Lyne Lacerte est conductrice d’autobus scolaire depuis 36 ans pour l’entreprise de transport scolaire Transco à Terrebonne, anciennement Autobus Terremont. Cela fait des décennies qu’elle s’assure avec ses collègues conductrices, car elles sont une majorité de femmes, que les enfants qu’elles transportent soient en sécurité et à l’école à temps tous les matins. Cela fait aussi des décennies que son employeur multiplie les démarches administratives et judiciaires pour ne pas remplir son obligation d’appliquer la Loi sur l’équité salariale (LES).
« Sur mes 36 années de services, ça fait plus de vingt ans que je me bats avec mes collègues pour que l’employeur fasse un réel exercice d’équité salariale. Et qu’il l’applique ! », raconte Lyne Lacerte.
La compagnie de transport Terremont était une entreprise de juridiction provinciale de plus de 10 employé-es, donc tenue d’appliquer la LES, entrée en vigueur au Québec en 1996. Le processus d’évaluation nécessaire des diverses catégories d’emplois avait été entamé par le syndicat et Terremont à l’époque, mais était arrivé à une impasse. Pendant plus de 10 ans se sont succédé les rencontres avec l’employeur et les séances de conciliation à la Commission sur l’équité salariale. Durant cette période, deux différends ont été déposés par la partie syndicale auprès de la Commission. En 2008, alors qu’une entente était à portée de main, l’employeur a mis abruptement fin aux discussions et délégué à la Commission le soin de décider. « Terremont a reculé quand ses représentants se sont rendu compte de ce que leur coûterait l’application de l’équité salariale. Ils voyaient bien qu’il y avait un redressement important à faire et que ça influencerait aussi l’échelle salariale lors des négociations de la prochaine convention collective », se souvient Mme Lacerte.
En 2013, l’entreprise Terremont a été vendue à Transco, une filière de l’entreprise multinationale anglaise First Group, dont les profits nets en 2019 étaient évalués à 300 millions de dollars canadiens. Transco a toujours prétendu être de compétence fédérale et, par conséquent, ne pas être assujettie à la Loi sur l’équité salariale.
« Il n’y a rien qui n’a pas été fait pour ne pas appliquer le principe pourtant simple de l’équité salariale : corriger les écarts salariaux causés par la discrimination envers les femmes. Transco prétendait que nous étions maintenant une entreprise de compétence fédérale. C’était pratique ! Or, en 2015, la Commission des relations du travail a confirmé que Transco est bel et bien une entreprise de juridiction provinciale. La compagnie a contesté cette décision jusque devant la Cour d’appel. Cette dernière a finalement confirmé en 2021 que Transco était de juridiction provinciale », continue-t-elle.
La saga de juridiction provinciale ou fédérale étant derrière eux, le syndicat représentant les employé-es de Transco sera devant le Tribunal administratif du travail en mai prochain, car l’employeur conteste des cotes attribuées à certains types d’emploi pour l’application de l’équité salariale. L’employeur affirme aussi qu’il faut retirer, pour les fins de comparaison des salaires, le coût d’un coffre à outils fourni par les mécaniciens.
« Transco prétend que ce coffre à outils vaut environ 6000 $ par année et que cela devrait, pour les fins de comparaison, être retranché de la rémunération annuelle des mécaniciens, un titre d’emploi à prédominance masculine. Ce coffre à outils n’est pas une dépense de l’employeur, car ce sont des outils que les mécaniciens ont payés eux-mêmes et dont ils se servent au travail. Ils reçoivent d’ailleurs une compensation financière de 300 $ par année pour cela. Cette contestation est encore une façon de diminuer la valeur de nos emplois de conductrices, car plus on diminue la valeur de la rémunération de l’emploi à prédominance masculine, plus cela a un effet à la baisse sur les réajustements pour les emplois à prédominance féminine dans l’entreprise. Tout pour ne pas reconnaître notre travail à sa juste valeur ! De même, l’employeur veut ajouter à notre rémunération de conductrices la valeur de l’avantage d’avoir l’autobus à la maison. Il veut donc réduire l’écart entre les diverses catégories d’emplois. Quand on sait que plusieurs conductrices cumulent deux emplois pour arriver, cette comédie est ridicule », déplore la conductrice d’expérience.
Lyne Lacerte espère bien que les audiences en mai régleront le dossier une bonne fois pour toutes. « Cela fait des décennies qu’on se bat pour cela. J’ai des collègues qui sont morts depuis que ce combat est commencé. Ils n’en verront jamais le dénouement. Ce n’est pas normal qu’on ait à se battre autant pour un principe d’équité. Notre travail est important, on transporte l’avenir tous les jours. Ce travail a une valeur qui doit être reconnue », conclut-elle.