Plusieurs voix s’élèvent depuis quelques jours, notamment celles de l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ) et de la directrice générale de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), pour réclamer le partage des pourboires entre serveurs et cuisiniers, notamment pour pallier le problème de recrutement des postes en cuisine. Or, ce débat n’est pas nouveau; en 2018 les employeurs du secteur de la restauration réclamaient déjà une révision de la Loi sur les normes du travail (LNT) pour donner le pouvoir aux patrons de partager les pourboires. On évoquait aussi à l’époque le contexte de pénurie de main-d’œuvre. À notre avis, cette proposition ne fait que niveler par le bas les conditions de travail des travailleurs et travailleuses du secteur de la restauration en entier.
Nos organisations plaident pour que le métier de cuisinière et cuisinier soit plus valorisé et plus reconnu et cela passe par de meilleures conditions de travail, mais pas au détriment des employés et employées à pourboire! Il n’y a pas de formule magique, pour attirer et garder le personnel, il faut de la reconnaissance, de meilleures conditions et évidemment de meilleurs salaires. Les restaurateurs savent très bien que c’est en mettant fin aux salaires de crève-faim des employé-es de cuisine qu‘ils et elles reprendront le tablier. Rappelons que ces salaires ont augmenté d’environ 10 % seulement au cours des deux dernières années, signe de la nécessité de donner un coup de barre pour combler les brigades.
Le partage des pourboires risque aussi de déplacer le problème de recrutement en cuisine vers les serveuses et les serveurs. Il faut se rappeler que le taux du salaire minimum pour les travailleuses et travailleurs à pourboire est de 11,40 $ l’heure, soit inférieur au salaire minimum régulier qui est de 14,25$. On peut donc facilement comprendre qu’une journée peu achalandée ou encore un menu à faible coût ne se traduit pas nécessairement en pourboires conséquents et donc en grosse paie. Il est faux de croire que tous les serveurs et serveuses au Québec travaillent dans de grands restaurants aux factures faramineuses. Nombre d’entre eux peinent encore à joindre les deux bouts!
Les pourboires ont toujours fait partie de la rémunération globale des serveurs et serveuses. Le Québec est d’ailleurs la seule province où le salaire minimum qui leur est réservé est inférieur à celui du reste de la population. Et si une partie du pourboire a pu échapper au fisc par le passé, cette question est réglée depuis maintenant vingt-cinq ans.
Et l’on voudrait aujourd’hui, pour combler les salaires inadéquats du personnel de cuisine, égrener les revenus des serveurs et serveuses en lieu et place d’une rémunération qui incombe… à l’employeur lui-même?
Il faut rappeler que la loi n’empêche aucunement le partage des pourboires laissés en salle. Dans de nombreux milieux de travail en restauration, le partage des pourboires avec le personnel de cuisine est maintenant devenu la norme.
La loi interdit toutefois qu’un employeur vienne s’y mettre les mains. Car si les personnes salariées à pourboire acceptent de partager leurs pourboires avec leurs collègues de salle et de cuisine, c’est parce que les ententes sont décidées par les travailleuses et les travailleurs eux-mêmes, sans que le propriétaire de l’établissement vienne imposer ses règles et encore moins piger dans la caisse.
Daniel Boyer
président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)
Caroline Senneville
présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)
Colin Lefebvre-Bouchard
président d’Au bas de l’échelle