À la veille des sommets du G8 et du G20 où le gouvernement Harper entend agiter l’épouvantail de la dette pour inciter les pays membres à adopter des mesures d’austérité plus sévères, et dans la foulée du budget Bachand où le même épouvantail sert d’accélérant pour un retour précipité à l’équilibre budgétaire, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) joignent leur voix à celle de groupes d’économistes, le collectif Économie autrement, l’Institut de recherche sur l’économie contemporaine (IREC) et l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), pour donner L’heure juste sur la dette du Québec.Il s’agit d’ailleurs du titre d’une étude de l’économiste Louis Gill autour de laquelle s’est articulée cette sortie collective sans précédent. On peut lire en préambule de l’analyse de Louis Gill que « Pour camper le décor en vue du budget de l’année 2010-2011 et convaincre la population de la nécessité des mesures assassines qu’il allait contenir, la réduction de la dette a été présentée comme une urgence nationale par le gouvernement (du Québec), ses “experts indépendants” et tous les partisans de la vision “lucide” : ➢ une dette caractérisée comme exorbitante, découlant de décennies de surconsommation de services publics par une population vivant au-dessus de ses moyens; ➢ une dette dont les deux tiers seraient en conséquence une “mauvaise dette” résultant de déficits budgétaires cumulés au fil des années en raison d’excès de dépenses courantes, qualifiées de “dépenses d’épicerie”. » L’économiste dénonce également le double discours du gouvernement sur l’ampleur de la dette québécoise selon qu’il s’adresse aux autorités de réglementation des marchés financiers des pays prêteurs (60 % du PIB) ou qu’il veuille noircir volontairement le portrait (94,5 % du PIB) en joignant à la dette québécoise une portion de la dette canadienne qui n’a pas à lui être imputée. « Ce n’est pas parce qu’on colporte et martèle, même à grande échelle, un mensonge éhonté que celui-ci devient vérité. Non, la population du Québec ne vit pas au-dessus de ses moyens. Non, nos services publics ne sont pas sclérosés et la privatisation fait partie du problème et non pas de la solution. Non, notre dette n’est pas hors contrôle et s’appuie sur des actifs tangibles et intangibles de qualité », a indiqué pour sa part le président de la FTQ, Michel Arsenault. « Quand on entend le FMI dire qu’une dette à 60 % du PIB est raisonnable, on voit mieux pourquoi ceux qui veulent nous passer entre les dents la couleuvre des tarifications régressives, des tickets modérateurs et autres franchises santé ont intérêt à gonfler les chiffres », a ajouté la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau. « Oui, il faut prendre la dette au sérieux. Mais il y a des limites à ne pas tenir compte des signaux qui nous viennent à la fois des États-Unis et d’Europe sur les dangers bien réels d’un retrait prématuré des mesures de soutien à l’économie. Cela risque de produire l’effet contraire », a fait valoir la leader syndicale. Et que dire du legs aux générations futures ? « Les centaines de millions consacrées au remboursement de la dette depuis la création du Fonds des générations sont autant de millions qui ne vont pas au maintien de services publics de qualité et à la réfection d’infrastructures désuètes. N’est-ce pas plutôt cela que nous devrions léguer aux jeunes ? » a questionné Réjean Parent, président de la CSQ. Guillaume Hébert de l’IRIS a rappelé, comme le souligne Louis Gill dans son étude, que « les mesures actuelles mises en avant par le gouvernement Charest pour rehausser ses revenus, qui combinent des hausses de tarifs et des réductions de dépenses, auront des conséquences socio-économiques désastreuses pour le Québec. Le comité d’experts du gouvernement les présente comme “les moins nuisibles à l’économie”, alors qu’elles sont les plus nuisibles pour la majorité des individus qui composent cette économie. » Robert Laplante, de l’IREC, a tenu quant à lui à contrer le préjugé tenace voulant que les déficits budgétaires à l’origine de la mauvaise dette du Québec soient le résultat d’excès de dépenses. « Ces déficits sont davantage la conséquence de revenus insuffisants. Pensons notamment à tous les revenus dont le gouvernement s’est privé depuis quelques années en ne récupérant pas le point de TPS ou en baissant les impôts. Par ailleurs, la dette du gouvernement du Québec est principalement une bonne dette, contractée pour acquérir des immobilisations. » Enfin, Bernard Élie, du collectif Économie autrement, met en garde à la fois contre la surenchère de plans d’austérité de plus en plus sévères comme on le voit aujourd’hui dans la zone euro et contre la précipitation du gouvernement Charest à vouloir rétablir l’équilibre budgétaire à tout prix en évoquant, entre autres, l’ampleur de la dette. « La reprise, si reprise il y a, tient à un fil ténu comme on le voit en Europe. Et la reprise de l’emploi n’est pas au rendez-vous comme anticipée chez nos voisins du Sud. Faut-il rappeler le vieil adage voulant que lorsqu’on se compare, on se console et cesser de grossir démesurément la menace que fait peser sur nos têtes une dette somme toute raisonnable », a conclu Bernard Élie. À la lumière du document rendu public le 15 juin 2010, il est clair que la dette du Québec est loin d’avoir le caractère exorbitant que le gouvernement a invoqué à l’appui des mesures inacceptables de son budget. Il en est de même du déficit budgétaire qui, à 1,4 % du PIB pour 2009-2010, est nettement inférieur à celui de la plupart des pays industrialisés. Les centrales syndicales et les organismes de recherche estiment en conséquence que ce budget est fondé sur des prétentions injustifiables, que le gouvernement doit renoncer à lui donner force de loi et qu’il doit procéder à sa révision en profondeur, en réponse à l’opposition généralisée qui s’est manifestée dans la population depuis son dépôt le 30 mars dernier.