Alors que certains craignent que l’avènement d’un scrutin proportionnel mixte à compensation régionale ne soit source d’instabilité, plusieurs estiment qu’un véritable changement de culture politique s’impose à Québec.
30 novembre 1998. Malgré le fait qu’il obtient 27 618 voix de moins que les libéraux, le Parti québécois, alors dirigé par Lucien Bouchard, récolte 76 des 125 sièges de l’Assemblée nationale. De son côté, en dépit de l’appui de 12 % de la population, l’ADQ ne faisait élire qu’un seul député, Mario Dumont.
D’aucuns diront que le Québec l’a échappé belle – rappelons-nous que Jean Charest flirtait à l’époque sur la vague du « gros bon sens » de son voisin ontarien, le conservateur Mike Harris. D’autres pointeront du doigt cette victoire douce-amère comme étant à l’origine du report d’un nouveau référendum peu de temps après la défaite crève-cœur de 1995. Mais l’évidence mathématique en frappait plus d’un : avec moins de 43 % des voix exprimées, le PQ raflait tout de même 61 % des circonscriptions et Lucien Bouchard se retrouvait, bien en selle, à la tête d’un gouvernement majoritaire.
Le débat entourant le mode de scrutin au Québec n’est pas nouveau, mais une fenêtre menant à une véritable réforme semble se dessiner depuis que la ministre de la Justice, Sonia Lebel, a déposé le projet de loi 39 établissant un nouveau mode de scrutin.
Présente en commission parlementaire, la CSN a appuyé l’objectif général d’une telle réforme. Elle a toutefois souligné que de nombreuses modifications doivent y être apportées avant de recevoir l’aval de la confédération, notamment quant à la volonté du gouvernement de tenir un référendum sur cette question… lors des élections générales de 2022. « C’est un enjeu trop important pour être abandonné aux considérations partisanes d’une campagne électorale, rappelle le président de la CSN, Jacques Létourneau. Les parlementaires ont la légitimité pour aller de l’avant. Mais si le gouvernement tient mordicus à soumettre la question dans le cadre d’un référendum, celui-ci doit se tenir avant les élections de 2022. »
La centrale syndicale a aussi exprimé de sérieuses réserves quant à ce que plusieurs ont qualifié de « prime au vainqueur » contenue dans la formule de compensation privilégiée par le gouvernement. « L’objectif d’un mode de scrutin proportionnel est de trouver un juste équilibre entre le nombre de voix exprimées et le nombre de sièges accordés aux différents partis. Ce n’est pas de récompenser en double le parti qui a remporté un siège de circonscription avec une minorité du suffrage ! », ajoute-t-il.
Christan Dufour, l’une des rares voix à s’opposer à l’idée d’un mode de scrutin proportionnel mixte à compensation régionale et auteur de l’ouvrage Le pouvoir québécois menacé. Non à la proportionnelle !, argue qu’un tel système diminuerait le poids politique du Québec, seul gouvernement francophone en Amérique du Nord. Le Québec serait dès lors abandonné aux aléas des coalitions entre différents partis, synonymes pour le politologue d’instabilité politique. Qui plus est, la population se verrait privée de son droit de « congédier » un gouvernement – les élections de 1998 prouvant pourtant cette impossibilité… dans le cadre d’une élection à scrutin uninominal à un tour !
Ancienne présidente de la CSN, aujourd’hui présidente des Organisations unies pour l’indépendance (OUI Québec), Claudette Carbonneau rejette l’argument voulant que la proportionnelle diminuerait le pouvoir du Québec.
« Dans l’histoire récente, le Québec a rarement eu un gouvernement aussi peu nationaliste que celui de Philippe Couillard, soutient l’ancienne présidente de la CSN. Son gouvernement nous implorait d’être indulgents envers l’Alberta en fonction des paiements de péréquation et ne montait pas aux barricades pour exiger un rehaussement des transferts fédéraux en santé. Aux yeux de Philippe Couillard, le fruit n’était jamais assez mûr pour porter une quelconque revendication quant aux pouvoirs du Québec. Son appui inconditionnel à la Charte canadienne des droits et libertés était pour le moins démesuré quand on prend en considération la spécificité de la nation québécoise. L’attitude à-plat-ventriste du gouvernement Couillard était en porte-à-faux des trois autres partis représentés à l’Assemblée nationale. »
Pour Claudette Carbonneau, l’analyse de Christian Dufour repose sur une mauvaise compréhension de la récente reconfiguration de la scène politique québécoise. « Nous pourrions lui donner en partie raison, car le système uninominal à un tour a procuré au Québec une certaine stabilité… à l’époque où le Québec était monopolisé par deux grands partis, concède-t-elle. Mais qu’on le veuille ou non, nous sommes aujourd’hui en présence de quatre partis politiques et cette réalité semble bien implantée. »
Néanmoins, un véritable changement de culture politique s’impose à Québec, estime-t-elle. « Nos partis politiques doivent mettre de côté leurs intérêts partisans au bénéfice de l’ensemble de la population. L’important débat sur l’aide médicale à mourir et le travail parlementaire effectué dans le dossier de la violence faite aux femmes nous ont montré les effets positifs d’une telle collaboration. »
Un point de vue partagé par Jacques Létourneau. « Afin que notre système électoral représente le plus fidèlement possible la volonté populaire, il faut mettre fin au mode de scrutin hérité de l’empire britannique. Il revient à la classe politique de s’adapter en conséquence afin de faire avancer l’intérêt public – certainement pas l’inverse ! »