Les attaques des conservateurs contre les syndicats, l’austérité et la négociation dans le secteur public québécois sont autant d’éléments qui mobiliseront les forces vives de la CSN. Ce genre de lutte syndicale ne date toutefois pas d’hier.
Il y a deux phases dans la négociation des salaires et des conditions de travail des employé-es directs et indirects de l’État québécois. La première correspond à la syndicalisation et à la négociation dans les années 1960 et 1970. Elle est marquée par un fort militantisme, la constitution d’un front commun, des grèves nombreuses et une amélioration substantielle de leurs conditions de travail. L’autre période débute avec les décrets imposés par le gouvernement en 1982-1983 et elle se poursuit jusqu’à nos jours. Devant l’imposition de nombreuses lois spéciales, les syndicats s’efforcent d’enrayer une érosion de la rémunération et des conditions de travail.
Pour simplifier, la syndicalisation des secteurs public et parapublic représente une troisième étape dans la syndicalisation des salarié-es au Québec. La première est liée à la syndicalisation des ouvriers de métier à partir du milieu du 19e siècle. Leur qualification leur confère un rapport de force pour essayer d’imposer la négociation collective aux employeurs. Les effectifs syndicaux atteignent 97 000 membres en 1921 et ces travailleurs n’hésitent pas à faire grève : il y a près d’un million de jours de travail perdus à cause de conflits en 1919 et 1920.
Au tour du secteur public
Le syndicalisme franchit une deuxième étape d’expansion avec l’organisation des ouvrières et ouvriers semi-qualifiés et non qualifiés de l’industrie manufacturière. Cet élargissement est le résultat du militantisme syndical pendant la Deuxième Guerre et de l’adoption en 1944 de la Loi des relations ouvrières inspirée du Wagner Act voté aux États-Unis en 1935. Le gouvernement encadre le processus de négociation collective en posant comme principe que les employeurs doivent négocier « de bonne foi » avec les représentants de leurs employé-es. Les effectifs syndicaux atteignent près de 300 000 membres en 1951 (30 % des salarié-es).
Dans les années 1960, le syndicalisme franchit une troisième étape en regroupant massivement les employé-es des services publics et parapublics. Au début de cette décennie, les fonctionnaires de l’État québécois n’ont pas le droit de négocier leurs conditions de travail alors que les enseignantes et les enseignants et les employé-es des municipalités, de la santé et des services sociaux peuvent le faire depuis 1944. Mais ils ne détiennent pas le droit de grève et les conflits de travail doivent être soumis à l’arbitrage. Emportés par le climat de changement issu de la Révolution tranquille, ces salarié-es commencent à joindre massivement des organisations syndicales. Ainsi, à partir de 1961, la CSN commence à syndiquer des fonctionnaires et des ouvriers qui réclament les mêmes droits que les autres catégories de travailleurs, soit la libre négociation, la possibilité de s’affilier à une centrale syndicale et même le droit de grève. Le premier ministre Jean Lesage y était opposé, ayant notamment déclaré en 1962 que « la reine ne négociait pas avec ses sujets ».
Au même moment, les employé-es d’hôpitaux et les enseignantes et les enseignants remettent en cause le système d’arbitrage qui les régit. Des grèves illégales frappent neuf commissions scolaires en 1963 et les infirmières de l’hôpital Sainte-Justine, dont le syndicat est affilié à la CSN, débraient illégalement pendant un mois en octobre de la même année. Lors d’une rencontre avec le ministre de la Santé qui refuse d’intervenir à cause de l’illégalité du conflit, Madeleine Morgan, présidente du syndicat, réplique : « Tout ce que vous avez à faire, si vous voulez que nous soyons dans la légalité, c’est de changer votre loi ! » Le gouvernement, surpris par une mobilisation exceptionnelle des centrales syndicales, cède en 1964 à l’occasion de l’adoption d’un Code du travail. La CSN organise une assemblée extraordinaire de ses dirigeants et militants alors que la FTQ tient un congrès extraordinaire qui donne au comité exécutif le pouvoir de recourir à la grève générale si le gouvernement n’amende pas profondément le projet de loi. Les enseignantes et les enseignants ne sont pas en reste : la Corporation générale des instituteurs et institutrices menace aussi de convoquer un congrès d’urgence. « La pratique intégrale du droit d’association, peut-on lire dans un rapport de la corporation, n’a pu et ne peut se concevoir sans l’usage du droit de grève. »
La dernière version du projet de loi consacre le droit de grève pour tous les employé-es d’hôpitaux, de commissions scolaires et de municipalités. L’année suivante, ce droit est étendu aux enseignantes et enseignants et aux salarié-es directs de l’État. À peu de choses près, les principes généraux du Code du travail s’appliquent avec la restriction que les services essentiels soient déterminés entre les parties ou par décision du Tribunal du travail. Cette libéralisation des règles touchant la syndicalisation et le droit de grève des secteurs public et parapublic place le Québec à l’avant-garde en Amérique du Nord.
Des gains
De 1964 à 1966, les syndiqué-es relevant directement ou indirectement de l’État québécois font des gains importants, tant en terme salarial que sur le plan des clauses normatives. Il faut dire qu’ils ont un long chemin à rattraper tant leurs salaires et leurs conditions de travail viennent loin derrière ceux du secteur privé. Pour éviter la surenchère de négociations décentralisées, le gouvernement se substitue en 1968 aux commissions scolaires et aux corporations hospitalières en se donnant une politique salariale qu’il applique à tous ses employé-es directs ou indirects.
Les syndicats répondent en 1972 par la négociation en front commun, une méthode unique en Amérique du Nord. La négociation de 1972 donne lieu à l’emprisonnement des présidents des trois principales centrales syndicales pour avoir recommandé de ne pas respecter des injonctions. Répétées en 1975 et 1979, les négociations en front commun sont perturbées par des grèves parfois illégales, des injonctions et des lois spéciales. Néanmoins, elles valent des avantages significatifs aux syndiqué-es en termes d’augmentations salariales, d’avantages normatifs et de sécurité d’emploi. Pour le gouvernement, la rémunération de ses employé-es doit correspondre au salaire moyen des emplois analogues dans le secteur privé. En revanche, les centrales souhaitent que les augmentations obtenues aient un effet d’entraînement pour l’ensemble des travailleuses et des travailleurs du secteur privé. Le patronat s’en inquiète et des économistes confirment à cette influence au début des années 1980.
Fer de lance du syndicalisme, le front commun subit un revers majeur en 1982 et 1983 à l’occasion de la crise économique qui frappe le Québec. Le gouvernement impose une récupération salariale et de très faibles augmentations salariales pendant trois ans. Les grèves déclenchées se terminent par la rigoureuse loi 111, forçant les enseignantes et les enseignants à retourner au travail sous peine de congédiements collectifs et de perte d’ancienneté. Ce lourd échec marque un tournant non seulement pour les employé-es de l’État, mais pour tout le mouvement syndical.
Les négociations subséquentes (1986, 1989, 1992, 1993, 1995, 1997, 1999, 2005) sont marquées par de nombreuses lois spéciales comportant des récupérations salariales, la réouverture de conventions ou leur prolongation, des gels ou de faibles hausses de rémunération. En 1986, le gouvernement s’est donné la loi 160 qui modifie le rôle du Conseil des services essentiels lui octroyant le pouvoir de déterminer l’étendue de ces services, de réagir rapidement et de prévoir de lourdes conséquences pour le non-respect des ordonnances : fortes amendes, baisse de salaire, perte d’ancienneté, suspension de la retenue syndicale, etc. Les employé-es du réseau de la santé en subissent les conséquences lors d’arrêts de travail en 1989, alors que la FIIQ est frappée en 1999. C’est une véritable camisole de force pour limiter le droit de grève.
Le déséquilibre
Depuis les années 1970, le gouvernement s’est appliqué à suivre une politique ayant pour objectif d’aligner la rémunération de l’administration publique et parapublique sur celle du secteur privé. Selon la logique gouvernementale, il appartenait aux entreprises et aux forces du marché de déterminer le niveau de rémunération de ses salarié-es ; l’État devait se contenter d’être un acteur neutre. Mais, depuis les années 1990, il se sert de son pouvoir législatif pour repousser la rémunération des salarié-es de l’État bien en dessous de celle offerte dans le secteur privé. C’est ainsi qu’en 2014, le retard de la rémunération globale (elle comprend les avantages sociaux et les congés) était de 7,6 % par rapport à celui de l’ensemble des autres salarié-es québécois et de 24,1 % par rapport aux autres salarié-es syndiqués.
Compte tenu du nombre imposant de travailleuses et de travailleurs touchés directement ou indirectement par ces négociations (20 % des salarié-es), leurs faibles augmentations influent à la baisse sur la rémunération des autres salarié-es au Québec. Depuis trente ans, elles contribuent à ce que les hausses salariales de l’ensemble des travailleuses et des travailleurs ne dépassent guère l’augmentation des prix à la consommation. Le pouvoir d’achat des salarié-es n’a augmenté que de 11 % depuis plus de trente ans, du jamais-vu depuis que des statistiques sur les salaires réels moyens sont compilées.