En 2014, c’est avec beaucoup de fierté que la CSN avait remis le prix Pierre-Vadeboncœur à l’essayiste Alain Deneault pour son monumental travail qui a abouti à la parution de Paradis fiscaux, la filière canadienne. Au terme d’une longue recherche, l’auteur a démonté tous les fils de cette incroyable arnaque permise par les lois et encouragée par des financiers et des banques peu scrupuleux du bien commun. Faut-il s’attendre à autre chose de ces individus et de ces institutions ? Non, bien sûr.
C’est pour cette raison qu’il revient à l’État d’intervenir pour que cesse cette pratique qui soustrait des milliards et des milliards de dollars au fisc, en toute impunité. Dans l’édition précédente de Perspectives CSN, au moment où le scandale des Panama Papers était rendu public, la CSN consacrait un reportage à ces voleurs de grand chemin planétaires. Nous pouvions y lire notamment que « le Tax Justice Network, une organisation qui dénonce les paradis fiscaux, estime entre 21 000 et 32 000 milliards de dollars les montants placés à l’abri de l’impôt. Les entreprises canadiennes et les Canadiens les plus riches y détiennent l’équivalent de 200 milliards de dollars. Ce sont là les chiffres officiels, mais ils sous-estiment largement la réalité ».
Des milliers de milliards — on appelle ça des billions — perdus, ça aide à comprendre la source des drames humains qui se jouent quotidiennement depuis la mise en œuvre des politiques d’austérité à Québec, où tout le monde ne s’émeut pas de voir des personnes âgées ne recevoir qu’un bain par semaine. Les services publics sont sous-financés, de plus en plus tarifés et en proie à un processus de privatisation qui fera mal, surtout à la classe moyenne et aux classes populaires. Les programmes sociaux, comme les services de garde éducatifs et la sécurité du revenu, sont la cible d’un tir groupé des libéraux provinciaux. Les organismes communautaires voient leur financement fondre, et même disparaître. Ces compressions frappent fort et empêchent un développement économique créateur d’emplois de qualité.
Dans Une escroquerie légalisée, son dernier livre, Alain Deneault avance, à juste titre, que les causes de l’austérité trouvent justement leurs fondements dans les paradis fiscaux, en cela qu’ils privent l’État de revenus et qu’ils commandent donc les politiques restrictives.
Une valse de milliards étourdissante
Dans son observatoire des conséquences des mesures d’austérité au Québec, l’IRIS établit à plus de quatre milliards de dollars le total des coupes recensées depuis 2014. Un montant gigantesque, au vu des conséquences de ces compressions ; une goutte d’eau dans cet océan de dollars qui se jette dans les paradis fiscaux. En 2014, près du quart des investissements directs étrangers du Canada y étaient réalisés. Selon certaines estimations, les pertes fiscales découlant des capitaux canadiens qui y sont placés représenteraient six milliards de dollars par année. Le ministère des Finances évalue lui-même qu’ils privent le Québec de plus d’un milliard annuellement. De quoi donner les moyens aux États canadien et québécois de créer de bons emplois et de financer adéquatement les programmes sociaux ainsi que les services de santé et d’éducation, par exemple.
Entre 1988 et 2014, les actifs canadiens dans les centres financiers extraterritoriaux ont été multipliés par 22. Curieusement, c’est au cours de cette période qu’on a constaté un assouplissement des règles fiscales qui a largement favorisé les entreprises et les plus riches… et le début du désengagement de l’État tel qu’on le connaît depuis la fin de la Révolution tranquille.
Le réveil des élus n’est que tout récent, mais il faut le souligner. Dès le lendemain de l’élection fédérale, Stéphane Dion a déclaré que son gouvernement agirait sur cette question. À Québec, on a même annoncé une commission parlementaire.
Au début de juin, au moment de mettre sous presse, le conseil confédéral de la CSN s’est penché sur les paradis fiscaux. Les délégué-es ont débattu des recommandations contenues dans notre mémoire, qui comprend une analyse très complète sur le sujet. Nous aurons donc l’occasion de revenir sur les moyens que nous entendons déployer pour amener nos gouvernements à agir. Car il est plus que temps qu’ils le fassent.