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L’indécence des ultrariches

Dans cet essai percutant, Namian démontre aussi que l’opium du peuple, comme le désignait Marx, s’ajuste aux sociétés.

Par Ariane Gagné

C’est à un véritable parcours à travers l’opulence outrancière des ultrariches de ce monde que nous convie Dahlia Namian dans La société de provocation parue en avril. Bien documentée, l’essayiste se promène comme dans un musée des horreurs entre les excès des uns et la démesure des autres pour nous inviter à voir cette faune indûment privilégiée sous son vrai jour. Pour camper son propos, elle évoque Elon Musk qui, en février 2018, plaçait une voiture Tesla à bord de la fusée de Falcon Heavy afin qu’elle se promène dans le vide intersidéral. Celui dont la fortune est évaluée à 200 milliards n’a pu résister à l’envie de réaliser cette petite excentricité…

Dès lors, la table est mise et les aberrations s’enchaînent. Expositions universelles pour les mieux nantis qui rasèrent des quartiers ouvriers complets dans le monde ; banquets somptueux dignes de Néron le décadent tenus pour célébrer la royauté au Canada ; industrie florissante des super­yachts, dont le nombre grandissant est lié à la concentration des richesses dans le monde… pour l’anecdote, la flotte de ces palais sur mer consomme environ 2 000 litres de carburant par heure…

Et au moment où ces mastodontes flottants s’approprient les mers, des milliers de réfugié-es meurent chaque année en quête d’une vie meilleure sur des rafiots dangereux. Alors que l’Arabie Saoudite annonce la création de la cité futuriste Neom qui comprendra une lune artificielle, des taxis volants, des jardins suspendus et des plages phosphorescentes qui brilleront la nuit, près de 20 000 membres de la tribu Howeita devront quitter leur terre ancestrale sur laquelle la métropole sera érigée. Pendant que le dirigeant de Loblaw s’enrichit de 2 milliards grâce à la COVID-19, ses employé-es « crèvent la dalle ».

Dans cet essai percutant, Namian démontre aussi que l’opium du peuple, comme le désignait Marx, s’ajuste aux sociétés. Pour réconforter le commun des mortels et inciter à banaliser ces excès, les dîners en blanc, les exils québécois en Floride, les virées dans les quartiers Dix30 et Royalmount de ce monde, ces hauts lieux de consommation conçus pour satisfaire tous les besoins en un seul endroit, ont la cote. Dans cette société de provocation, on s’exerce à détourner le regard des abus des ultrariches, à leur seul bénéfice. Tout le doigté de l’essayiste réside dans cette démonstration fine et sans équivoque.

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