ÉLECTIONS 2018

Lettre au premier ministre sur l’éducation et l’enseignement supérieur

Monsieur le Premier Ministre,

En tant que nouveau premier ministre, vous serez bientôt appelé à nommer un ou deux ministres de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Ce sera l’occasion de réaffirmer la mission de l’éducation de la société québécoise mise en place dans la foulée du rapport Parent : une éducation qui doit permettre à chacun de développer son plein potentiel et contribuer à son épanouissement. Il est fondamental de rappeler cette mission alors que notre système d’éducation est fragilisé par une logique marchande qui se traduit notamment par une concurrence entre les écoles et entre les établissements d’enseignement supérieur.

Dans son dernier rapport sur l’état et les besoins de l’éducation, le Conseil supérieur de l’éducation mentionne que la justice sociale à l’école et les valeurs que nous défendons collectivement sont en péril. Nous vous invitons à faire preuve de courage et à répondre à ce cri d’alarme du Conseil supérieur. Oui, cela prendra du courage pour éveiller la conscience des Québécoises et des Québécois sur le fait qu’au lieu d’atténuer les inégalités sociales, notre système scolaire à plusieurs vitesses contribue à leur reproduction.

Deux idées phares de votre programme en éducation nous font craindre pour la suite des choses. D’abord, l’implantation de la maternelle 4 ans dans toutes les écoles mettrait en péril le réseau des CPE et des responsables d’un service de garde en milieu familial reconnues, privant ainsi les jeunes enfants de services éducatifs de qualité. Cela irait à l’encontre de votre objectif d’une intervention précoce. Puis, l’abolition des commissions scolaires serait tout aussi dangereuse alors qu’elles ont pour fonction de répartir les ressources de façon équitable en tenant compte des besoins exprimés par les établissements sur leur territoire ainsi que des inégalités sociales et économiques auxquelles ils sont confrontés. La création de centres de service aux écoles nous apparaît comme un prélude à la sous-traitance, particulièrement pour le personnel de soutien. Lors de votre conférence de presse au lendemain des élections, vous avez démontré une certaine ouverture au dialogue auquel nous souhaitons ardemment participer.

Il y a quelques années, vous avez tenu des propos fort malheureux sur les cégeps, et nous nous réjouissons que votre opinion ait changé. Votre engagement à modifier le mode de financement des cégeps pour entre autres consolider les établissements en région est certainement positif. Nous croyons que la réforme de leur financement doit également prévoir un plancher minimum de services pour le personnel de soutien et pour le personnel professionnel. Une révision du financement de la formation continue et des études à temps partiel est aussi nécessaire afin d’en assurer la gratuité et d’offrir les mêmes services aux étudiantes et étudiants inscrits dans ces programmes. De plus, il faut octroyer les mêmes conditions de travail aux enseignantes et enseignants de la formation continue qu’à leurs collègues de l’enseignement régulier.

Par ailleurs, nous tenons à faire une mise en garde contre votre intention de donner plus de flexibilité aux collèges dans l’élaboration des programmes afin de maximiser l’adéquation entre les formations offertes et les besoins de main-d’œuvre de la région. La variabilité d’un programme technique d’un collège à l’autre risquerait d’affecter la reconnaissance du diplôme national et de réduire la mobilité des diplômés. De plus, la formation collégiale doit permettre d’acquérir des connaissances et des compétences techniques qui transcendent le temps et les besoins des entreprises, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les cours de la formation générale revêtent une si grande importance.

La récente politique de financement des universités prévoit la déréglementation des droits de scolarité des étudiantes et étudiants internationaux. Une telle mesure augmenterait la concurrence entre les établissements, les inégalités de financement (au détriment des universités francophones) et les risques d’un désengagement de l’État. Nous vous demandons de retirer cette mesure. Nous pensons également que la nouvelle politique devrait être bonifiée de manière à mieux tenir compte des services à offrir aux étudiants à temps partiel et à ceux ayant des besoins spécifiques. Interpellé sur le financement des universités, vous avez exprimé votre intention de miser sur une collaboration plus étroite entre le secteur privé et les universités. Vous ne serez pas étonné que nous exprimions notre réticence, l’influence du secteur privé nous semblant déjà trop forte, particulièrement dans le financement et le choix des activités de recherche.

L’ascendant du secteur privé est manifeste également dans les pratiques de gestion et d’administration issues de la nouvelle gestion publique qui mettent à mal le principe de collégialité propre à l’enseignement supérieur. Les différents groupes des communautés collégiale et universitaire doivent être représentés et majoritaires au sein des instances décisionnelles ou consultatives. Pour ce qui concerne la représentation des milieux socioéconomiques au sein des conseils d’administration des établissements des réseaux collégial et universitaire, nous vous invitons à faire respecter la lettre et l’esprit des lois sur les cégeps et sur l’Université du Québec afin d’assurer l’ouverture sur le milieu et la démocratisation promises par ces réseaux. De plus, nous souhaitons la création d’un conseil national des universités pour mieux coordonner le développement du réseau universitaire, une orientation que vous avez déjà appuyée. Il va sans dire que ce conseil ne devrait pas conduire à l’implantation de mécanismes d’assurance qualité ni à une standardisation des contenus pédagogiques.

Enfin, nous partageons l’indignation que vous avez manifestée à l’endroit des coupes budgétaires réalisées par le précédent gouvernement et des effets négatifs qu’elles entraînent sur les services aux élèves et aux étudiants. Tous les partenaires en éducation ont réclamé un réinvestissement important en éducation et en enseignement supérieur. Nous serons à l’affût de vos plans budgétaires afin de nous assurer qu’ils reflètent vos promesses et qu’ils répondent pleinement aux besoins du milieu.

Véronique De Sève, vice-présidente de la CSN, , Nathalie Arguin, présidente de la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP–CSN), Caroline Quesnel, présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN) et Ginette Langlois, présidente de la Fédération des professionnèles (FP–CSN)

La CSN représente près de 70 000 personnes œuvrant dans les réseaux de l’éducation et de l’enseignement supérieur et regroupées dans ces trois fédérations.

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