L'austérité est un échec

Les magiciens de l’austérité

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Un texte de Kerlande Mibel de ZWART communications
Illustration : Audrey Em


Bien avant la tornade économique de 2008, l’austérité est devenue la nouvelle « route de brique jaune » pour un grand nombre de politiciens et « d’experts ». Sous le couvert d’un discours de rigueur, ces derniers sont prêts à sacrifier le mieux-être des citoyens sur l’autel de la relance économique. Pourquoi ne pas augmenter les taxes des plus pauvres et opter pour des réductions fiscales pour les entreprises ? Ou encore, pourquoi ne pas exacerber les divisions raciales, et ce, toujours au nom de la santé économique ? Les Américains se sont trouvé deux grands magiciens de l’austérité, Sam Brownback et Scott Walker, respectivement gouverneurs du Kansas et du Wisconsin.

Deux républicains aux valeurs on ne peut plus conservatrices. Alors qu’il a été élu avec plus de 63 % des votes en 2010, Sam Brownback s’est fait réélire de justesse l’automne dernier contre le démocrate Paul Davis. Ancien prétendant à la candidature républicaine pour la présidence des États-Unis, Brownback a réussi l’improbable. S’assurer que le candidat démocrate devienne celui des républicains. En effet, sous la bannière de « Republican for Kansas values » plus de 104 élus et anciens élus de la famille républicaine ont endossé Paul Davis. L’autre grand magicien, Scott Walker, est un candidat aux primaires du Parti républicain, perçu comme ayant une foi inébranlable dans les valeurs conservatrices du parti. Alors que les candidats et mandarins du Parti républicain tentent de diversifier la base électorale, il fait le pari de l’homogénéité.

In inequalities we trust! (Dans l’inégalité nous avons foi !)

Les deux prônent la réduction des dépenses de l’État. Brownback a procédé à des coupes, dont 50 millions de dollars dans le système de santé et plus de 100 millions en éducation. À ces coupes, s’ajoute l’abolition des taxes pour près de 281 000 entreprises et 53 000 fermiers. Ce qui a engendré un déficit considérable dans les caisses de l’État, et a eu pour effet de miner la cote de crédit du Kansas par l’agence de notation Moody. Dans un premier temps, il a pu camoufler le déficit en s’approvisionnant dans le fonds de réserve de l’État. Devant cet échec, il fait maintenant volte-face et choisit d’augmenter les taxes… pour tous. La taxe de vente passe de 6,15 à 6,50 %. Ainsi, un Kansasais sur cinq voit son taux de taxation atteindre 11,1 % tandis que celui des plus nantis n’atteint que 3,6 %.

Contrairement, au reste du pays, le Kansas taxe le plus les plus pauvres et le moins les plus nantis. Et comme les pauvres et la classe moyenne dépensent essentiellement pour les besoins de base en biens et services, ces augmentations ne feront que les appauvrir davantage.

L’aide sociale aussi

Pour faire bonne figure, il vient de passer la loi HB 2258 qui impose des mesures excessives et contraignantes aux personnes bénéficiant de l’aide sociale. Cette loi présente une liste assez exhaustive de lieux dans lesquels les bénéficiaires ne peuvent dépenser l’argent de leurs allocations. Ils n’ont pas le droit d’aller au cinéma ou au casino, de s’acheter de la lingerie fine ou d’aller en croisière. Mais ils peuvent toujours s’acheter une arme. Cette loi paternaliste, contestée, régit même les retraits bancaires. Ainsi, les bénéficiaires ne peuvent retirer plus de 25 dollars par jour. Ce qui a pour conséquence de compliquer considérablement la vie. D’abord, on ne peut que retirer par tranches de 20 dollars dans la plupart des guichets automatiques. De plus, il y a des frais pour chaque retrait qui souvent dépassent cinq dollars. Malgré ces inconvénients, Brownback maintient que cela aiderait les « épouvantails » (les bénéficiaires) à être plus responsables dans leur gestion.

Au Wisconsin : idem

Scott Walker, lui, multiplie les subventions aux entreprises et propose aussi des coupes, dont 300 millions de dollars en éducation. Ces mesures ont engendré un déficit de deux milliards. Le Wisconsin se retrouve 33e parmi les États américains en terme de santé économique. Il est en mauvaise posture depuis l’arrivée de Walker. Par ailleurs, l’actuel prétendant à la présidence a réussi à réduire considérablement le rôle et la présence des syndicats. Il a affaibli la capacité des travailleurs de négocier collectivement leurs conditions de travail ainsi que leurs avantages sociaux. Les travailleurs les plus précaires sont touchés, ceux justement qu’il dit vouloir soutenir avec une loi qui prône le « droit au travail » (right to work). Une stratégie qui a souvent été utilisée pour diviser les travailleurs.

Cette loi a suscité une vive contestation. Malgré les manifestations visant à la dénoncer, elle a été adoptée. De plus, il a obligé les fonctionnaires à contribuer encore plus dans leurs régimes de retraite. Comme prévu, quatre ans plus tard, les syndicats périclitent. La plupart ont subi des pertes considérables. Par exemple, un syndicat a perdu 70 % de ses membres. Un grand nombre de « bûcherons en fer blanc » se voient donc obligés de prendre un deuxième emploi. Finalement, cette précarisation du financement et de la structure des syndicats est une victoire pour Walker et pour les patrons. Peut-être que cela permettrait la naissance d’une nouvelle forme de syndicat, innovant dans la façon d’attirer les travailleurs et de protéger leurs intérêts.

Une cible de choix : les minorités

La particularité du gouverneur du Wisconsin vient de sa capacité de miser sur les préjugés raciaux qui existent dans son État. Selon Walker, les inégalités ne sont que le produit des échecs individuels. Pour s’en sortir, il suffirait donc d’obéir aux règles du jeu et de travailler dur. Son but est clairement de plaire à l’électorat blanc conservateur qui se trouve dans les banlieues de Milwaukee et les zones rurales du Wisconsin. Les minorités afro-américaines et latino-américaines sont perçues comme étant les principales bénéficiaires de l’aide sociale. Et selon les préjugés, elles sont des « lions paresseux ». Il a donc fait des coupes massives dans l’éducation et dans l’aide sociale afin de les aider à se motiver pour sortir de la pauvreté…

De plus, il déclare qu’en tant que gouverneur, il veut éviter que l’État du Wisconsin devienne comme Milwaukee, faisant reposer la faute sur les minorités. En disant cela, il fait abstraction du fait que le déclin de Milwaukee vient du départ des grandes entreprises qui a débuté dans les années 1970. Depuis lors, plus de 80 % des entreprises ont quitté la ville et ses environs. Cette absence de vitalité économique a nécessairement engendré des pertes d’emplois. Ce qui se traduit par un taux de chômage élevé chez les Afro-américains et les Latino-américains. Et une absence de possibilités de mobilité sociale.

C’est sans surprise que l’on apprend que Milwaukee détient le plus haut taux d’incarcération d’hommes noirs des États-Unis. Ce qui explique que le candidat aux primaires républicaines a pu faire passer une loi qui élimine la possibilité d’avoir une réduction de la sentence pour bonne conduite. Et c’est toujours sans surprise que l’on constate qu’il est un fervent défenseur de la privatisation des prisons. De bonnes affaires pour les coffres de l’État et pour l’entreprise privée !

La magie de l’austérité

Selon les magiciens de l’austérité, il est préférable de viser la santé et l’éducation que d’augmenter les taxes des entreprises et des plus riches, même minimalement. Et jusqu’à maintenant, les magiciens ont promis des ballons économiques qui ne profitent qu’à leurs seuls amis. Ces ballons n’ont jamais été créés pour les Dorothys de ce monde. Soixante-seize ans après la première mondiale du Magicien d’Oz à Oconomowoc au Wisconsin, notre imaginaire est toujours impressionné par les leçons qu’on en retient. Maintenant, qu’est-ce qui arriverait si tous les héros se chaussaient de créativité et d’audace ?

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