somme, à l’heure où les nombreux dérapages de la droite font craindre le pire pour le mouvement syndical, nous ne saurions nous priver des munitions que nous offre le Fonds de défense professionnelle.
Au fil des ans, la CSN a remporté plusieurs batailles juridiques d’importance grâce au soutien du FDP. En janvier 2014, un tribunal d’arbitrage a condamné Olymel à verser à ses ex-employé-es près de 14 millions de dollars en salaires, avantages sociaux perdus et intérêts. La même année, près de 130 syndiqué-es, injustement congédiés par le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants de développement (CRDITED) de Montréal, ont pu réintégrer leur emploi, avec une compensation frisant les quatre millions de dollars. En 2013, après de nombreuses démarches, les ex-syndiqué-es CSN de Celanese de Drummondville ont recouvré une somme de près de huit millions que l’employeur avait détournés de leur caisse de retraite lors de la fermeture de l’usine en 2000. En 1999, après une longue saga judiciaire, la CSN a obtenu la réintégration de près de 150 travailleurs de Métro-Richelieu, congédiés illégalement des années auparavant, le FDP leur a versé plus de 25 millions.