Spécialiste des relations internationales et invité au congrès de la CSN, Pierre Coutaz est permanent syndical à la Confédération générale du travail (CGT), la deuxième plus grande organisation syndicale de France. Il a accepté de répondre à quelques questions.
Bonjour camarade, pourrais-tu stp nous décrire ton mandat ?
J’anime avec 12 camarades l’espace international chargé des relations bilatérales — comme le congrès de la CSN — et multilatérales dans le cadre de la Confédération syndicale internationale (CSI) et de la Confédération européennes des syndicats (CES). Je suis chargé de la solidarité concrète dans les zones du monde souffrant d’attaques aux droits sociaux et humains et de catastrophes. J’ai également travaillé avec la CSN et la FTQ sur des dossiers comme le rôle du français au travail.
La nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, est une femme, cadre, écologiste. Que t’inspire cette première en 130 ans de CGT ?
Nous avons eu un congrès tendu, marqué par des oppositions fortes. C’est un signe d’intelligence collective remarquable d’avoir su surmonter des divisions en trouvant une camarade charismatique et investie qui incarne le changement !
On l’a vue refuser des entrevues à des chaines de télévision très antisyndicales et conservatrices, c’est une stratégie personnelle ?
Non, c’est une décision collective qui date des élections de 2022, compte tenu de l’orientation de ces chaines sanctionnées pour incitation à la haine et leur participation active aux campagnes de candidates et de candidats d’extrême droite. Sophie l’a exprimé de façon très forte en tête de cortège.
Dans une France réputée pour ses grèves, la très forte mobilisation (jusqu’à 3,5 millions de manifestantes et de manifestants) contre la réforme des retraites a surpris. Pourquoi ?
Il y a le sentiment d’une réforme injuste et inutile qui légitime totalement la lutte. On nous dit qu’il faut reculer de deux ans l’âge de départ. Mais les experts ne signalent pas de problème de financement. Et une travailleuse/un travailleur sur deux termine sa vie active sans travail, car les employeurs ne veulent pas des ainé-es. L’espérance de vie en bonne santé en France est de 64 ans, donc on prend les deux seules années de retraite en bonne santé. Il y a aussi l’obligation de cotiser 43 ans pour espérer bénéficier d’une retraite à taux pleins. Là où d’autres pays permettent de partir plus tôt, la France impose une « double peine ».
Est-ce que la mobilisation s’est traduite par une hausse des adhésions ?
On a enregistré un nombre d’adhésions record depuis le début du mouvement, avec 31 000 cartes supplémentaires, soit +5 %. Et ça continue !
La CGT a renoué avec une très vieille pratique de grève : les interruptions d’électricité ciblées. Et les Françaises et les Français font du « charivari » lors des déplacements de ministres. Comment expliquer ces réappropriations ? As-tu d’autres exemples ?
Quand un pouvoir est sourd, aveugle et muet, on n’a pas d’autres solutions que de se faire entendre en tapant sur des casseroles ou en « coupant le jus ». Nos camarades de la Guyane (Amérique du Sud) ont même empêché en avril le décollage de la fusée spatiale Ariane ! Et à Paris, l’orchestre symphonique est venu jouer pour les manifestantes et les manifestants.
Parfois, le mécontentement social général, par exemple des « gilets jaunes », se mêle avec des problématiques liées au monde du travail. Comment la CGT traite-t-elle cette « convergence des luttes » ?
Depuis six ans, Emmanuel Macron piétine la démocratie dans un « libéral -autoritarisme » permanent. Il a asséché l’hôpital, l’école, les transports publics, bref le ciment social. Il y a un mécontentement général contre les politiques libérales qui ont mis à sac notre patrimoine social. On est en lutte sur de multiples fronts, par-delà l’intersyndicale historique sur les retraites, par exemple les luttes sectorielles. Il y a aussi les inquiétudes de la jeunesse concernant son intégration au marché du travail, le changement climatique et l’eau comme on l’a vu lors des manifestations contre les méga-bassines à Sainte-Soline.
Quels enseignements la CSN peut-elle tirer de la situation française ?
J’ai regardé avec envie votre Printemps érable (rires). On s’intéresse aussi à ce qui se passe chez vous. Un mouvement social est une alchimie un peu magique qui transforme une énergie populaire en source de progrès sociaux. Personne n’a la recette et je n’ai pas de conseils même si l’internationalisme adresse des enjeux similaires avec une temporalité différente.