Austérité et santé mentale

La détresse psychologique laissée en plan

 « Plus on crée une distance entre les mailles du filet, plus de gens vont y tomber », craint Louis Picard, psychologue au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine.

Les psychologues et les neuropsychologues du réseau public jouent un rôle unique et crucial puisqu’ils ont la possibilité de travailler en équipe avec plusieurs autres professionnel-les de la santé et de devenir des spécialistes de certains troubles ou détresses psychologiques qui peuvent être parfois très graves. On trouve rarement ces deux caractéristiques chez les psychologues de pratique privée qui visent une clientèle plus large.

Les psychologues de Sainte-Justine, par exemple, aident les enfants grands brûlés à passer au travers de traitements extrêmement douloureux comme l’hydrothérapie. On pense aussi à l’accompagnement des familles lors de deuils ou de maladies graves d’enfants. « La principale richesse du réseau, c’est l’expertise. Une surspécialisation qu’on ne trouve pas toujours au privé », explique Pierre Goulet, neuropsychologue au Centre de réadaptation Lucie-Bruneau. Ce centre est spécialisé auprès d’adultes qui ont subi une atteinte orthopédique ou cérébrale, ou qui sont aux prises avec des maladies évolutives. Il s’agit de les accompagner pour qu’ils arrivent à se réinsérer socialement.

« Les enfants qui arrivent ici vont être pris en charge, mais on doit ensuite les référer en première ligne », explique Dominique Pallanca, psychologue à Sainte-Justine. Or, cette première ligne (CLSC ou ressources communautaires) croule sous le nombre de cas et doit souvent se contenter de donner un service restreint d’une dizaine de séances, ce qui n’est pas toujours adapté aux cas plus lourds. « Un enfant avec une maladie chronique et un trouble de la personnalité limite, par exemple, risque fort de nous revenir. On assiste à un phénomène de portes tournantes », fait valoir Louis Picard, qui précise que le privé aura souvent moins l’intérêt à s’occuper de ces cas plus difficiles.

Le manque de ressources ne touche pas que le secteur de la santé. « La longueur des listes d’attente pour avoir accès à un psychologue dans les écoles fait peur », affirme Dominique Pallanca, qui précise que les soins psychologiques, par exemple pour les troubles du langage chez les enfants, ne peuvent souvent pas attendre. Les parents doivent alors se tourner vers le privé.

Le réseau public moins attractif

Les psychologues qui consacraient la majeure partie de leur temps au réseau public, et qui suffisaient déjà à peine à la tâche, risquent d’être encore moins nombreux à cause de l’abandon d’une prime qui visait à combler l’écart entre les revenus dans le réseau public (45 $ l’heure au maximum) et dans le privé (entre 80 $ et 120 $ l’heure, moins les frais). Rappelons que le doctorat est maintenant obligatoire pour exercer cette profession. Cette prime de 6,7 % à 9,6 % pour ceux qui consacrent quatre ou cinq jours par semaine au réseau public a été abandonnée le 1er avril par le gouvernement Couillard. Elle avait pourtant été convenue après une réflexion sérieuse sur les raisons du manque d’attractivité de la profession dans le réseau public. On souhaitait y attirer des professionnel-les pour réduire les listes d’attentes, qui ont déjà atteint 18 mois pour certains enfants à Sainte-Justine.

La prime en question représentait environ 35 millions de dollars pour tout le Québec. « C’est une décision qui manque complètement de vision », déplore Dominique Pallanca. Le coût social de l’abandon des personnes avec un problème de santé mentale est beaucoup plus élevé.


La CSN représente plus de 700 psychologues et neuropsychologues qui sont membres de la Fédérations des professionnèles (FP-CSN) ou de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN).

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