Les ravages du chaos climatique se font déjà sentir à travers le monde. Plus que jamais, les pays membres des Nations unies doivent s’entendre sur un accord universel et contraignant sur le climat pour atténuer les effets dévastateurs des changements climatiques. L’enjeu est de taille.
C’est sur le thème « Il n’y a pas d’emploi sur une planète morte » que la CSN ainsi que d’autres syndicats affiliés à la Confédération syndicale internationale (CSI) se sont réunis en septembre dernier à Paris en préparation de la prochaine Conférence des parties (COP) des Nations unies qui s’y tiendra en décembre. Le message du mouvement syndical ne pourrait être plus clair : nous n’avons plus de temps à perdre face aux changements climatiques. En œuvre depuis 1992, la 21e séance de négociation de la COP est de loin la plus importante de son histoire.
Avec l’abandon du protocole de Kyoto et l’absence marquante de dialogue depuis la COP15 de 2009 à Copenhague, les gouvernements ne se laissent aucune marge de manœuvre pour atteindre l’objectif de limiter le réchauffement à 2°C par rapport au standard préindustriel.
À l’évidence, nous sommes bien loin de la conclusion d’un accord. Lors de la dernière séance de négociation, qui s’est tenue à Lima en 2014, les parties se sont entendues sur un seul paragraphe de la convention-cadre.
« Les États jouent un jeu très dangereux », constate Anabella Rosemberg, coordonnatrice de la CSI et responsable de la présence du mouvement syndical dans le cadre des négociations climatiques. « Le constat n’est pas brillant. Les négociations internationales connaissent un moment assez difficile. Certains pays, dont le Canada, bloquent systématiquement tout progrès. Ils tirent les autres États vers un seuil si bas que le processus ne peut plus fonctionner. »
Pour Pierre Patry, trésorier de la CSN et responsable du dossier environnement, il est primordial que le gouvernement fédéral assume un rôle de leader dans la lutte aux changements climatiques.
« C’est inadmissible que le Canada nuise aux négociations internationales. Sous le règne de Stephen Harper, le Canada a reçu le prix “Fossile de l’année” pendant cinq années consécutives pour s’être démarqué comme le pays le plus perturbateur lors des négociations, déplore M. Patry. Nous devons adhérer à l’établissement de cibles ambitieuses de réduction de gaz à effet de serre (GES). Le développement durable ne peut pas s’appuyer sur l’exploitation d’une ressource aussi dommageable que celle des sables bitumineux. Le nouveau gouvernement doit comprendre que le temps est compté et agir en conséquence. »
Scientifiques à bout de souffle
« Les parties doivent absolument conclure une entente, et au plus vite », insiste la Dre Isabella Valicogna, professeure en science du système terrestre à l’Université de Californie à Irvine et scientifique au laboratoire de recherche sur la propulsion de la NASA. « En tant que scientifique, j’observe la dévastation climatique quotidiennement, le manque d’action est stupéfiant. Nous avons enclenché des changements qui dureront plus de 100 ans. On peut les ralentir, les atténuer, mais pas sans un accord universel et contraignant. »
Mme Valicogna étudie les cycles de l’eau de l’Arctique en lien avec les changements climatiques. « Les couches de glace fondent beaucoup plus rapidement que prévu », prévient-elle. « Même l’objectif de limiter la hausse de la température à 2°C engendrera des conséquences monumentales. En observant le passé, nous savons que des conditions semblables ont existé il y a 100 000 ans. À l’époque, une hausse de 1°C à 1,5°C a suscité une montée de 5 à 6 mètres du niveau de la mer. Nous ne devrions plus nous demander si les mêmes conséquences se répèteront, mais plutôt la vitesse à laquelle elles se produiront. »
Peuples appauvris : proies du climat
Les changements climatiques risquent de déchaîner des crises importantes sur la planète et ce sont les pays et les communautés les moins nantis qui subiront le pire des dommages.
« Le réchauffement climatique met davantage en danger les pays pauvres », explique Isabella Valicogna. « Les régions côtières seront méconnaissables après la montée du niveau de la mer. Seulement au Nigéria, plus de 20 millions de personnes résident près de la mer. Une crise climatique, c’est aussi une crise de migration, une crise humanitaire », déplore la scientifique.
La sécurité des peuples à risque est un enjeu incontournable pour la CSI. « Il faut protéger les communautés et les travailleurs vulnérables. Nous voyons déjà que les sécheresses et les inondations affectent davantage les pays les plus pauvres, soutient Mme Rosemberg. Le combat du mouvement syndical, c’est d’obtenir une protection sociale pour ces populations. Un revenu familial garanti, l’assurance-chômage et un système de santé publique sont fondamentaux pour leur permettre d’affronter un avenir qui sera dur, très dur. »
Convergence des luttes
Pour la CSI, un succès à Paris ne sera pas tributaire du seul résultat des négociations, mais également de la capacité du mouvement syndical de mobiliser les travailleuses et les travailleurs à participer aux activités qui se dérouleront lors de la Journée mondiale d’action le 29 novembre. La CSN invite d’ailleurs ses membres à prendre part à l’action qui se tiendra à Ottawa.
« Il faut unir les causes. Le chaos climatique ne doit pas être une option, affirme Mme Rosemberg. Nous devons sensibiliser les travailleurs aux enjeux environnementaux en leur démontrant les liens qui existent entre le climat, la justice, les emplois et la solidarité. La lutte ne peut plus être limitée à l’environnement, l’emploi ou l’éducation. Les groupes sociaux doivent développer une vision du monde qui exclut du pouvoir les forces qui encouragent notre dépendance aux hydrocarbures. »
Quoique le bilan climatique soit assez démoralisant, Isabella Valicogna y voit aussi un aspect positif, soit l’occasion de relever d’importants défis collectivement. « Oui, les bouleversements climatiques provoqueront beaucoup de détresse, mais cela nous fournira aussi de nouvelles occasions de luttes, avance-t-elle. De nouveaux emplois seront créés. La nouvelle génération veut travailler à développer des solutions, de nouvelles sources d’énergie renouvelable et des technologies capables de les transformer et de les stocker. »
Pour sa part, la CSN juge que la transition vers une économie verte se fait en partie à travers le syndicalisme. « Le développement durable, c’est la conjugaison entre le développement économique, les droits sociaux et le respect de l’environnement, explique Pierre Patry. Malheureusement, on oublie souvent le volet “droits sociaux” du développement durable. Bien qu’il soit important de nous assurer que les entreprises soient moins polluantes, nous devons aussi veiller à ce que les droits des travailleuses et des travailleurs soient préservés, tant pour les nouveaux emplois dits clean-tech que pour les emplois traditionnels. La meilleure façon de le faire, c’est en se syndiquant. »
Revendications syndicales
Chose certaine, la CSN, la CSI et leurs alliés comptent bien se faire entendre lors des négociations à Paris en décembre.
D’abord, le mouvement syndical pressera les parties de passer à l’action avant 2020. Puis, il exigera une feuille de route claire quant à l’engagement des pays industrialisés à verser 100 milliards de dollars de soutien par année aux pays en développement, pour finalement réclamer que les travailleuses et les travailleurs soient accompagnés dans la transformation de l’économie.
« Nous devons pouvoir organiser le changement vers une économie verte de façon à ce que les travailleurs y trouvent leur compte. Nous voulons participer activement à la transformation de nos systèmes de productivité et de nos modes énergétiques. Les travailleurs vont construire une économie à faible émission de carbone, et personne ne sera laissé de côté », conclut Mme Rosemberg.