Maisons d’hébergement pour femmes : se protéger de l’homme et du virus
Kathleen Grenon travaille à la Maison Latraverse dans Lanaudière, qui vient en aide aux femmes victimes de violence conjugale. Depuis le début de la crise de la COVID-19, son quotidien a radicalement changé, tout comme celui de ses collègues de travail.
La travailleuse, qui est également présidente de son syndicat, le dit sans détour : « L’une de nos grandes inquiétudes, c’est la difficulté des femmes à entrer en contact avec nous dans une situation de confinement comme celle que nous vivons. » Pour cette raison, le Regroupement des maisons d’hébergement travaille à établir une entente avec les pharmacies. En cas de besoin, les femmes qui vivent de la violence pourront s’adresser au pharmacien ou à la pharmacienne pour que cette personne appelle la police ou contacte une maison d’hébergement. L’obligation de distanciation sociale donnera un peu de latitude à la femme, dans les cas où son conjoint lui collera aux baskets. Car à la pharmacie, les clients passent une personne à la fois. Il s’agit d’une exigence des pharmaciens. L’homme devra donc attendre plus loin. « On est en train d’officialiser ce système-là dans notre région, mais toutes les femmes, partout au Québec, sont invitées à procéder de la sorte, que ce soit dans une pharmacie ou une épicerie », souligne Kathleen Grenon.
C’est ici toute la question de la communication entre les usagères des maisons et les travailleuses qui est revue. « On travaille sur des moyens de communiquer via les nouvelles technologiques afin que les femmes n’aient pas à nous parler de vive voix, ajoute-t-elle. Hier, une femme nous a appelées et a raccroché en disant qu’elle s’était trompée de numéro de téléphone. Ce genre de situation peut être causée par le contrôle accru de l’homme sur sa conjointe en temps de COVID-19. On veut éviter que ça se produise. »
Maison en quarantaine
Pour voir à la préservation de la santé des intervenantes, une deuxième maison d’hébergement ouvrira ses portes. Les femmes y seront d’abord hébergées pendant 14 jours de quarantaine avant de pouvoir être accueillies à la Maison Latraverse, à la condition de n’avoir présenté aucun symptôme durant leur isolement. Si une femme teste positif à la COVID-19, le ministère de la Santé et des Services sociaux interviendra auprès d’elle et de ses enfants. « Nous ne sommes pas en mesure d’accompagner une femme qui serait atteinte du coronavirus, on ne peut pas aller jusque-là », précise Kathleen Grenon.
Pour la travailleuse, les nouvelles façons de faire sont difficiles puisqu’elles impliquent un contrôle qui va à l’encontre des valeurs d’accompagnement et d’accueil de la maison. « Les femmes ont le droit de sortir deux fois durant la journée pour aller prendre l’air 30 minutes. Celles qui ne veulent pas collaborer ne peuvent pas rester. C’est une question de santé et de sécurité pour toutes. »
On garde le cap
Étant placés sur la liste des secteurs essentiels, ces établissements doivent rester ouverts. Or, bien que le flot de travail ait diminué et que certaines personnes immunosupprimées doivent s’absenter, toutes conservent leur salaire. « Une prime de 0,50 $ a aussi été accordée aux travailleuses sur le terrain », souligne Kathleen Grenon.
L’établissement a également eu la confirmation que les coûts reliés à l’ouverture de l’autre maison seront remboursés, comme l’épicerie ou la sécurisation des lieux. « Les femmes qui arrivent dans cette autre maison viennent de quitter leur conjoint violent ; la fenêtre de risques est donc plus grande. Il faut organiser les lieux pour préserver leur sécurité. »
Plusieurs mesures de protection ont bien sûr été mises en place pour la protection des travailleuses. À cet effet, les réunions d’équipe se déroulent par visioconférence. Le nombre de personnes autorisées à s’asseoir à la table a diminué durant les heures de repas. Les travailleuses sont bien informées des gestes à poser pour se prémunir contre le virus, comme le lavage systématique des vêtements au retour du travail. « On n’est pas en priorité pour l’accès au matériel médical, il faut donc déployer d’autres formes de protection », explique la présidente du syndicat. Comme on les connaît, les travailleuses dévouées des maisons d’hébergement pour femmes violentées ne baissent pas la garde devant la menace du coronavirus. Elles en ont vu d’autres.