Cette nouvelle agence de gestion, pilotée de Québec, constituera l’ultime fusion de l’ensemble des établissements de santé et de services sociaux du Québec. Le projet de loi 15, parmi les plus massifs de l’histoire, n’apporte pourtant aucune réponse réelle aux enjeux de l’heure du système de santé, qu’il s’agisse du manque d’accessibilité, des pénuries de personnel ou de la privatisation croissante du réseau.
À terme, Santé Québec deviendra le plus gros employeur au Canada, avec ses 350 000 salarié-es. Il faut le dire : il s’agit là de l’aboutissement d’une logique de centralisation ayant guidé presque tous les ministres qui ont précédé Christian Dubé. Depuis 2005, tous les établissements ont vécu des fusions à plusieurs reprises pour former des ensembles toujours plus grands. Chaque vague a mené à des prises de décisions de plus en plus éloignées du terrain, à une déshumanisation des soins et à une dégradation des conditions de travail du personnel. Difficile de voir comment on pourra améliorer la façon de faire des relations de travail en poussant cette même logique à l’extrême !
Des « top guns »
Christian Dubé doit annoncer prochainement l’identité des personnes qui seront nommées à la tête de Santé Québec. Le ministre a déjà évoqué qu’il souhaitait pour cela recruter des « top guns », sans plus de détails. Les médias d’information nous ont appris que ces personnes bénéficieront effectivement de salaires de « top guns » semblables à ceux du secteur privé. On sait aussi que les 350 000 membres du personnel ne font pas partie de cette élite aux yeux du ministre, qui ne leur réserve à peu près aucune place au sein des instances décisionnelles.
Réforme dénoncée
La réforme Dubé est dénoncée de plus en plus fortement non seulement par le personnel et par les syndicats, mais également par les organismes communautaires, par de nombreux médecins et par plusieurs experts du milieu. Parmi les grandes préoccupations : la privatisation des soins et des services qui se généralise.
Plus les années passent, plus la marchandisation de la santé et des services sociaux se présente comme un fait accompli au Québec. Le ministre Dubé ne s’en cache pas : la CAQ entend élargir encore davantage les recours au secteur privé. Cela aggravera immanquablement les pénuries de personnel dans le secteur public, non seulement parce que les conditions de travail n’y sont pas aussi avantageuses, mais aussi parce que les cas plus lourds et plus compliqués seront toujours traités dans le secteur public. D’ailleurs, si une complication survient en clinique privée lors d’une opération « simple », ce sont toujours les hôpitaux du secteur public qui sont appelés à prendre la relève.
En asphyxiant les services publics au nom du néolibéralisme et de l’austérité budgétaire, les gouvernements ont stimulé la création d’un marché privé parallèle et par le fait même, d’un système à deux vitesses qui prend de l’ampleur. À présent, celles et ceux qui en ont les moyens se voient trop souvent offrir des soins et des services non médicalement requis pendant que d’autres sont forcés d’attendre leur tour, au prix d’une possible dégradation de leur état de santé.
La fausse solution du privé
La recette est connue… En laissant dépérir le secteur public, le privé finira par s’imposer comme une voie rendant inéluctable le développement de services à deux vitesses. N’est-ce pas exactement ce que prône le ministre Dubé ? Au lieu de tout mettre en œuvre pour que le secteur public remplisse entièrement sa mission, Christian Dubé déclarait en point de presse, le 9 décembre 2023 : « On s’est engagé dans le projet de loi no 15 à ce qu’une personne qui, par exemple, ne serait pas capable d’être servie ou soignée dans un délai raisonnable pour une chirurgie, [puisse être envoyée] ailleurs dans le réseau ou même au privé. »
En 2024, la CSN entend déployer tous ses efforts pour contrer ce glissement dangereux vers la privatisation, car le privé est déjà plus présent que jamais dans le réseau.
À l’heure actuelle, la première ligne – l’accès aux services – est largement contrôlée par l’entreprise privée, notamment par des médecins-entrepreneurs, voire par des entrepreneurs tout court. Bien qu’il soit couvert par l’assurance-maladie, le modèle des groupes de médecine familiale ne fonctionne pas. Malgré les réformes et les sommes investies depuis des décennies, trop de Québécoises et de Québécois n’ont toujours pas accès à un médecin de famille ni à des services d’urgence mineure les soirs, les nuits ou les fins de semaine. Sans compter qu’un nombre grandissant de médecins choisissent de se désaffilier complètement de l’assurance-maladie pour offrir leurs services uniquement à celles et à ceux qui ont les moyens de se les payer.
Cette situation contribue évidemment aux problèmes des urgences publiques sur lesquelles doivent se rabattre les citoyennes et les citoyens qui n’ont pas de solution de rechange, en soirée et durant la nuit. Ces urgences débordent et les hôpitaux manquent de capacité pour accueillir dignement les patientes et les patients. De nombreux lits y sont occupés par des personnes qui attendent de pouvoir être admises en hébergement de longue durée… parce qu’il manque aussi de places dans les CHSLD publics. Ces établissements doivent de surcroît composer avec des personnes nécessitant de plus en plus de temps de soins. Ils se trouvent d’autant plus sous pression que les services publics en soutien à domicile sont insuffisants. Pourtant, ils sont bien moins dispendieux que l’hébergement…
« Pour la CSN, la plus grande erreur des 40 dernières années a été de confier un rôle toujours plus grand au secteur privé. Pour un vrai changement en santé et dans les services sociaux, il faut mettre fin à cette logique du profit et concentrer tous les efforts à la reconstruction de services publics solides », insiste David Bergeron-Cyr, vice-président de la CSN.
Ce qu’en pense vraiment la population
Au cours de l’automne dernier, la Commissaire à la santé et au bien-être, qui devrait être le chien de garde du réseau public, tenait des groupes de discussion organisés par l’Institut du Nouveau Monde sur l’avenir du système de santé. La consultation doit mener à un rapport qui sera présenté au ministre Dubé. La marchandisation des soins et des services y était abordée sans aucun complexe. On demandait aux participantes et aux participants « d’investir » ni plus ni moins que de l’argent Monopoly dans les différentes priorités d’action afin de déterminer lesquelles sont les plus prometteuses.
Sans aucun doute, il sera très intéressant de consulter le rapport qui découlera de cette consultation, car pour une claire majorité de personnes, la trop grande place déjà occupée par l’entreprise privée dans le secteur fait partie du problème.
La présidente du Conseil central du Bas-Saint-Laurent–CSN, Pauline Bélanger, a pris part à l’exercice, à titre de citoyenne. « J’espère que le ministre Dubé va être informé de ce qui s’est dit à Rimouski. J’entrais dans la salle un peu à reculons en m’attendant à y trouver des gens plutôt favorables à la privatisation. Or, ça m’a carrément redonné espoir ! Ce que la population veut vraiment n’a rien à voir avec ce que la CAQ dit qu’elle veut. Même les plus jeunes se montraient fortement attachés au réseau public. Le consensus qui s’est dégagé à Rimouski, c’était d’élargir la couverture publique aux soins dentaires et oculaires, de rendre les soins plus humains et d’améliorer les conditions de travail du personnel. »
Le président du conseil central de l’Outaouais, Alfonso Ibarra Ramirez, a pris part au même exercice, à Gatineau. « J’ai hâte de voir le rapport final. À quoi va-t-il servir ? Ça a été un bon exercice citoyen. Bien que la discussion se soit déroulée dans un cadre très défini basé sur des questions dirigées, à la fin des échanges, il était clair que les citoyennes et les citoyens de notre région ne souhaitent pas mettre la privatisation de l’avant. Au contraire, ce qui en est ressorti, c’est un fort attachement au système universel, accessible et gratuit ainsi que la nécessité d’élargir le rôle des CLSC publics et d’améliorer le financement des groupes communautaires. »