Après Couillard et Barrette, la réforme du réseau de la santé et des services sociaux concoctée par le ministre Dubé, qui s’incarne notamment dans le projet de loi 15, va complètement centraliser le réseau dans une seule agence nationale !
Une autre conséquence moins en évidence de cette réforme sera de placer le réseau public en concurrence plus constante avec le privé. Ce faisant, on risque fort d’assister à une croissance de la part des services assurés par le secteur privé, dont les trois nouveaux mini-hôpitaux annoncés par le ministre. Même si la majorité des services est encore aujourd’hui couverte par notre carte d’assurance maladie, nous payerons collectivement la facture supplémentaire qui viendra du privé, un peu comme la télémédecine offerte par certaines assurances collectives privées.
Le gouvernement et les partis d’opposition discutent encore des amendements possibles à faire au projet de loi. Malgré certaines modifications, la CSN estime toujours que ce projet de loi ne s’attaque pas aux racines du problème du réseau, soit la difficulté d’accès aux soins et services. Si le gouvernement avait consulté et tenu compte des demandes des citoyennes et des citoyens et de l’expérience des gens sur le terrain, le ministre Dubé aurait laissé tomber le recours à des services coûteux du privé et se serait plutôt intéressé à améliorer le réseau public en décentralisant les services afin de mieux répondre aux besoins de chacune des régions du Québec et des acteurs du réseau de la santé et des services sociaux. En Suède par exemple, le système de santé est principalement géré par les 21 régions du pays et mise beaucoup sur les soins ambulatoires plutôt que sur le nombre de lits dans le réseau. Or, ce pays réussit à respecter des délais rapprochés pour l’accès aux soins, dont les opérations ou les traitements appropriés qui se font dans les 90 jours.1 Ce pays réussit ce tour de force en utilisant significativement moins le privé que le Québec !
L’accès, pas la centralisation
Selon un sondage SOM dévoilé le 11 septembre dernier, l’amélioration de l’accès au système de santé est la priorité au Québec, avec 40 % des répondantes et répondants qui classent ce problème au sommet de leurs préoccupations. Malgré l’expérience traumatisante de la pandémie et après cinq ans au pouvoir, le gouvernement actuel n’a pas plus corrigé le tir que les précédents. Pire, le projet de loi 15 ne résout pas le problème d’accès, il risque même de l’empirer en diminuant le nombre de leviers régionaux.
Le projet de loi 15 du ministre Christian Dubé a été vendu sur la place publique comme une nécessité pour améliorer l’efficacité du réseau. Tout le monde s’entend là-dessus : il faut faire quelque chose. Or, le problème d’accès est en partie lié à celui du manque de main-d’œuvre. Il faudrait donc d’abord agir vigoureusement pour devenir un employeur de choix et ainsi faciliter l’embauche et la rétention du personnel.
La présentation de la réforme Dubé misait sur des mots avec lesquels il est difficile d’être en désaccord : efficacité et décentralisation. Mais au-delà des mots, où sont les mesures qui vont réellement en ce sens et qui règlent les problèmes constatés sur le terrain ? La création de l’agence Santé Québec sera, au contraire, une forme de centralisation. Remonter à Québec pour prendre certaines décisions risque souvent d’être encore moins efficace que dans les mégastructures actuelles que sont les CISSS. Imaginez des relations de travail à Québec lorsque l’on habite le Saguenay ou l’Abitibi ! Tout ça pour donner l’impression au gouvernement qu’un seul organisme peut tout contrôler. Si cette stratégie fonctionnait, la réforme Barrette aurait été un franc succès ! L’agence Santé Québec aura aussi comme effet collatéral d’éloigner la responsabilité des échecs de la cour du ministre. Ce dernier pourra en effet renvoyer les plaintes à l’agence.
Le leitmotiv de l’efficacité pourrait par ailleurs mener à des décisions qui manquent d’humanité. La mission de productivité de l’agence Santé Québec et la reddition de compte qui l’accompagnera vont se concentrer sur les statistiques de temps d’attente, ou sur le temps consacré à chaque traitement. Cette approche comptable n’aura pas le bien-être de la population et des employé-es du réseau comme priorité. Pour que le tableau de bord à Québec paraisse bien, on risque de donner moins de latitude à celles et ceux qui donnent les soins aux patientes et aux patients. On s’expose plutôt à chronométrer chaque tâche. Or, prendre la main d’une personne qui souffre n’est peut-être pas nécessaire ou important pour une ou un gestionnaire qui croit qu’un hôpital se gère comme une usine automobile, mais est essentiel pour lui donner un peu de dignité.
Vers de vraies solutions
La CSN estime qu’il n’est pas trop tard pour déclencher des états généraux sur la santé. Il faut réfléchir à ce que l’on veut comme système de santé, il faut identifier les solutions que l’on souhaite. C’est notre filet social qui est en jeu !
La santé et les services sociaux représentent près de la moitié des dépenses de l’État québécois. Le vieillissement de la population pourrait même accentuer cela. Ça mérite certainement que l’on revoie l’ensemble de l’œuvre pour s’assurer qu’il correspond à ce que les Québécoises et les Québécois veulent et que nous cessions de gaspiller collectivement des fonds publics qui vont aller grossir les profits du secteur privé. Le ministre Dubé a raison, il faut une réforme en profondeur.