Avec le rejet officiel du projet oléoduc Keystone XL, l’arrêt de l’expansion des sables bitumineux en Alberta, la renonciation de TransCanada à construire un port pétrolier au Québec, et le changement de ton observé lors des négociations sur le climat à Paris, il est difficile de nier qu’un vent nouveau souffle sur la lutte contre les changements climatiques. Assistons-nous au début d’une révolution verte ?
La défaite cuisante des conservateurs de Stephen Harper le 19 octobre dernier constitue une bonne raison de se réjouir. Bien que le gouvernement de Justin Trudeau soit loin de s’engager à la décarbonisation de l’économie canadienne, il n’en demeure pas moins que la rupture avec la vision terrifiante hyperpétrolière de Stephen Harper est un pas important pour le mouvement environnemental et l’ensemble de la société civile.
Malgré cela, pour plusieurs environnementalistes, il ne fallait surtout pas ralentir le rythme et manquer l’occasion de talonner le nouveau gouvernement libéral. C’est dans cette optique que l’organisation environnementaliste 350 Canada a organisé, début novembre, une occupation des lieux de quatre jours face au 24 Sussex pour accueillir Justin Trudeau et exiger des mesures ambitieuses en matière de climat.
« Justin Trudeau se dit le premier ministre du peuple. Nous sommes ici pour nous assurer qu’il respecte ses engagements électoraux », explique Leah Gazen, professeure à l’Université de Winnipeg, militante autochtone et participante au comité d’accueil pour le climat de 350 Canada. « La majorité des attaques contre l’environnement surviennent sur des terres traditionnelles autochtones. Que ce soit le développement hydroélectrique sur le territoire de la nation crie de la Baie-James ou l’exploitation des mines de diamant chez les Attawapiskat, le Canada a une longue tradition de racisme environnemental et d’extraction de ressources en dépit de la souveraineté autochtone et de nos droits. Justin Trudeau s’est engagé à développer une relation nation à nation avec les peuples autochtones. Si nous lui disons que nous ne voulons pas d’oléoduc sur nos terres, il doit se rallier à nos décisions. »
100 % propre, 100 % possible
Plus de 80 groupes autochtones, religieux, étudiants, environnementaux et syndicaux — dont la CSN — ont formé une coalition historique et mobilisé plus de 25 000 citoyennes et citoyens le 29 novembre dernier sur la Colline du Parlement. Cette manifestation s’est déroulée dans le cadre de la Journée mondiale d’action pour le climat, à la veille de l’ouverture de la 21e Conférence des parties (COP21) sur le climat à Paris.
Le message de la coalition est clair : une économie 100 % propre d’ici 2050 n’est pas seulement nécessaire, mais 100 % possible.
Il est largement reconnu que les sociétés doivent s’engager à se convertir aux énergies renouvelables au cours des prochaines décennies si elles veulent avoir la moindre chance d’atténuer les ravages que causeront les changements climatiques. Plusieurs pays ont déjà entamé le processus : le Danemark s’est engagé à s’affranchir du pétrole d’ici 2050, l’Angleterre a annoncé la fermeture de ses centrales au charbon d’ici 10 ans et l’Islande tire déjà la majeure partie de son énergie de sources renouvelables.
Problèmes mondiaux, solidarité planétaire
C’est sur la Colline du Parlement que les manifestantes et les manifestants ont lancé un cri du cœur au gouvernement libéral. Et ils n’étaient pas les seuls à exiger une attaque frontale de leurs dirigeantes et dirigeants contre les changements climatiques. Au total, 2173 événements se sont tenus dans plus de 150 pays pour signaler l’importance d’une entente contraignante et universelle à Paris. De la Mongolie au Swaziland, des centaines de milliers de personnes venant de six continents ont uni leurs voix afin de revendiquer une justice climatique.
En Nouvelle-Zélande, 20 rassemblements ont eu lieu à travers le pays, et une manifestation a rassemblé plus de 15 000 personnes à Auckland. « C’est la première fois que les syndicats se sont réellement impliqués dans une manifestation mixte pour l’environnement », précise Gary Cranston, porte-parole de Unite Union pour les questions de changements climatiques et responsable syndical auprès des travailleuses et des travailleurs des cinémas et des restaurants-minute. « Il y a eu de nombreuses pertes d’emplois dans le secteur des combustibles fossiles en Nouvelle-Zélande. Nous n’avons plus le choix de parler des changements climatiques et de la nécessité d’une transition juste pour les travailleuses et les travailleurs. Car ce ne sont pas uniquement les mineurs qui subiront les effets négatifs du chaos climatique, ce sont aussi, par exemple, les travailleurs mal payés de la restauration rapide qui ne possèdent pas plusieurs résidences ni les fonds nécessaires pour fuir un désastre écologique. »
« Les pays en développement n’ont pas la capacité financière d’atténuer de manière substantielle les effets des changements climatiques », rappelle Mme Wijayaningdyah. « Les pays développés, comme le Canada, doivent s’engager à accorder du financement pour que les pays en développement puissent abandonner les carburants à forte teneur en carbone. Les sommes consenties au Fonds mondial pour le climat devront être investies pour offrir de la formation aux travailleurs dans les industries visées et assurer une protection sociale pour celles et ceux qui seront affectés par des catastrophes climatiques. »
Après Paris, le travail
Bien que l’accord adopté lors des négociations tenues à Paris sur les changements climatiques ne fasse pas l’unanimité, le fait demeure que le 12 décembre 2015 marquera l’histoire de la lutte contre les changements climatiques.
Les 196 parties se sont entendues pour limiter le réchauffement planétaire à un maximum de 2 °C au-dessus des températures préindustrielles, tout en visant 1,5 °C pour notamment éviter le chaos absolu pour les nations insulaires. Pour leur part, les pays industriels se sont engagés à verser un minimum de 100 milliards de dollars annuellement aux pays en développement pour les aider à faire face aux ravages climatiques et pour les soutenir dans les transformations énergétiques qu’ils comptent réaliser.
Malgré ces avancées, sur le plan syndical, la Confédération syndicale internationale (CSI) juge que l’accord de Paris ne constitue qu’une partie de la solution. Les syndicalistes dénoncent notamment l’absence de révision de chacune des cibles nationales avant l’entrée en vigueur de l’accord en 2020 et le fait que la transition juste pour les travailleuses et les travailleurs ait été reléguée au préambule non contraignant du texte.
Pour Pierre Patry, trésorier de la CSN et responsable politique des questions environnementales et du développement durable, un optimisme prudent s’impose en ce qui a trait aux engagements des parties à Paris. « La ratification d’un accord universel par l’ensemble des pays membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) est assurément un pas dans la bonne direction, observe M. Patry. Mais, ce n’est pas un accord très contraignant. Certes, il offre des perspectives encourageantes, mais si nous souhaitons limiter l’augmentation de la température à l’échelle de la terre, les groupes syndicaux, progressistes et environnementalistes devront exercer une vigilance de tous les instants pour que tous agissent dans le sens des objectifs de l’accord. La lutte pour la justice climatique ne s’arrête pas après la mobilisation du 29 novembre ni après les pourparlers de Paris, elle se poursuit au quotidien, dans nos foyers, dans nos milieux de travail et surtout dans nos rues. »