Mis sur pause pendant la pandémie, les conflits de travail ont explosé au cours du dernier mandat, le nombre de prestations de grève ou de lock-out en témoigne. Munis d’un nouveau rapport de force, les syndiqué-es ont choisi de se battre, non seulement pour eux-mêmes, mais pour leurs collègues moins nantis. Portrait d’une solidarité en action.
S’il est une chose que la pandémie a révélée, c’est bien le caractère essentiel de nos CPE, nous dit Stéphanie Vachon, représentante du secteur à la Fédération de la santé et des services sociaux–CSN. « Avec l’arrivée de la pandémie, les CPE ont été mis en service de garde d’urgence. Soudainement, nous étions essentielles, nous devions être là pour nous occuper des enfants, sans masque. Beaucoup d’entre nous se sont senties utilisées. Quand on a déconfiné le Québec, on était épuisées, mais prêtes à mener la bataille, parce que nos salaires étaient de 16 % inférieurs au réseau de la santé. »
Ce conflit a débouché sur une grève générale illimitée dans les CPE du Québec et fait figure de bataille historique, non seulement par son ampleur, mais par son degré de mobilisation et de solidarité. En offrant de bien meilleures conditions aux éducatrices qui forment 90 % des effectifs, l’employeur a cherché à diviser les troupes. Mais la solidarité a tenu le coup, comme en témoigne Caroline Brière, responsable de l’alimentation au CPE Les petits mulots de Québec. « En assemblée générale, des éducatrices me disaient : “cette bataille-là, on la fait pour toi.” J’ai été très touchée par cet élan de solidarité et de générosité. »
Marc-Olivier Nadeau, éducateur à l’enfance au CPE Courte-pointe, en était à sa première bataille. Son objectif : ne laisser personne derrière. « On est descendus dans la rue pour garder nos responsables de l’alimentation et nos éducatrices spécialisées. Et pour les garder, il fallait se battre. »
Les travailleuses des CPE sont ressorties plus soudées que jamais de leurs 18 jours de grève. Et cette fois, elles ont largement bénéficié de l’appui du public et des parents en particulier, souligne Stéphanie Vachon. « Les parents et les médias étaient 100 % derrière nous. C’était un vrai mouvement populaire. »
« Les parents venaient sur les lignes de piquetage, ils nous donnaient du café, ils nous apportaient du réconfort », ajoute Caroline Brière, qui vit tous les jours la pénurie de personnel dans les CPE. La bataille menée en 2021 était essentielle pour éviter que les effectifs ne fondent à vue d’œil. « Je n’ai jamais vu autant de postes vacants en 17 ans de service. »
Tout le monde reconnaît que le travail est difficile. On accueille de plus en plus d’enfants à besoins particuliers, mais on manque cruellement de ressources pour les encadrer. Les ratios, la charge de travail et une meilleure reconnaissance des travailleuses seront au cœur des discussions non seulement pour les recruter, mais pour garder à l’emploi les 12 000 travailleuses présentes dans les 420 CPE du Québec membres de la CSN. Intéresser les aspirantes et retenir les candidates s’annonce tout un défi pour la prochaine négociation.
Des conflits plus nombreux depuis 2020
La sortie de la pandémie a été un moment décisif pour un grand nombre de syndicats CSN, nous dit Frédérick Bernier, directeur du Fonds de défense professionnelle (FDP). Rappelons que ce fonds d’appui est destiné à fournir aux syndicats de la CSN un soutien financier dans leurs luttes afin de leur permettre de tenir la minute de plus. « Les gens voulaient se réapproprier leur rapport de force et ils n’ont pas hésité à se battre. » Les syndiqué-es ont largement fait appel au FDP, devenu plus accessible et généreux depuis le dernier congrès. Entre 2020 et 2023, le nombre de prestations versées aux syndiqué-es en conflit a atteint 91 000. « On est pas mal au-dessus des prévisions budgétaires, ajoute Frédérick Bernier. Dans les mandats précédents, le FDP était sous-utilisé. Cette fois-ci, la conjoncture a provoqué l’effet contraire. »
Incapables de se mobiliser pendant la pandémie, bon nombre de travailleuses et de travailleurs voulaient à tout prix améliorer leur sort, nous dit Stéphane Dufour, coordonnateur national à la mobilisation et à la vie régionale de la CSN. « Au plus fort de la pandémie, on a vu défiler les prolongations de convention et les hausses minimes de salaire. Les gens voulaient mettre leur énergie à passer à travers et voir après. Mais ils n’ont rien reçu et ça les a choqués. L’inflation est là et ils veulent maintenir leur qualité de vie. Avec la pénurie de main-d’œuvre, ils ont un meilleur rapport de force pour aller au bout de leurs convictions. »
Conflit au Cimetière Notre-Dame-des-Neiges : une nouvelle solidarité
Un autre conflit retient l’attention, celui des employé-es du Cimetière Notre-Dame-des-neiges de Montréal. En septembre dernier, devant l’intransigeance de l’employeur, les employé-es de bureau ont déclenché la grève générale illimitée. En janvier, les employé-es manuels ont emboîté le pas à leurs camarades, déclenchant la grève à leur tour.
Selon le syndicat, le climat de travail était devenu invivable depuis l’embauche, en 2019, d’un nouveau directeur général par la Fabrique de la Paroisse Notre-Dame-des-neiges : mises en demeure, suspensions, injonctions, judiciarisation à outrance. Cet acharnement de l’employeur a provoqué le rapprochement des deux syndicats, qui, depuis janvier dernier, négocient ensemble, comme l’explique Patrick Chartrand, président du Syndicat des travailleuses et travailleurs du Cimetière Notre-Dame-des-Neiges–CSN. « Le mépris de l’employeur est le même envers nos deux syndicats : il cherche à attaquer les mêmes choses de chaque côté. L’union s’est donc faite naturellement. Le 31 janvier dernier, on a présenté nos demandes communes et on est arrivés à la table de négociation ensemble, ce qui est une première dans notre histoire syndicale. Dorénavant, il n’y aura pas qu’un seul syndicat à la table, ce sera les deux ou pas du tout. »
Dès la mi-janvier, l’employeur a fermé le cimetière, empêchant ainsi les familles de se recueillir sur la tombe de leurs défunts. Il a bien tenté d’en faire porter l’odieux aux syndiqué-es en grève, mais bien des familles leur sont demeurées solidaires, comme en témoigne Sandrine Dessureault, conseillère syndicale. « Une manifestation a eu lieu pour la réouverture du cimetière. Des familles appuient les syndicats et viennent parfois sur les piquets de grève. Elles veulent que le conflit se règle au bénéfice de tout le monde. »
L’accumulation des corps et des urnes et le report d’un grand nombre de funérailles rendent chaque jour la situation plus intolérable pour elles, comme l’explique Patrick Chartrand. « Un deuil, il faut le vivre, ça ne se reporte pas. » Avec l’été qui approche, la pression ne pourra qu’augmenter, ce qui forcera peut-être l’employeur à se rasseoir à la table et à négocier.
Olymel, un combat courageux, une fermeture qui fait mal
Après un long combat de plusieurs années ponctué d’un lock-out et de menaces de fermeture, les 911 travailleurs et travailleuses syndiqués de l’abattoir Olymel de Vallée-Jonction ont appris, le 14 avril dernier, la fermeture graduelle de l’usine, d’ici décembre prochain. C’est une véritable tragédie pour les syndiqué-es et toute la population de cette petite communauté de Chaudière-Appalaches, comme le rappelle Alexandre Laviolette, président de la Fédération du commerce (FC–CSN). « C’est une catastrophe régionale. Quasiment tout le monde travaillait chez Olymel, ça fait au moins cinquante ans que cette usine-là fonctionne. »
Il faut aussi mentionner que l’entreprise n’entend pas verser d’indemnités de départ ou de primes de rétention aux employé-es, ce qui risque d’amener plusieurs syndiqué-es à quitter l’abattoir avant même sa fermeture définitive. Le président de la FC–CSN rappelle que 1 000 emplois perdus à Vallée-Jonction, c’est l’équivalent de 69 000 emplois perdus à Montréal. « Les syndicats locaux sont en train de s’informer des besoins de main-d’œuvre dans la région, souligne Alexandre Laviolette. Il y a une solidarité du mouvement pour aider tous ces gens qui vivent cette tragédie-là et qui ne veulent pas s’expatrier. »
La lutte des employé-es d’Olymel Vallée-Jonction prend fin de manière dramatique, mais leur combat aura mis en lumière les conditions de travail très pénibles dans le monde des abattoirs. En avril 2021, au terme d’une négociation difficile, les syndiqué-es étaient parvenus à réaliser des gains importants. Leurs avancées avaient même eu un effet domino sur les conditions de travail d’autres abattoirs et provoqué des réouvertures de conventions collectives.
Avec la fermeture prochaine de l’abattoir Olymel de Vallée-Jonction, le groupe coopératif Sollio en sera à sa deuxième fermeture d’entreprise en 2023. Un triste record. En février dernier, la coopérative Novago, dans Lanaudière, mettait fin à ses activités après 17 mois de grève, préférant mettre la clé sous la porte plutôt que de négocier des conditions de travail décentes. Comme le souligne Alexandre Laviolette, « ils se sont comportés exactement comme une entreprise multinationale américaine. »
Un prochain mandat très actif
Selon Frédérick Bernier, le FDP sera de plus en plus sollicité dans les prochaines années. « Près de 1 500 accréditations syndicales, donc 275 000 membres de la CSN, seront en renouvellement d’ici la fin du prochain mandat. Ce sont autant de possibilités de négociations difficiles ou de conflits. La conjoncture va être favorable pour les travailleuses et les travailleurs. Le FDP était peu utilisé avant, ça nous a aidés à constituer un bas de laine. » Les syndicats CSN sont donc parfaitement équipés pour affronter l’avenir et pour défendre leurs droits.