Lancement québécois du marathon de cartes de vœux d'Amnistie internationale, novembre 2017

Jacques Goldstyn

Un homme aux mille et une facettes

Tantôt caricaturiste, tantôt illustrateur, auteur, poète et militant à ses heures, Jacques Goldstyn, alias Boris, connaît un parcours fascinant. Sa sensibilité et son ouverture sur le monde lui ont valu le Prix du Gouverneur général en 2017. Portrait d’un géologue de formation qui a su combiner dans son travail son amour de la science, sa passion pour le dessin et son sens du bien commun.

Son trait de crayon bien aiguisé lui permet de transformer la misère du monde en de multiples passages vers la liberté. Les chemins de traverse qu’il propose dans certaines de ses œuvres donnent à rêver : Jacques Goldstyn s’efforce de montrer les voies de l’espérance aux humains, ce qui leur fait souvent défaut. Et on le croit tant il est convaincant. On peut le constater dans L’Arbragan où un petit garçon original et excentrique, auquel Goldstyn s’identifie d’ailleurs, passe beaucoup de temps dans les bras de son ami, le très vieux chêne Bertolt. Triste et impuissant lors de la mort de Bertolt, il décide de rendre hommage à son ami en habillant ses branches nues de gants disparates venant de la boîte des objets perdus de son école. Quelle façon touchante, originale et douce d’aborder la mort.

C’est encore l’espoir qui triomphe dans son ouvrage Azadah pour lequel il obtient le prix du Gouverneur général en 2017, dont l’histoire est basée sur la mort de la photographe allemande Anja Niedringhaus tombée sous les balles d’un policier afghan. « L’armée américaine avait bombardé par erreur le village de cet homme et tué toute sa famille. Lorsqu’il a vu une voiture passer avec deux femmes blondes à l’intérieur, il a tiré. » Cette histoire émeut profondément le dessinateur. À partir de cette tragédie, il imagine une amitié entre une petite fille afghane et la photographe qui, avant de quitter le pays, offre à l’enfant son sac à dos contenant plusieurs objets, dont une burka qu’elle portait pour s’adapter aux coutumes de la place. La petite en fera une montgolfière.

Parcours d’un brillant étudiant

Jacques Goldstyn est quasiment né avec un crayon à la main. « Mon père était un bon dessinateur; c’est lui qui m’a appris à dessiner des personnages. Il faisait des croquis que je reproduisais. Grâce à lui, je comprenais déjà ce qu’étaient la profondeur et la perspective à l’âge de cinq ans. »

C’est aussi son père qui lui inculque l’intérêt pour la science, le respect de la nature et de l’environnement. « Mon père venait d’une famille de gauche, où les valeurs de partage et de justice sociale étaient importantes. Il cherchait à faire le bien comme il pouvait. » La mère de Jacques Goldstyn vit sur une ferme en Bretagne et devient couturière. À son sujet, un souvenir lui revient spontanément : « Ma mère ne se débrouillait pas très bien en anglais, mais elle parlait le celtique. Quand j’ai entendu pour la première fois ces mots sortir de sa bouche, je n’en revenais pas. C’était magique. Du jour au lendemain, je l’ai perçue différemment. »

Ses talents en dessin captent l’admiration de ses camarades de classe. « À l’école, il y en a toujours deux ou trois qui excellent en dessin; on dirait que ce talent leur attire automatiquement le respect », évoque-t-il en rigolant. Un jour, le directeur demande aux élèves ce qu’ils veulent faire de leur avenir. Déjà, il sait qu’il deviendra dessinateur, mais le directeur laisse tomber : « Tu ne mettras jamais de beurre sur ton pain avec des dessins. » Jacques Goldstyn prend peur et change de cap : il étudiera en sciences pures au cégep et en géologie à l’université. Cela dit, le dessin l’accompagnera tout au long de ses études, notamment à Polytechnique où il participera à la production du journal Le Polyscope pour lequel il fera ses premières armes en caricatures politiques.

Beppo l’impertinente grenouille

Devenu géologue, Jacques Goldstyn est amené à travailler en Gaspésie, à Rouyn-Noranda et à Val-d’Or, en Abitibi-Témiscamingue, ainsi que dans l’Ouest canadien. Un jour, il reçoit l’appel d’un ancien ami d’université qui lui propose un contrat pour un livre de sciences jeunesse appelé à devenir le magazine Les débrouillards. Pendant un an, il travaille dans les roches le jour et dessine la nuit. Mais ce rythme doit cesser sur ordre de son médecin. Il choisit alors le dessin. « Mes notions de science me permettent d’aborder des questions concernant l’environnement, la nature, le réchauffement de la planète, l’hyperconsommation et de les interpréter simplement sans niveler vers le bas. » C’est ainsi qu’il crée huit personnages, dont la grenouille Beppo en 1983 qui deviendra la mascotte du magazine et tiendra souvent des propos plutôt irrévérencieux. « Elle dit des vérités un peu baveuses que les enfants apprécient. Les parents aussi d’ailleurs », avoue-t-il. Jacques Goldstyn bosse pour la revue depuis maintenant 30 ans : il estime avoir présenté Beppo dans plus de 10 000 postures différentes. Sa forte inclination vers la vulgarisation scientifique lui fait décrocher le prix Michael-Smith en 2001.

Goldstyn et son double

Tout en travaillant aux Débrouillards, il accepte des contrats pour le magazine Croc; il y fait la connaissance de Garnotte, qui conjugue ce travail avec des piges régulières pour Nouvelles CSN. « Chez Croc, les sujets étaient plus caustiques. C’est là que j’ai vraiment développé une critique sociale et politique crue! », se rappelle Goldstyn. J’ai ensuite remplacé Garnotte pour produire des caricatures à la CSN lorsqu’il est parti travailler au journal Le Devoir. Et cette opportunité rejoignait mes valeurs. En plus, elle me permettait de rire des libéraux! » lance-t-il tout de go. C’était en 1998. » À cette époque, il choisit de signer de son patronyme ses œuvres destinées aux enfants et d’utiliser un pseudonyme pour son travail politique. « J’ai pensé à Boris, en référence à un caricaturiste russe que j’aimais beaucoup », explique-t-il. Boris Efimov publiait dans la Russie stalinienne pour soutenir le peuple durant la guerre. À chaque fois que son téléphone sonnait, il craignait d’être envoyé au goulag. Hitler l’avait menacé de pendaison lorsqu’il arriverait à Moscou. Il fallait beaucoup de courage pour dessiner dans un tel contexte.

Boris se met donc à produire des caricatures pour les membres de la CSN, dont il cherche à alimenter l’élan militant. Par ce travail et son implication bénévole pour le groupe communautaire Au bas de l’échelle, il se plaît à grossir les traits de patrons aux comportements odieux. « Dans ce contexte, je veux faire ressortir le grotesque de situations que vivent des travailleuses et travailleurs garrochés sauvagement à la rue, des immigrants qui peinent à joindre les deux bouts, des femmes qui se heurtent à toutes sortes de difficultés, des personnes non syndiquées. Je refuse toute complaisance dans ce type de dessin. »

Parfois, il est nécessaire d’ajuster le message…

Toujours sous le nom de Boris, il signe des caricatures dans Le Couac et l’Aut’journal ainsi que des dessins pour les marathons d’écriture d’Amnistie internationale. Ces marathons lui procurent un sentiment bien concret de résultat : « Les pays visés n’aiment pas qu’on parle des personnes qu’ils emprisonnent injustement. Quand on commence à identifier des directeurs de prisons, des villes, ils détestent ça. Automatiquement ou presque, les conditions des prisonniers s’améliorent. Souvent, ils sont même libérés. » Les marathons d’Amnistie internationale lui inspirent un livre d’illustrations qui a été traduit dans des dizaines de langues, Le prisonnier sans frontières, dans lequel des oiseaux vont porter à un prisonnier, père de famille, des lettres d’espoir écrites par des citoyens à travers le monde. Ces lettres se collent sur son corps pour former des ailes qui l’aideront à s’évader de sa prison.

Mission : éveilleur de consciences

Boris estime que les caricaturistes, comme les humoristes ou les pamphlétaires, ont un rôle social à jouer. « Mon passé de scientifique m’amène à être très critique envers les charlatans qui abusent de la crédulité des gens. Dans Les Débrouillards, je dénonce les astrologues, les diseurs de bonne aventure, mais aussi les pollueurs ou les vendeurs de rêves qui incitent à la l’hyperconsommation », explique-t-il. Pour lui, les superstitions ou les dérives religieuses sont de bons sujets de caricatures. Tout demeure une question de dosage. « Certains sujets m’indisposent. Les infirmités ou les malheurs des individus ne me font pas rire. »

Pour Boris, un bon caricaturiste se révèle un fin observateur. Il doit savoir rire de lui-même et de ce qui empoisonne notre société. Une dose d’autodérision, un soupçon de rire jaune et une bonne rasade d’humour noir, voilà sa recette pour qu’une caricature joue parfaitement son rôle. Quant à Goldstyn, il se consacre à une œuvre plus poétique dans des livres d’illustrations pour personnes de 6 à 106 ans. Une entreprise tout aussi nécessaire qui réchauffe les cœurs et qui porte à réfléchir sur la grande expérience humaine.

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