Un texte de Stephanie Ouellet
Illustration : MissPixels
L’austérité a été vantée comme étant un remède nécessaire pour traiter les symptômes de la dette et guérir la récession dans plusieurs pays, mais n’a servi qu’à accentuer la nécrose et repousser la guérison de plusieurs économies après la crise financière de 2008. Une chose est certaine, si l’austérité avait fait l’objet d’essais cliniques, ses politiques auraient été abandonnées en raison des effets secondaires dévastateurs sur les populations.
Selon plusieurs économistes, le dernier mandat de David Cameron, Premier ministre de la Grande-Bretagne et chef du Parti conservateur, aurait mené à la plus draconienne coupe dans les services publics britanniques depuis des décennies.C’est pourquoi la victoire des Tories aux élections de mai 2015 en a surpris plus d’un. Réduction de l’aide sociale aux travailleurs, menaces sur le système national de santé, politiques ayant pour effet de fragiliser la sécurité d’emploi et diminuer les salaires, le bilan de Cameron n’est pas aussi positif qu’il le laisse croire. En effet, les revenus d’emploi réels en Angleterre ont chuté de 1,6 % seulement dans la dernière année et les citoyens britanniques sont aux prises avec le niveau de vie le plus bas depuis les années 1840.
Avec de tels résultats, on aurait tendance à penser que ce nouveau mandat des conservateurs comprendrait un changement de direction majeur en ce qui a trait aux politiques d’austérité. Eh bien, détrompez-vous. Cette année, la majorité parlementaire est tout ce qu’il fallait aux conservateurs pour réaliser leur plan budgétaire spécial austérité. La population britannique devra ainsi composer avec des coupes de plus de 12 milliards de livres dans les mesures sociales.
L’austérité tue
Pour l’État, investir dans l’économie lorsque les temps sont durs est une façon de minimiser l’impact des ralentissements économiques et de relancer plusieurs secteurs essentiels à la création de la richesse, comme l’emploi et l’éducation. David Stuckler, expert renommé en économie de la santé publique et chercheur à l’Université d’Oxford, estime qu’il est même dangereux de couper dans les services essentiels à la population, comme le système de santé, lorsqu’un État subit une période de récession. Dans son plus récent livre, il explore, entre autres, un phénomène inquiétant se produisant en Angleterre depuis la mise en place des politiques d’austérité : une importante vague de suicides due aux coupures dans le secteur public. En effet, une enquête de l’Office national de statistiques de l’Angleterre (ONS) révèle que l’année 2013 détient le record du taux de suicide depuis les 12 dernières années. Selon cette enquête, le nombre de suicides en Angleterre aurait augmenté de 4 % en une seule année et serait étonnamment plus élevé que lors de la crise financière de 2008. Cette étude souligne la fatalité qu’engendrent les cures idéologiques d’amincissement de l’État en période de crise.
Un système de santé mis à mal
Le Royaume-Uni a déjà été considéré comme un leader dans l’accessibilité et la qualité des services de santé. Son système de santé public (NHS) est encore vu comme une fierté nationale pour les Britanniques, selon un sondage mené en 2014. En effet, 52 % des répondants identifient le NHS comme leur principale source de fierté, alors que la famille royale fait la fierté de 33 % des votants. Les coupes réalisées dans les dernières années et les changements majeurs apportés au fonctionnement du NHS ont cependant profondément affecté son accessibilité et son efficacité. En effet, il est estimé que les mesures d’austérité du gouvernement conservateur de David Cameron mèneront à un manque de fonds de plus de 50 milliards de livres d’ici 2020.
Longs délais d’attente, manque de personnel infirmier, soins d’urgence réduits, hôpitaux bondés et paralysés, exil des médecins qui aspirent à de meilleures conditions de travail, le système de santé britannique est assurément victime du saccage fait par les conservateurs et peine à fournir les soins de santé dont la population a besoin. Incidemment, le taux de mortalité lié aux maladies cardiaques est 36 % plus élevé en Angleterre qu’aux États-Unis et le taux de mortalité lié au cancer du sein est 88 % plus élevé chez les femmes britanniques que chez les Américaines.
Une autre conséquence alarmante des mesures d’austérité imposées au système de santé britannique est le nombre croissant de citoyens se tournant vers le privé pour obtenir des soins. En effet, le nombre de gens déboursant pour des soins de santé privés augmente de 20 % chaque année et les assurances privées sont également de plus en plus populaires. Il importe alors de se demander si le gouvernement tente délibérément de forcer ses citoyens à renoncer au système public et si cela n’est qu’un moyen de réduire petit à petit le rôle de l’État.
Les mesures d’austérité sèment la mort parmi les populations où elles sont le plus sévèrement appliquées, et l’Angleterre – comme la Grèce ou l’Espagne – n’a pas été épargnée. Les politiciens de partout à travers le monde doivent donc se rendre à l’évidence : les conséquences sociales et économiques que peuvent entraîner les coupes purement idéologiques prônées par les gouvernements pro-austérité sont sévères et irréversibles.
Une question idéologique
Que faut-il conclure de l’exemple flagrant de l’échec des mesures d’austérité en Angleterre ? Ces coupes ne visent absolument pas à redresser l’économie ni à sauver les populations de la pandémie. Elles servent plutôt à légitimer la privatisation graduelle des services publics et le désengagement de l’État vis-à-vis des besoins sociaux de sa population.
Le Premier ministre Cameron a même avoué que le but ultime de ces coupures était de créer un « État plus svelte », une « bureaucratie plus légère » et ce, de façon permanente. Évidemment, suggérer qu’une plus grande implication de l’État serait la solution à une crise financière remettrait en doute la confiance quasi aveugle que certains accordent au libre-marché.
Mais à qui profite donc ce type de pensée magique ? Lorsque l’on constate que George Osborne, ministre des Finances britannique, a annoncé que d’ici 2020 les impôts aux entreprises baisseraient de 20 %, mais qu’il compte couper 12 milliards de livres dans les dépenses sociales, il y a lieu de se questionner quant aux intérêts qui motivent ces décisions. L’austérité existe-t-elle finalement pour que les corporations retrouvent leur profitabilité aux dépens des services sociaux et de la qualité de vie des citoyens et citoyennes?
Avouer ses torts
En 2013, l’économiste principal du FMI, Olivier Blanchard, a avoué avoir sous-estimé les dommages que causeraient les politiques d’austérité en termes de croissance économique. Ainsi, pour 1 $ de compression des dépenses de l’État, il aurait fallu s’attendre jusqu’à 1,70 $ de recul de l’économie plutôt qu’à 0,50 $ comme il avait été estimé au départ. Bref, il aurait fallu s’attarder davantage aux critiques et aux protestations avant d’infliger un tel remède de cheval à des économies déjà chancelantes et ainsi aggraver leur dépression.
Une question demeure cependant sans réponse : pourquoi, alors que partout sur la planète on réalise que l’austérité n’est pas la cure miracle que l’on avait espérée, le gouvernement libéral de Philippe Couillard essaie-t-il encore de nous forcer à avaler la pilule ? Pourquoi nous inflige-t-il ses politiques d’austérité coûte que coûte, même si leurs effets néfastes ont été démontrés par des experts reconnus ? La population ne profitera en rien de ces politiques basées sur l’idéologie plutôt que sur la réalité économique et sociale dans laquelle le Québec se trouve.