La présente est une version écourtée de la lettre envoyée au ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur par les membres de la Table des partenaires universitaires (TPU).
Jamais encore n’avons-nous autant eu collectivement besoin de la science! Pour faire face à la pandémie actuelle, partout on se tourne vers les scientifiques. Pour affronter et vaincre cette crise, pour en tirer les indispensables leçons, la pandémie révèle le besoin pour la société québécoise et le gouvernement québécois de s’appuyer sur des citoyens et citoyennes dotés d’une solide formation et sur des recherches et études de pointe menées dans des établissements universitaires.
Il y aura au Québec, comme dans le reste du monde, un avant et un après COVID-19. Des leçons devront être tirées pour le secteur de la santé et des services sociaux, pour le milieu de l’éducation, pour les entreprises privées, etc. Le réseau universitaire ne doit pas échapper à l’examen. La crise est en effet une occasion de renforcer le réseau universitaire, c’est-à-dire de réviser son financement, de pallier l’absence de coordination entre les diverses composantes et de réaffirmer les fondements de la gestion des établissements.
Un financement public adéquat, prévisible et équitable
La crise constitue le bon moment pour le gouvernement d’assurer un financement à long terme de l’enseignement et de la recherche.
La combinaison d’un paramètre inadéquat du financement actuel de l’enseignement, soit l’étudiant en équivalence au temps plein (EETP), et de la déréglementation des droits de scolarité des étudiants et étudiantes internationaux qui ne seront vraisemblablement plus au rendez-vous cet automne pousse les directions des établissements à effectuer une gestion à courte vue qui est préjudiciable à leur mission d’enseignement et de formation.
Le financement de l’enseignement universitaire doit être révisé afin de freiner la concurrence et le gaspillage de fonds publics auquel elle a donné lieu (« branding » des établissements, mise en marché, déploiement de campus satellites dans des régions déjà desservies, etc.) Les universités ne doivent pas dépendre non plus des fonds accordés par les entreprises et les philanthropes.
Le financement doit aussi tenir compte des besoins et des conditions de la population étudiante (première génération, temps partiel, parents-étudiants, population autochtone, en situation de handicap, stress, incertitude financière, etc.) Il doit soutenir la nécessité de maintenir des infrastructures et de l’expertise dans toutes les régions du Québec. C’est pourquoi la gratuité scolaire et le soutien aux études sont essentiels.
De plus, la précarité sous toutes ses formes et dans les divers corps d’emplois doit faire l’objet d’une sérieuse remise en question. Les conditions de travail du personnel se sont terriblement dégradées au fil des années et le taux de précarité des personnes chargées de cours, des professionnel-les et des personnels de soutien est effarant. Il faut mettre fin aux attaques à la sécurité d’emploi. Le recours à la sous-traitance dans tous les secteurs est une tendance qu’il faut pourfendre.
Un rehaussement substantiel du financement public (canadien et québécois) de la recherche universitaire est incontournable ainsi qu’un accès équitable de tous les acteurs qui font de la recherche, soit les professeur-es, les professionnel-les de recherche, les personnes chargées de cours, de même que les étudiant-es à ces ressources. Au cours des dernières années, les compressions dans les budgets de recherche, jumelées à une volonté de soutenir des projets répondant à des priorités gouvernementales ou des entreprises, ont porté atteinte à la recherche libre et à l’indépendance intellectuelle et scientifique.
Bref, l’État québécois doit assurer un financement adéquat, stable, prévisible et équitable de la mission des universités.
La coordination, la collaboration et la gestion
L’élaboration d’une loi-cadre et la création d’un conseil des universités amélioreraient la cohésion au sein du réseau et la collaboration entre les établissements. La crise que nous vivons aujourd’hui exprime plus que jamais ce besoin. Non seulement ces deux dispositifs auraient pu freiner la concurrence que se livrent les directions des établissements depuis plusieurs années – et le gaspillage de fonds publics qui l’accompagne, mais ils auraient aussi pu empêcher des prises de décision locales, modifiant la mission universitaire de façon irréfléchie, auxquelles nous assistons actuellement dans certains établissements. Le conseil des universités doit toutefois être composé d’une majorité de membres issus des différents groupes appartenant à la communauté universitaire et ne pas conduire à l’implantation de mécanismes d’assurance qualité ni à une standardisation des contenus pédagogiques et de la recherche.
Enfin, nous croyons que la création d’un ministère entièrement dédié à l’enseignement supérieur, à la recherche et à l’innovation contribuerait à accroitre la collaboration des universités entre elles.
Les crises sont propices à la transformation des rapports de pouvoir au sein des organisations. La crise actuelle ne fait pas exception à la règle. Elle a été une nouvelle occasion d’éroder la gestion collégiale qui est pourtant au cœur du fonctionnement des universités depuis leur création. Il nous faut revenir à des modes de gestion qui favorisent la collégialité et la représentation de tous les groupes de la communauté au sein des instances : cadres, professeur-es, personnes chargées de cours, professionnel-les, personnels de soutien, ainsi que les étudiant-es. Il faut de plus assurer que les décisions relatives à l’enseignement et à la recherche soient entièrement dévolues au personnel universitaire par l’intermédiaire d’instances au sein desquelles les membres de la communauté universitaire sont nettement majoritaires.
Nous savons que la pandémie que nous vivons actuellement ne sera pas la dernière crise que le Québec devra affronter. D’autres crises s’annoncent déjà et menacent la santé publique, l’agriculture, l’aménagement du territoire, l’économie, la cohésion et la solidarité sociale. Ces crises exigeront elles aussi des décisions difficiles de la part des responsables politiques. Pour nous préparer à les affronter, la société québécoise aura à nouveau besoin des savoirs construits par une multitude de disciplines. Des savoirs libres et engagés pour affronter et résoudre les problèmes auxquels sociétés, communautés et individus doivent faire face. Pour que les universités soient à la hauteur des nouveaux défis qui se présenteront, et capables de satisfaire les attentes de la société québécoise à leur égard, il faut renforcer le réseau universitaire.
Signataires, membres de la Table des partenaires universitaires :
Caroline Quesnel, présidente, Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec-CSN
Louise Briand, vice-présidente, secteur universitaire, Fédération des professionnèles – CSN
Jean Portugais, président, Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU)
Bernard Gaucher, président, Fédération du personnel professionnel des universités et de la recherche
Carole Neill, présidente, Conseil provincial du secteur universitaire du SCFP-Québec.
Philippe Lebel, président, Union étudiante du Québec
Andréanne St-Gelais, présidente de la Fédération des associations étudiantes universitaires québécoises en éducation permanente