À peine arrivé dans ses nouvelles fonctions, le ministre des Affaires municipales, Martin Coiteux, acquiesçait publiquement aux demandes de l’Union des municipalités liées au pacte fiscal, sans même consulter les travailleuses et les travailleurs municipaux. « Cela démontre que les dés sont pipés d’avance et que le processus de consultation sera bidon », lâche sans détour le président de la Fédération des employées et employés du secteur public (FEESP-CSN), Denis Marcoux.
En septembre dernier, le gouvernement du Québec concluait une entente avec les municipalités : 300 millions de dollars de financement en moins annuellement en échange de pouvoirs accrus. Mais que seront ces nouveaux pouvoirs ? Droit de lock-out ? Décret ? Nul ne le sait encore. Le projet de loi pourrait être déposé ce printemps et les dispositions viseraient à revoir le processus de négociation collective.
« Chose certaine, c’est une attaque vicieuse envers notre droit fondamental de négocier nos conditions de travail. Ce projet de loi serait potentiellement anticonstitutionnel, tout comme la loi 15 visant la restructuration des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal. D’ailleurs, nous contestons présentement la loi 15 devant les tribunaux. De la part de ce gouvernement, il s’agirait d’un deuxième affront majeur en peu de temps », poursuit Denis Marcoux.
La loi 15 a été adoptée il y a plus d’un an et elle empoisonne les relations de travail au quotidien. Moins de 5 % des dossiers en litige ont été réglés.
En tournée au Québec
Depuis décembre dernier, avec l’aide des conseils centraux de la CSN, le comité exécutif du secteur municipal et celui du secteur transport de la FEESP-CSN, ainsi que des élus de la fédération, sillonnent les régions du Québec. Ayant pour thème « Le droit fondamental de négocier », la tournée à laquelle participait Denis Savard, président du secteur municipal à la FEESP-CSN, avait pour but de sensibiliser les quelque 11 000 membres du secteur et la population à cet enjeu de taille. Sainte-Anne-des-Monts, Rimouski, Saguenay, Maniwaki, Mont-Laurier, Drummondville, Valleyfield, Portneuf, Granby, Chapais, Port-Cartier… aucune région n’a été négligée.
« Les gens étaient très réceptifs et évidemment très préoccupés. Ils ne comprennent pas pourquoi le gouvernement s’acharne autant sur leur sort. Dans la grande majorité des municipalités, les conventions collectives sont signées dans un climat harmonieux. Mais avec moins d’argent, que feront les municipalités ? Oui, les conditions de travail des employé-es sont menacées, mais les services aux citoyens aussi ! »
S’il est vrai qu’il existe parfois des relations moins harmonieuses, il n’en demeure pas moins que les négociations doivent se faire entre les parties concernées. Actuellement, il y a des démarches de renouvellement de contrat de travail et le projet de loi qui est dans l’air change complètement la dynamique et le rapport de force.
« Le ministre des Affaires municipales dit vouloir renforcer la démocratie municipale et s’assurer que les droits et les obligations de chacun soient respectés, mais du même coup, il confirme que les villes pourront désormais décréter les conditions de travail des employé-es en cas d’échec de la négociation. Où est donc cette démocratie et ce respect, s’il faut l’intervention d’un tiers pour remettre en cause ce qui a déjà été convenu entre deux parties, soit les élu-es municipaux et les syndicats ? De plus, les élus municipaux qui appuient les demandes de l’UMQ minent eux-mêmes leur propre crédibilité en voulant renier ce qui a été négocié en toute bonne foi et dans l’harmonie », affirme Yvon Godin, vice-président à la FEESP-CSN, qui a aussi parcouru les quatre coins du Québec.
Ça passe le test ?
Deux experts consultés par Perspectives doutent de la constitutionnalité de ce pacte fiscal, à commencer par le professeur en relations industrielles de l’Université de Montréal, Patrice Jalette, notamment spécialisé dans la restructuration des services publics municipaux. « Ça ne tient pas debout ! »
Patrice Jalette estime que ce pacte fiscal part d’une fausse prémisse de l’UMQ, celle d’un déséquilibre dans le rapport de force entre les municipalités et les employé-es. « Oui, les employés ont un droit de grève, mais c’est un droit de grève limité. Une journée de pluie verglaçante, les cols bleus vont être obligés de déblayer les artères et de répandre des abrasifs, même s’ils sont en grève. Est-ce une raison pour accorder un droit de lock-out aux municipalités ? Quel message envoie-t-on à la population si l’employeur peut décréter un lock-out alors que la ville offre des services essentiels ? »
Le professeur en relations industrielles de l’Université Laval, Alain Barré, qui avoue ne « pas être d’un naturel à gauche », croit, lui, que le gouvernement « fonce droit dans un mur ». « Je prédis que le gouvernement va être débouté devant toutes les instances judiciaires. C’est complètement incompatible avec le jugement de la Cour suprême du Canada Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, rendu au début de l’année. Ce jugement garantit le droit de grève, même pour celles et ceux qui offrent des services essentiels. Donc, permettre aux municipalités de décréter des conditions de travail, cela équivaut à éventuellement retirer le droit de grève et ça n’existe pas ailleurs au Canada. »
Sans la prôner, la seule avenue que voit Patrice Jalette pour le gouvernement est de revoir les critères qui doivent être respectés dans les cas d’arbitrage. « Lorsqu’il y a un arbitre, il doit respecter certains critères établis par le gouvernement. Par exemple, faire des comparaisons avec d’autres villes semblables uniquement. »
Même si Patrice Jalette est convaincu que ce projet de loi ne passera pas le test des tribunaux, il croit que le gouvernement cherche à gagner du temps, comme il le fait actuellement avec sa loi 15 sur les régimes de retraite. « Supposons que le gouvernement soit débouté dans sept ou huit ans devant la Cour suprême, tout va avoir été restructuré d’ici là et ça va être difficile de revenir en arrière. C’est comme essayer de “remettre la pâte à dent dans le tube”. Pour les municipalités, cela peut aussi être un cadeau de Grec. Que feront-elles si elles doivent rembourser les régimes de retraite dans quelques années ? »
Les deux experts rappellent que seul le gouvernement peut actuellement décréter des conditions de travail, ce qui a déjà été vu dans le passé. Selon le Code du travail du Québec :
111.0.17 Sur recommandation du ministre, le gouvernement peut, par décret, s’il est d’avis que dans un service public une grève pourra avoir pour effet de mettre en danger la santé ou la sécurité publique, ordonner à un employeur et à une association accréditée de ce service public de maintenir des services essentiels en cas de grève.
111.0.26 Le lock-out est interdit dans un service public visé dans un décret pris en vertu de l’article 111.0.17.
La Fédération des employées et employés du secteur public s’affaire à une deuxième phase d’action et de mobilisation, car elle sait que les enjeux sont cruciaux. En plus de solliciter des rencontres avec des élu-es, elle compte aussi obtenir l’appui des différents conseils centraux de la CSN, puisque ce projet de loi pourrait entraîner des répercussions dans d’autres domaines de travail. Si le gouvernement persiste dans cette voie, la FEESP-CSN compte bien mobiliser ses milliers de travailleuses et de travailleurs dans toutes les régions du Québec.