Agressions sexuelles au travail

Les mentalités ont la couenne dure

Billet de Caroline Senneville, vice-présidente de la CSN

Été 2020. Une autre vague de dénonciation d’agressions sexuelles secoue le Québec. Bien que les mouvements #MeToo et #AgressionNonDénoncée aient créé un certain élan pour faire bouger la classe politique en faveur des victimes, je peux affirmer une chose : il y a encore loin de la coupe aux lèvres pour venir à bout des comportements inacceptables qui sont légion dans bien des milieux de travail au Québec.

Depuis quelques années, on observe des changements législatifs qui découlent de l’action féministe contre les actes de violence sexuelle. En décembre 2017, le gouvernement libéral adopte une loi pour contrer ces violences dans les établissements d’enseignement supérieur. En 2018, la notion de harcèlement sexuel est nommément inscrite dans la Loi sur les normes du travail. En juin dernier, un projet de loi modifiant le Code civil est adopté pour mettre fin au délai de prescription qui limitait à 30 ans la possibilité de poursuivre au civil un présumé agresseur. Par ailleurs, le Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale se prépare à déposer ses recommandations. Celles-ci devraient inclure la création d’un tribunal spécialisé afin d’aider les victimes à toutes les étapes du processus judiciaire.

Les dinosaures ont-ils encore de l’avenir ?
Les choses avancent, certes, mais les mentalités ont la couenne dure. Prenons le cas de la médecine, qui a longtemps été le boysclub le plus huppé du monde du travail. Même si les femmes ont investi la profession, cette culture semble y avoir imprégné sa marque. Récemment, une travailleuse syndiquée d’un hôpital réputé me racontait l’histoire qu’elle a vécue avec une personnalité connue du public. À l’époque, l’individu est médecin dans l’hôpital où elle travaille. Sa réputation de harceleur n’est plus à faire, mais personne n’ose le dénoncer en raison, notamment, de son aura de médecin et du processus de plaintes particulier lorsqu’il s’agit d’un membre du corps médical dans un établissement public. Notre disciple d’Esculape profite d’un colloque à l’extérieur de la ville pour inviter la jeune femme à souper, lui offrir à boire jusqu’à plus soif, insister pour aller prendre un dernier verre, la tirer de force sur une piste de danse pour la tripoter et se frotter contre elle, malgré les refus répétés de cette dernière. En dépit de ses réflexes affaiblis par l’alcool, elle réussit à s’esquiver. Quoi qu’il en soit, elle ne souhaite pas dénoncer l’homme intouchable parce que « quand tu te mets un médecin à dos dans ton milieu de travail, ta vie peut être de la marde. »

Dans les établissements du réseau public de la santé, la Loi sur les services de santé et les services sociaux prévoit l’examen des plaintes contre un médecin par un médecin « examinateur », lequel est désigné par le conseil d’administration de l’établissement sur recommandation du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens. Le processus d’enquête sur la plainte et, s’il y a lieu, de la révision de la décision se déroule sous l’étroite supervision du corps médical à toutes les étapes, quelle que soit la nature de la plainte.

Il convient par ailleurs de souligner que des hommes peuvent aussi être victimes d’agressions et d’inconduites sexuelles au travail. Un employé administratif d’une organisation à but non lucratif m’a raconté avoir subi les assauts homophobes d’un de ses collègues qui lui a brusquement pris la tête pour la plaquer sur son entrejambe. Ce geste dégradant, empreint d’une grande violence, est à tous points de vue condamnable.

Stoppons le cortège des agressions de toutes sortes
À l’approche du 6 décembre, la Coordination du Québec pour la Marche mondiale des femmes dont la CSN est membre revendique l’élimination des violences faites aux femmes, notamment la violence sexuelle. Et comme les formes de violence et de harcèlement au travail sont d’une grande diversité et qu’elles concernent aussi les hommes, la CSN veille à ce que les employeurs respectent leur obligation légale d’assurer aux employé-es des milieux de travail sains et sécuritaires. Nous avons aussi, individuellement et collectivement, un rôle à jouer pour enrayer ce fléau, entre autres lorsque nous sommes témoins de telles situations. C’est pour cette raison que la CSN a décidé d’apporter sa contribution en lançant sa toute nouvelle campagne agispourquecacesse.com. Car personne ne devrait avoir à tolérer de la violence ou du harcèlement dans son milieu de travail. Car ensemble, nous devons agir pour que ça cesse, une bonne fois pour toutes.

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