Réfugié politique à 7 ans alors que le mouvement Solidarnosc ébranlait le régime soviétique, Tomasz Walenta a grandi au Québec et partage maintenant sa vie entre Varsovie et Montréal. Illustrateur reconnu, ses portraits de Martin Coiteux avaient ponctué la grève du Front commun de 2015. En Pologne présentement, outragé par l’invasion barbare de Poutine en Ukraine, il est à même de constater l’horreur vécue par des centaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants ukrainiens qui ont fui la guerre jusqu’à Varsovie. En mouvement l’a rencontré, en plus de lui offrir l’espace des plateformes de la CSN pour exprimer son indignation devant cette guerre et sa solidarité envers le peuple ukrainien.
Son travail, c’est le dessin. Son expertise, le coup de crayon. Mais pour plusieurs, son art réside dans le trait parfois incisif des idées qu’il esquisse, tantôt tendre de la compassion qu’il rend en image. Mais dans nos rangs, c’est d’abord le trait baveux de ses croquis de Martin Coiteux, président du Conseil du trésor en 2015, qui l’avait fait connaître.
Après ses études et plusieurs années comme chargé de cours à l’École de design de l’UQAM, Tomasz Walenta enseigne présentement en design dans une université de Varsovie. Dès la première journée de l’invasion russe en Ukraine, son portrait de Poutine, s’étouffant avec le drapeau ukrainien, se met à circuler en Pologne et dans le reste de l’Europe.
« Il y a beaucoup d’étudiants ukrainiens à l’université où j’enseigne. L’invasion russe a commencé en plein milieu de la relâche, qui dure près d’un mois ici. Alors la moitié de mes étudiants ukrainiens s’est retrouvée coincée en Ukraine où ils étaient en vacances. Les autres étaient restés ici, mais leurs familles se faisaient déjà bombarder », raconte l’illustrateur rejoint par visioconférence à Varsovie.
Depuis le début de la guerre, plus d’un million d’Ukrainiens ont trouvé refuge en Pologne, une large proportion d’entre eux rejoignant la capitale. « On a qu’à sortir faire des courses pour s’en rendre compte : il y a définitivement plus de monde dans les rues de Varsovie qu’il y a un mois. Dans les magasins, on entend parler ukrainien plus que jamais. À travers toute la Pologne, les gares sont littéralement bondées : oui, il y a un roulement, mais plusieurs n’ont nulle part où aller », regrette-t-il.
« Ce qui frappe, c’est que ce sont d’abord des femmes et des enfants. Partout. Les hommes sont restés pour affronter l’armée russe. » Varsovie connaît également une pénurie de chauffeurs de taxi : une bonne partie des conducteurs, des Ukrainiens établis en Pologne, ont pris le chemin inverse, regagnant le territoire ukrainien pour gonfler les rangs de la résistance.
Car depuis 20 ans, souligne Tomasz Walenta, l’immigration économique en provenance de l’Ukraine n’a cessé de grandir. Nombreux sont les jeunes mariés qui viennent s’établir en Pologne pour trouver du travail et envoyer de l’argent à leurs familles. « Ils et elles sont nombreux et nombreuses à travailler en garderie, comme préposé-es à l’entretien, mais aussi dans d’autres secteurs, les Ukrainiennes étant reconnues à travers l’Europe comme étant les meilleures couturières du continent. »
La route de l’exil
Si Tomasz Walenta a lui-même connu l’exil, fuyant jusqu’au Québec la répression politique qui s’installait en Pologne au début des années 1980, il met néanmoins rapidement un terme au parallèle. « J’avais sept ans et le degré de violence qui prévalait à l’époque n’était aucunement comparable. Moi, mon seul stress, c’était de savoir si j’allais commencer ma première année. De plus, je quittais la grisaille d’une Pologne industrielle pour me retrouver… dans une école tenue par une charmante institutrice, à même une ancienne grange, au milieu des prés verts, des lacs et des alpes suisses en arrière-plan ! »
Quelques mois avant que le gouvernement polonais, alors sous l’emprise de Moscou, ne déclare l’état de guerre et ne ferme les frontières lors de la tentative de soulèvement populaire initiée par Solidarnosc et les mouvements de l’opposition de 1981, les Walenta avaient obtenu leurs passeports pour prendre des vacances à l’extérieur du pays.
« On a été chanceux. Les passeports étaient conservés au poste de police, qui les délivrait rarement à tous les membres d’une même famille en même temps, pour éviter les défections. Mes deux parents ayant appris le français en Pologne, leur réelle intention, après avoir traversé la Suède, la France et la Suisse, était de rejoindre le Québec. Après deux ans, nous avons obtenu nos papiers de réfugiés. Orthophoniste, ma mère a rapidement trouvé un boulot à la Commission scolaire Sainte-Croix, à Saint-Laurent. Mon père, ingénieur, a fini par se trouver un emploi à l’usine Exeltor, qui fabriquait des aiguilles de couture à Bedford. »
Mille et une solidarités
Tomasz Walenta repense à ses étudiants. Les cours ont repris à Varsovie, malgré la guerre qui sévit à la frontière. « Je les trouve excessivement courageux de venir en classe et de s’atteler à leurs travaux, malgré la situation. Et en même temps, je sais qu’ils ont besoin de l’école. Être avec leurs amis, partager leurs craintes plutôt que de se morfondre seuls et isolés. Ils ont aussi besoin de l’école en tant qu’espace public, en tant qu’institution. Tous les profs se démènent pour tenter de leur trouver du travail. Un ami qui a une grande maison héberge présentement onze réfugiés chez lui. L’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, où enseigne ma blonde, intègre depuis la semaine dernière une centaine d’étudiants réfugiés dans ses cohortes. On s’organise comme on peut, dans nos propres réseaux. »
« Mais en même temps, chaque ami ukrainien me dit être incapable de dormir. Ils sont dans un brouillard d’incertitude totale. Certains ont tout perdu, leur maison et tout ce qui s’y trouvait. »
Ce week-end, à Varsovie, Tomasz Walenta participera, nombre d’artistes visuels parmi ses collègues et ses étudiants, à une vente d’œuvre d’art pour venir en aide aux réfugiés. Dès la reprise des cours, il a encouragé ses étudiants à prendre la parole, à inscrire leurs prochains travaux sur la crise qui menace aujourd’hui l’ensemble de l’Europe.
« On a une responsabilité, en tant qu’artistes, en tant qu’enseignant, à prendre la parole. À exprimer à notre façon notre profond désaccord envers ces crimes commis par Moscou. »
« Les Polonais sont en tabarnak. Et quand on voit la gang d’extrême droite au pouvoir en Pologne, en totale rupture avec l’Union européenne sur plusieurs fronts, faire copain-copain avec les Trump, Le Pen, voire Poutine de ce monde, on a peur. »