Si la confection de la proposition budgétaire d’une organisation comme la CSN est toujours un exercice délicat, la confection de celle qui a été présentée au dernier congrès a été des plus exigeantes en raison de la perte de quelque 22 000 membres du réseau de la santé et des services sociaux. Pour la première fois de son histoire récente, la CSN fait face à une décroissance de ses revenus.
La CSN fait face à une situation financière exceptionnelle parce qu’elle vit une décroissance du nombre de cotisants, ce qui ne s’était pas vu depuis une vingtaine d’années. Qu’est-ce qui explique cette situation ?
— Trois éléments, à mon avis. Premièrement, on ne s’est pas totalement remis de la crise financière de 2008 qui a dégénéré en crise économique, ce qui fait qu’il s’est perdu de nombreux emplois dans le secteur manufacturier au Québec, un secteur qui est fortement syndiqué. Les emplois se sont déplacés vers le secteur des services, plus faiblement syndiqué. Deuxièmement, les budgets d’austérité font en sorte qu’il y a des abolitions de postes dans le réseau de la santé et des services sociaux et que ça a un impact important. Le troisième élément, c’est que le mouvement syndical a subi des attaques répétées ces dernières années et on a vu le taux de syndicalisation commencer à fléchir sous les 40 %. Tous ces éléments combinés au vieillissement de la population font en sorte qu’il y a de moins en moins de travailleurs actifs.
Comme trésorier de la CSN, vous avez dû faire des choix très difficiles. Quels sont les grands principes qui ont orienté vos choix budgétaires ?
— Nous avons fait trois choix fondamentaux. On a tenu à donner un signal selon lequel la CSN allait soutenir les travailleuses et les travailleurs en lutte et c’est pour ça qu’on augmente les prestations de grève, de lock-out et de congédiement pour activités syndicales. C’est un premier choix fondamental. Le deuxième choix fondamental, c’est qu’à la suite du congrès de 2011, la CSN a pris des engagements et a revu ses politiques d’aide financière, d’arbitrage de congédiement, de participation à un premier congrès ou à une première négociation d’un syndicat. Nous maintenons ces engagements-là. Le troisième élément, c’est que si on avait suivi nos règles, il aurait fallu couper 1,7 million dans la péréquation versée aux conseils centraux et aux fédérations pour le prochain exercice financier. Pour minimiser les répercussions sur les services aux syndicats, on a maintenu le même niveau de péréquation.
On a ensuite revu l’ensemble des postes budgétaires et notre fonctionnement. On a notamment proposé de réduire la durée des conseils confédéraux, de minimiser les frais de séjour et de déplacement. On a adopté une série de mesures pour réduire les dépenses, mais en fin de course il a fallu supprimer un certain nombre de postes. On en a redéployé, notamment sur le plan de la syndicalisation, pour être encore plus présents dans les régions du Québec.
Est-ce que les syndicats ont des raisons de s’inquiéter du redéploiement des effectifs ?
— Je pense qu’au contraire, ils devraient être encouragés par ce redéploiement. Déjà en 2012-2013, on avait déconcentré une partie du service de syndicalisation en déplaçant des postes de Montréal vers Brossard en Montérégie, Terrebonne dans Lanaudière et Drummondville dans le Centre-du-Québec et ce qu’on constate quelques années plus tard, c’est que dans les régions où on a décentralisé notre service de syndicalisation, ça a eu un effet à la hausse sur la syndicalisation. Donc, on veut aller encore plus loin à cet égard-là en déconcentrant une ressource au Saguenay–Lac-Saint-Jean où on pense qu’il y a un bon potentiel de syndicalisation et une autre dans la région de Granby, qui va couvrir toute la région de l’Estrie où le taux de syndicalisation est un peu plus faible que dans le reste du Québec. Ainsi, on pense qu’avec cette décentralisation, la CSN sera encore plus présente sur le terrain dans les régions où il y a un bon potentiel de syndicalisation et que ça devrait porter des fruits.
Que répondez-vous à ceux qui disent que les compressions de personnel risquent d’affecter directement les services aux membres ?
— Une organisation comme la nôtre, c’est une organisation de services. Quand on réduit le personnel, il y a toujours un danger pour les services, mais je pense qu’on a pris les mesures pour en minimiser les effets. Deuxièmement, une bonne partie des services offerts aux syndicats le sont par les fédérations. La négociation, l’arbitrage de griefs, ce sont les fédérations qui offrent ces services-là. En maintenant la péréquation au même niveau, malgré nos baisses de revenus, on s’assure de ne pas pelleter notre problème dans la cour des fédérations pour des enjeux aussi fondamentaux que la négociation et les arbitrages de griefs.
La CSN devra, malgré tout, supporter un déficit de plus de six millions de dollars. Est-ce que ce déficit est soutenable pour la CSN à court et moyen terme ?
— Le déficit est soutenable parce que d’abord notre Fonds de défense professionnelle est en très bonne santé financière, on peut donc soutenir toutes les luttes des travailleuses et des travailleurs. Le budget de fonctionnement, lui, est un peu plus fragile, mais il faut comprendre qu’une bonne partie du déficit de six millions, je dirais la moitié, vient du fait que notre exercice financier est commencé depuis le 1er mars. Une bonne partie des économies réalisées avec les réductions de postes vont se réaliser au début de l’automne, alors que nos revenus eux ont commencé à décroître depuis le 1er avril. Il faut voir le budget 2017-2020 comme un budget de transition. En 2020-2023, on devrait recouvrer une situation financière tout à fait respectable.
La CSN n’est pas à l’abri d’un possible vote d’allégeance, par exemple dans le secteur de l’éducation ou ailleurs. À quelles conditions la CSN pourra ressortir plus forte et mieux équipée pour y faire face ?
— On a prévu des budgets assez importants du point de vue de la syndicalisation pour accroître notre présence dans le secteur privé, que ce soit dans l’industrie manufacturière, les communications, la construction ou le commerce. Si jamais il y a de nouvelles lois qui forcent des votes, des sommes d’argent seront disponibles pour y faire face. J’ajouterais qu’on va réaliser un bilan de la période qu’on vient de traverser, à visière levée, avec toute la transparence dont on est capable, pour que pareille situation ne se reproduise pas.
Pour vous la transparence financière, c’est important?
— C’est une valeur fondamentale à la CSN. Les gens paient des cotisations syndicales et s’attendent à ce qu’on soit transparent quant à l’utilisation qu’on fait de leurs cotisations. Le débat sur le budget au congrès a duré plus d’une journée, avec toutes les informations qu’on pouvait donner aux délégué-es pour qu’ils puissent prendre des décisions éclairées.
Estimez-vous que la CSN pourra sortir plus forte de la situation financière qu’elle traverse en ce moment ?
— C’est un coup dur à passer, mais on a une bonne structure financière, un fonds de défense professionnelle bien garni, un fonds de soutien extraordinaire qui peut venir appuyer le budget de fonctionnement. On va passer à travers cette période difficile avec les choix qu’on a faits et je suis persuadé qu’on en sortira grandis.