Le réseau de la santé et des services sociaux traverse actuellement une grave pénurie de main-d’œuvre. Face à un phénomène prévisible, et prévu, le manque de vision et une gestion bureaucratique à la petite semaine au Centre intégré universitaire de santé et services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale ne font qu’aggraver le problème, comme on a pu le constater récemment dans les résidences du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle de Québec (CRDI).
Dès l’été 2017, la direction du CIUSSS reconnaissait le manque d’employé-es et affirmait dans les médias que « la situation va de moyennement difficile à très difficile, selon les secteurs[1] », au point de devoir lancer une campagne de recrutement[2] à l’automne. « Nous constatons, un an plus tard, que le CIUSSS n’a pas été prévoyant, qu’il n’a pas mis en place les mesures d’attraction et de rétention nécessaires, bref qu’il n’a pas bien géré la pénurie », déplore François Proulx-Duperré, président par intérim du Syndicat des professionnèles, techniciennes et techniciens de la santé et des services sociaux (CSN), « pire, face au manque de personnel, la direction a mis en place une politique qui a démobilisé les gens et aggravé la situation. »
Le cas du CRDI
Cet été, la direction du CIUSSS s’est retrouvée face à un problème grave au CRDI et la réponse ne fut pas à la hauteur. « À cause de la pénurie de personnel, les gestionnaires se sont retrouvés avec de nombreux quarts de travail d’éducateur ou d’éducatrice à découvert, jusqu’à 50 par fin de semaine, dans les résidences, le milieu le plus difficile du CRDI », explique Emmanuelle Lachance, représentante du secteur du CRDI au syndicat, « mais au lieu de s’asseoir avec nous pour trouver une solution, ils sont arrivés avec un plan de contingence dangereux, développé en vase clos, imposé et absolument inacceptable pour le personnel ».
Au CRDI, il y a environ 500 éducateurs ou éducatrices. De ce nombre, 150 travaillent dans les résidences. La direction du CIUSSS voulait forcer le personnel de semaine des autres secteurs, sans égard à leur formation et à leur ancienneté, à effectuer deux remplacements de fin de semaine par quinzaine pour combler des quarts de travail à découvert. Grace aux interventions du personnel et de la CNESST, la direction a été forcée de faire marche arrière. En lieu et place du plan de contingence prévu, elle a dû appliquer des mesures alternatives.
Emmanuelle Lachance explique : « nos mesures alternatives étaient relativement simples : d’abord, utiliser au maximum la liste de rappel, ensuite demander s’il y a des volontaires pour les remplacements et les attribuer par ancienneté au lieu de forcer les gens, enfin, payer les gens en temps supplémentaire puisqu’il s’agit bien de ça. » Avec ces mesures souples, le nombre de quarts à découvert durant les quatre pires fins de semaine de l’été est passé de 43, 48, 48 et 50 respectivement à 1, 1, 4 et 7, selon nos informations.
« Pour nous, ça démontre qu’avec des mesures simples et souples, intéressantes pour nos gens, ça marche et on peut gérer efficacement les crises, il n’est pas nécessaire de faire violence aux gens et de les contraindre, » explique François Proulx-Duperré. Le syndicat milite actuellement pour trouver une solution permanente aux problèmes vécus au CRDI. « Il s’agit d’un secteur difficile et négligé avec un des taux d’absentéisme les plus élevés du CIUSSS, c’est très fragile. Mais c’est possible de renverser la vapeur, nous avons un bon contre-exemple sur le territoire même du CIUSSS, » explique le président par intérim, « il s’agit des résidences de Charlevoix. Là-bas, le syndicat et la direction sont parvenus à une entente locale souple pour offrir des horaires attrayants, fonctionner par compétences et intérêts plutôt que par ancienneté. Doit-on s’étonner qu’ils aient beaucoup moins de problèmes là-bas? » Pour le syndicat, la solution demeure la souplesse et le dialogue, « on arrivera à rien avec une gestion autoritaire basée sur le droit de gérance ».
Mettre les gens dans le coup
« Face à des phénomènes comme la pénurie de main-d’œuvre, on ne peut pas juste agir sur le coup, d’urgence en urgence », croit Ann Gingras, présidente du Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN), « il faut prévenir et mettre en place des mesures d’attraction et de rétention du personnel. » La présidente du conseil central rappelle qu’il est toujours plus payant de mettre les gens dans le coup plutôt que de travailler contre eux et les contraindre, « ce sont des choses qu’il faut pouvoir négocier avec les syndicats ».
Pour le conseil central, l’enjeu ne se situe pas seulement au niveau des conditions de travail. « On parle de services à la population, il faut comprendre que quand on gère dans l’urgence, pour patcher des trous, la population y perd au change, il y a des services qui ne se donnent pas », rappelle Ann Gingras. « Ce qui se passe actuellement est questionnant, des fois on se demande quel est le mandat du CIUSSS : organiser et donner les soins de santé et les services sociaux auxquels la population a droit ou ouvrir la porte au privé ? », conclut la présidente.