Dans une décision historique rendue aujourd’hui, le juge Pierre Flageole, du Tribunal administratif du travail, déclare constitutionnellement inopérant l’article 111.10 du Code du travail qui fixe les pourcentages du personnel à maintenir durant une grève dans le secteur de la santé et des services sociaux. Le tribunal donne un an au gouvernement du Québec pour revoir cette disposition des services essentiels.
Ce recours avait été lancé par des syndicats du réseau public de la santé et des services sociaux affiliés à la CSN, alors qu’ils se préparaient à faire la grève à l’occasion des négociations en front commun de 2015. Pour le juge Flageole, les dispositions prévoyant un pourcentage minimum de salarié-es par unité de soins et par catégorie de services sont inconstitutionnelles car elles ne sont pas nécessairement conformes à la prestation de services réellement «essentiels» et il n’y a pas pas de recours au Tribunal administratif du travail afin de statuer sur le caractère essentiel ou non des tâches effectuées par les travailleurs. Ces seuils arbitraires ont donc pour effet de limiter le rapport de force et la capacité des salarié-es de faire la grève au-delà de ce qui serait strictement requis pour assurer le santé et la sécurité de la population. En cela, le juge s’appuie notamment sur la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Saskatchewan–Federation of Labour, rendue en 2015, et déclarant constitutionnel le droit de faire la grève.
Dans les faits, même en grève, les salarié-es de la santé et des services sociaux doivent effectuer plusieurs tâches qui ne sont pas «essentielles» en regard de la santé et de la sécurité de la population. C’est notamment ce qui ressort des nombreux témoignages entendus dans ce dossier. Cette décision aura des impacts pour tous les salarié-es visés par les dispositions relatives aux services essentiels.
« C’est une reconnaissance supplémentaire que le droit de grève est protégé par la constitution, se réjouit le président de la Confédération des syndicats nationaux, Jacques Létourneau. Il ne s’agit pas de dire que la grève sera dorénavant totale dans un hôpital. Même avant l’adoption de la loi, dans les années 80, les syndicats respectaient un code d’éthique strict pour mener une grève et s’assuraient de donner les soins auxquels les citoyennes et les citoyens ont droit. Cependant, les règles ne pourront plus être arbitraires. Elles devront refléter la situation réelle et limiter le moins possible l’exercice d’un véritable rapport de force par les salarié-es. On peut penser que dans bien des cas, un meilleur rapport de force permettra de raccourcir la durée des conflits, voire d’en éviter plusieurs ».
Pour le président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN), Jeff Begley, cette décision constitue un tournant. « Lorsque des salarié-es en arrivent à la grève, c’est parce qu’ils ont tout essayé avant son déclenchement. La grève est le recours ultime. En exigeant arbitrairement qu’un nombre de salarié-es demeurent au travail, sans autre analyse de leurs tâches véritables, le Code du travail nous prive d’un véritable levier pour en arriver à une entente satisfaisante. C’est un grand jour aujourd’hui pour les droits de toutes les travailleuses et les travailleurs de la santé et des services sociaux.»