Le principe d’un revenu minimum garanti (RMG) revient à l’avant-scène ces derniers temps. Certes, l’idée que les États puissent garantir un niveau minimal de revenu à tous leurs citoyens ne date pas d’hier — même Napoléon y a fait allusion. Applaudie tant par des économistes néolibéraux que par des militants anti-pauvreté, cette idée représente-t-elle un outil d’émancipation ou un cheval de Troie ? Une bonne idée se convertit-elle nécessairement en bonne politique ?
Il existe déjà au Québec une série de programmes visant à assurer une certaine qualité de vie aux populations démunies et défavorisées, notamment l’aide financière de dernier recours, communément appelée « aide sociale ». Malheureusement, ces programmes ne répondent pas adéquatement à la situation de plus d’un million de Québécoises et Québécois vivant avec un trop faible revenu pour subvenir à leurs besoins de base. Quelqu’un qui reçoit de l’aide sociale et qui n’a pas de contraintes à l’emploi gagne à peine 8000 $ par année, ce qui représente 50 % du montant nécessaire pour couvrir les besoins de base, selon la mesure du panier de consommation. « On est très loin d’un système satisfaisant qui donne un coup de main aux personnes mal prises pour qu’elles soient capables de sortir de la pauvreté », dénonce Virginie Larivière, organisatrice politique et co-porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté. Les sacrifices consentis par les personnes assistées sociales pour arriver à joindre les deux bouts sont nombreux. Et c’est souvent leur santé qui écope. Si l’on compare le quartier le plus riche et le quartier le plus pauvre de Montréal, il y a non seulement un écart de revenu moyen de 77 000 $ par année, mais aussi un écart de onze ans pour l’espérance de vie. C’est assez parlant. »
Sécuriser le revenu
Depuis plusieurs années, la CSN revendique des moyens pour sécuriser le revenu tout au long de la vie. C’est d’ailleurs l’un des cinq thèmes qui ont été abordés lors de la consultation précongrès, et qui fera l’objet de discussions à son 65e Congrès qui se tiendra en juin à Montréal. Elle préconise principalement une réforme majeure de la Loi sur les normes du travail et de ses règlements (salaire minimum, congés, vacances, équité de traitement, licenciement collectif, etc.). Dans ce contexte, l’adoption d’un modèle de RMG, s’il est bien balisé et qu’il ne nuit pas à d’autres programmes ou services sociaux, représenterait-elle une solution pour contrer la pauvreté ?
« Bien que l’idée d’un RMG soit attrayante en principe, il y a plusieurs autres pistes que nous devons explorer en tant que société afin de réduire les inégalités et éliminer la pauvreté, explique Jean Lortie, secrétaire général de la CSN. Près de quatre employé-es sur dix occupent un emploi précaire et sont ainsi moins bien protégés par la Loi sur les normes du travail. Pourquoi ne pas s’attaquer à ses lacunes ? Aux disparités de traitement dans les régimes de retraite ou encore à l’augmentation du salaire minimum, une mesure qui aiderait plus de 210 000 salarié-es, dont une majorité de femmes, à joindre les deux bouts ? »
En eaux inconnues
À part le projet Mincome, mené entre 1974 et 1979 par le gouvernement néodémocrate du Manitoba pour une partie des populations de Winnipeg et de la petite ville rurale de Dauphin, les gouvernements du Québec et du Canada n’ont pas d’exemple concret de RMG en Amérique du Nord duquel ils pourraient s’inspirer.
Malgré cela, le gouvernement québécois s’intéresse actuellement à l’idée. Il a d’ailleurs mandaté un comité de travail composé de trois économistes pour se pencher sur la question. Le rapport et les recommandations du comité devraient être déposés d’ici l’été 2017. Le gouvernement ontarien, quant à lui, est sur le point de lancer un projet pilote dans quelques villes afin d’étudier les tenants et aboutissants de l’adoption de telles mesures à travers la province.
« Depuis plusieurs décennies, le RMG revient périodiquement dans les débats sociaux à travers le monde, mais ce qu’on remarque en ce moment, c’est qu’il y a plus de discussions concrètes que par le passé, précise Julien Laflamme, conseiller syndical au Service des relations du travail de la CSN. Ce qui est intéressant, c’est que les débats sont menés non seulement par la gauche, mais aussi par la droite. En France, le candidat socialiste à la présidence propose un RMG dans sa plateforme, mais c’était aussi le cas pour quelques candidats défaits à la présidence du parti de droite. Autant à gauche qu’à droite, il y a des thématiques qui reviennent assez fréquemment. L’une étant l’urgence de se préparer pour l’effritement de la société salariale engendrée par les changements technologiques de ce qu’on appelle la “4e révolution industrielle”. Autrement dit, le système économique ne sera plus en mesure de fournir un salaire à suffisamment de travailleurs et il ne sera plus à même d’être un véhicule de redistribution de la richesse adéquat, donc il faudrait pallier les programmes de l’État pour tout le monde. Cela dit, peut-être que dans 50 ans la question se posera différemment au Québec. Mais en ce moment, entre autres à cause du vieillissement de la population, on n’est pas dans une situation de pénurie d’emplois. Alors pourquoi en parlons-nous ? Est-ce parce que l’on est encore pris avec les politiques d’austérité qui maintiennent, et même accentuent les inégalités ? On ne regarde peut-être pas au bon endroit. »
Fantasme néolibéral ?
Pour Julien Laflamme, nous devons nous questionner sur les raisons pour lesquelles certains joueurs de la droite sociale et économique sont ouverts à la possibilité d’un RMG. « Plusieurs penseurs de la droite souhaitent que le RMG puisse se substituer aux programmes offerts actuellement par l’État. Il ne faut pas oublier que nous avons déjà des transferts qui sont de nature universelle. Ce ne sont pas des transferts en argent, mais plutôt en biens et services. Quand l’État offre une éducation gratuite à ses citoyennes et citoyens, c’est un transfert universel, offert à l’ensemble de la population. C’est le même principe pour le réseau de la santé et des services sociaux. Malheureusement, il y a un courant de droite qui voit une occasion en or de dire “on donne un chèque à tout le monde, puis on n’aura plus besoin des autres programmes”. Bien que ce débat ne soit pas encore au centre de la réflexion sur l’avenir des programmes sociaux québécois, nous pouvons déjà l’entendre dans certains milieux. Nous n’avons qu’à penser aux services de garde éducatifs. Plusieurs personnes prônent l’idée d’envoyer un chèque aux parents plutôt que de leur offrir un accès universel à un CPE. »
Le Centre canadien des politiques alternatives (CCPA) partage certaines des préoccupations de la CSN quant aux effets néfastes que pourrait avoir un éventuel système de RMG. « Ce n’est pas suffisant de simplement émettre un chèque à tout le monde », prévient Trish Hennessy, directrice du bureau ontarien du CCPA. « Les services publics offerts par l’État sont nécessaires et leur perte lors d’une transition vers un modèle de RMG serait catastrophique, surtout pour les personnes à faible revenu ou issues de communautés vulnérables. C’est pourquoi tous les regards seront tournés vers l’Ontario lorsqu’ils annonceront les paramètres de leur projet pilote et plus particulièrement vers la fin du processus quand les recherchistes dévoileront leurs résultats, positifs et négatifs. Plusieurs juridictions risquent de suivre l’exemple de l’Ontario lors du développement de leurs propres programmes. »
De toute évidence, nous parlerons encore beaucoup du revenu minimum garanti, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde occidental. Et, bien qu’il y ait de quoi stimuler l’imaginaire, un mais important s’impose.