Entrevue avec Rodrigo Borras, membre du Comité national des droits humains de la Centrale des travailleurs d’Argentine (CTA) et intervenant pour l’atelier Organiser les travailleurs migrants au-delà des frontières au Forum social mondial à Montréal.
Y a-t-il beaucoup de travailleurs migrants en Argentine ?
En Argentine, on estime que le pourcentage de migrants se situe autour de 4 % sur un total de 40 millions d’habitants. Cela nous donne environ 160 000 migrants enregistrés en Argentine. Toutefois, nous savons que le nombre réel de migrants est beaucoup plus élevé que le chiffre officiel, puisque bon nombre d’entre eux ne sont pas enregistrés.
Dans quels secteurs d’emploi les retrouve-t-on principalement ?
On les retrouve surtout dans le travail domestique, dans l’industrie de la construction, en agriculture et dans l’industrie du textile.
En Argentine, les conditions de travail des migrants sont-elles différentes des conditions des autres travailleuses et travailleurs ?
En fait, il y a un fossé important entre les conditions de travail des migrants qui occupent des emplois enregistrés et celles des travailleurs non officiels. Depuis quelques années, des progrès intéressants ont été réalisés dans les secteurs de la construction et du travail domestique : beaucoup plus d’emplois enregistrés, donc beaucoup plus d’encadrement du fonctionnement de ces milieux de travail. Toutefois, dans l’industrie du textile ou en agriculture, les conditions varient énormément d’un employeur à l’autre. On y retrouve beaucoup de travail au noir et cette absence de réglementation génère parfois des conditions de travail qui s’apparentent à l’esclavage. Nous avons vu des cas très graves de migrants entassés dans de minuscules espaces avec leurs familles, travaillant dans des ateliers clandestins de fabrication de vêtements. Il y a aussi, dans les zones rurales, des migrants qui vivent et travaillent dans des tolderías, s’étant fait retirer leurs papiers par le patron du camp.
Y a-t-il des stratégies pour organiser ces travailleurs ?
À la CTA, nous croyons que la syndicalisation est la seule façon de lutter contre l’exploitation des travailleurs migrants. Nous avons des expériences très concluantes où la présence syndicale a aidé à corriger des situations problématiques en formalisant le travail. Il existe cependant de nombreux facteurs qui compliquent ces stratégies, comme par exemple la présence de la mafia qui se charge du recrutement et du déplacement des migrants pour certains employeurs. Afin de faire de réelles percées, en Argentine ou ailleurs, nous devons travailler de concert avec les grandes organisations comme l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’Organisation internationale pour les migrations, afin qu’elles appuient les initiatives locales. Nous sommes convaincus que l’aide aux travailleurs migrants dans la région commence d’abord et avant tout par la diffusion de l’information quant à la lutte menée par les syndicats pour la défense des droits de toutes les travailleuses et de tous les travailleurs. Il faut partir de là et construire avec les migrants par la suite.