Les députés élus le 7 avril n’ont pas encore fini de célébrer leur victoire que, déjà, les «vautours» se posent sur les branches autour de l’Assemblée nationale, attirés par l’odeur de réformes qui augmenteraient le rapport de force du patronat devant les travailleuses et les travailleurs et qui ratatineraient les fonctions fondamentales de l’État. Le Conseil du patronat (CPQ) vient de publier sa plateforme 2014-2017 qui ne laisse aucun doute sur les espoirs qu’il fonde sur le nouveau gouvernement libéral.
Tout y passe : Code du travail, normes du travail, dispositions anti-briseurs de grève, cotisations syndicales, santé et sécurité du travail, régimes de retraite, programmes sociaux, services publics. Tous les acquis des 50 dernières années qui ont établi un minimum de droits et une plus grande équité sont revus, voire abolis. Comme si ce qui définit le Québec moderne, tel que nous le connaissons, jouait en défaveur des patrons, des banquiers, des entrepreneurs et des commerçants.
Le CPQ dit notamment rechercher «souplesse et flexibilité» dans l’organisation du travail, alors que les entreprises multiplient déjà les emplois précaires et les recours à la sous-traitance ainsi qu’aux agences de placement. C’est indécent, d’autant plus que le Canada figure deuxième parmi les 10 pays étudiés par KPMG en Europe, en Amérique du Nord et l’Australie, où les coûts d’exploitation des entreprises sont les moins élevés. Toujours selon cette étude, Québec et Montréal se classent d’ailleurs respectivement au premier et au troisième rang parmi plus de 20 grandes villes du nord-est des États-Unis et du Canada à cet égard.
Nous savons pourtant que ce que d’aucuns qualifient de «modèle québécois», avec les lois ouvrières et les programmes sociaux qui ont permis au Québec de se sortir des dernières crises mieux que n’importe quel autre État en Amérique du Nord, n’est pas sans faille sur les questions d’emploi, de conditions de travail et de services publics accessibles. Nous voyons bien, aussi, que la richesse qui est créée ici n’est pas équitablement partagée.
Quelle «réconciliation» ?
Le soir de sa victoire, le premier ministre Philippe Couillard a appelé à la « réconciliation ». Nous estimons que cette réconciliation doit se faire avec l’idée d’un État social, qui est porté vers l’avenir, et avec la classe moyenne, celle des travailleuses et des travailleurs, des plus démunis de notre société, et non seulement avec une certaine droite économique qui, comme le CPQ, cherche à obtenir plus de déréglementations, de libre-échange et à diminuer le rôle de l’État.
En campagne électorale, Philippe Couillard a parlé de création d’emplois. Mais de quels emplois s’agit-il ? Il y a de plus en plus d’emplois atypiques et précaires. Ce n’est pas ce que nous voulons. Nous aspirons à des emplois de qualité avec des conditions de travail et un salaire décents.
Le PLQ a aussi parlé de relance de l’économie. De quel type d’économie est-il question ici, au juste ? D’une économie qui fonce tête baissée dans le développement du pétrole et du Plan Nord, sans étude ni consultation, ou plutôt d’une économie qui est respectueuse des enjeux environnementaux et du développement durable ? Il devra répondre à ces questions.
Le recul de la gauche politique…
Le soir du 7 avril, la gauche politique a indéniablement reculé à l’Assemblée nationale, tout comme le projet d’indépendance, malgré l’élection de députés progressistes du Parti québécois et de Québec solidaire. Près de 65 % de l’électorat qui s’est exprimé a voté pour le PLQ et la CAQ.
Des énergies doivent sans attendre être déployées pour réformer le mode de scrutin afin de permettre à tous les points de vue de trouver leur place à Québec. Le bipartisme n’existe plus depuis longtemps et la proportionnelle permettrait de favoriser un plus haut taux de participation aux élections.
Le résultat électoral aurait-il pu être différent si le PQ, QS et Option nationale s’étaient alliés, lors de l’appel qui leur avait été lancé au Congrès de la convergence nationale, au printemps 2013, afin de favoriser le vote souverainiste et de bloquer l’élection de candidatures libérales et caquistes ?
Enfin, nous ne pouvons aussi que déplorer le recul de la place des femmes à l’Assemblée nationale, qui est passée du tiers au quart de la députation.
… mais pas une défaite pour le mouvement syndical
Le mouvement syndical québécois fait face à de grands défis. Attaqué sur sa pertinence, voire sur sa légitimité, par des chantres de la droite et du patronat, et ce, depuis les dernières années, il devra inviter ses membres à se serrer les coudes pour affronter la tourmente qui s’annonce. Les travailleuses et les travailleurs de la construction en négociation dans les secteurs industriel, commercial et institutionnel, voient actuellement leurs conditions de travail menacées par l’ampleur des demandes des entrepreneurs.
Dans quelques mois, le renouvellement des conventions collectives des 500 000 employé(e)s de l’État sera une autre occasion où la solidarité devra être sans faille.
Au-delà de ces négociations majeures, dans tous les milieux de travail, qu’ils soient du secteur privé ou public, les syndicats devront débattre avec leurs membres de l’importance de maintenir un État social fort et s’engager à améliorer les conditions d’existence des travailleuses et des travailleurs et de la population en général. Devant la voracité des «vautours», c’est là notre défi.