L’honorable Mélanie Joly
Chambre des communes
Ottawa (Ontario), Canada
K1A 0A6
Madame la Ministre,
Comme vous le savez, la fin de l’Auberge du chien noir marque également la fin de la production culturelle à l’interne à Radio-Canada. Plusieurs personnes se retrouvent sans emploi, et la SRC risque de perdre très rapidement toute l’expertise qu’elle a bâtie depuis sa création. Voilà de quoi assombrir les célébrations du 80e anniversaire de notre diffuseur public !
Nous croyons qu’il s’agirait là d’une perte énorme, non seulement pour Radio-Canada, mais pour toute l’industrie culturelle québécoise et canadienne ainsi que pour l’ensemble de notre société. Selon nous, le gouvernement canadien devrait saisir l’occasion de la refonte de la politique culturelle annoncée pour 2017 afin de réévaluer cette orientation de Radio-Canada. Si on veut trouver des solutions durables pour assurer la pérennité de la culture québécoise et canadienne dans un univers numérique dominé par des Netflix, YouTube et Facebook, il faut miser sur Radio-Canada, son rayonnement, son expertise et sa mission. Radio-Canada dispose de tous les atouts pour jouer un rôle proactif pour le rayonnement de notre culture commune, au Québec, au Canada et à l’étranger.
Votre gouvernement a déjà prouvé qu’il croyait au diffuseur public en annulant les compressions budgétaires imposées par le précédent gouvernement conservateur. Nous vous invitons à aller plus loin en augmentant le financement de Radio-Canada jusqu’à 43,50 $ par année par citoyen, ce qui représente la moitié de ce que les démocraties avancées comparables au Canada versent à leur diffuseur public (la moyenne des pays de l’OCDE s’établit à 87 $). Nous croyons que renforcer Radio-Canada est plus qu’une question d’argent. La SRC a déjà été un modèle d’innovation et une référence dans le domaine audiovisuel, grâce à ses artisans. Pour remplir pleinement sa mission de vecteur culturel, on doit lui redonner les moyens de produire des contenus originaux dont la valeur ne se mesure pas nécessairement en cotes d’écoute et en revenus publicitaires.
Il faut changer de paradigme et accepter que la SRC joue un rôle de complémentarité aux médias privés et non de concurrence. Cela implique que Radio-Canada conserve et renforce son expertise à l’interne. Qu’elle soit suffisamment indépendante des revenus privés pour pouvoir redevenir l’extraordinaire laboratoire d’expérimentation et de diffusion des découvertes culturelles (littérature, musique, théâtre, etc.) sur toutes les plateformes, qu’elle a déjà été. 2
C’est ainsi qu’elle pourra remplir entièrement sa mission qui n’est pas celle d’un diffuseur privé uniquement motivé par le profit, mais qui n’est pas non plus celle d’un diffuseur spécialisé confiné à un créneau limité. Nous avons besoin d’une SRC bien soutenue pour partager avec le monde les recherches québécoises et canadiennes portant sur des enjeux planétaires sociaux et scientifiques.
Nous avons besoin de ce tremplin pour rendre accessibles au monde entier les découvertes culturelles qui font l’identité québécoise et canadienne. Seule Radio-Canada peut nous permettre de rayonner ainsi partout dans le monde, mission qu’elle a accomplie avec brio dans le passé. Nous avons aussi besoin de la SRC pour refléter, au Québec et au Canada, toutes les facettes de ce monde dans lequel nous vivons.
Comment penser que les contenus québécois et canadiens originaux pourront se faire une place dans le nouvel univers numérique sans le soutien énergique d’un diffuseur public fort ? Nous partageons entièrement l’objectif du gouvernement de revoir sa politique culturelle à l’aube de la révolution numérique. Nous craignons que cette refonte rate sa cible si elle n’inclut pas la nécessaire réflexion quant au rôle de Radio-Canada, non seulement comme diffuseur, mais également comme producteur de contenus originaux
Jacques Létourneau, président Confédération des syndicats nationaux
Pascale St-Onge, présidente Fédération nationale des communications
Johanne Hémond, présidente Syndicat des communications de Radio-Canada