Mardi, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, y est allé de propositions, faisant preuve d’antisyndicalisme, pour « moderniser » le fonctionnement des organisations syndicales. En fait, suivant ses propositions, il s’agirait d’un retour à une époque où les travailleuses et les travailleurs disposaient de trop peu de moyens pour améliorer leur sort. Il reprend à cet égard, les propositions du très conservateur Institut économique de Montréal et des positions du gouvernement de Stephen Harper, qui trouvent très peu d’échos au Québec, comme l’a bien démontré le dernier scrutin fédéral.
Disons-le franchement, le but avoué de ces propositions vise surtout à réduire au minimum la mise sur pied de syndicats, à l’avantage des patrons.
La démocratie syndicale et le vote à scrutin secret
Pourquoi les législateurs provincial et fédéral ont-ils réglementé, dans leur Code du travail respectif, pour que le choix d’un syndicat soit déterminé par signature de carte d’adhésion plutôt que par vote secret ? Pour éviter l’ingérence et l’intimidation exercées par les employeurs auprès de leurs salariés afin de les inciter à renoncer à la formation d’un syndicat.
Sinon, comment un syndicat en formation pourrait-il disposer de moyens aussi efficaces que ceux d’un employeur ou d’un groupe de salariés appuyés par l’employeur lui permettant de gagner le vote ?
Par ailleurs, comme la préparation d’un scrutin secret suppose au préalable la tenue d’une campagne visant à promouvoir les points de vue opposés, les salariés qui militeront ouvertement en faveur de l’accréditation s’exposeront au pire, surtout en cas de résultat négatif. En effet, ils seront identifiés par l’employeur comme des trouble-fêtes et risqueront des représailles de sa part, et ce, en l’absence de toute la protection que procure généralement la présence d’un syndicat et la conclusion d’une convention collective.
Ces salariés pourront-ils faire leur propagande sur les lieux de travail sans risque de sanction ? Il est évident que ceux plus près des patrons bénéficieront, eux, de l’appui ou du moins d’une bienveillante tolérance de la part de leur employeur. En somme, une véritable campagne précédant le vote ne peut être menée à armes égales et son résultat ne peut représenter véritablement le choix individuel de chaque salarié impliqué.
Voici ce qu’écrivait dans Le Devoir du 16 mai 2005, Me Louis Morin, ex-juge au Tribunal du travail et ancien président de la Commission des relations du travail du Québec :
«Dans toute ma carrière, je n’ai pas rencontré un seul employeur qui ait bien pris la nouvelle lorsqu’un syndicat montrait le bout du nez. Parfois les réactions sont virulentes. Est-ce plus démocratique de voter contre la syndicalisation après que l’employeur eut menacé les salariés de fermeture, de perte de droits, etc., que d’avoir signé une carte d’adhésion même si c’est avec persistance qu’on a demandé de le faire?»
D’ailleurs, le caractère représentatif de l’accréditation est vérifié par un agent de la Commission des relations du travail qui examine les formules d’adhésion et qui enquête auprès d’un échantillon plus ou moins grand, selon le cas, de salariés pour vérifier si leur adhésion est conforme. S’il découvre des irrégularités concernant le caractère libre et volontaire de certaines adhésions, il l’indiquera à son rapport et le commissaire chargé du dossier pourra, en vertu du Code du travail, ordonner la tenue d’un scrutin secret. À notre avis, ce processus de vérification est un gage clair du respect de la volonté des travailleuses et des travailleurs.
Le Canada et la syndicalisation
La recherche pancanadienne effectuée en 2002 par l’auteure Susan Johnson intitulée : Card. Check or Mandatory Representation Vote? How the Type of Union Recognition Procedure Affects Union Certification Success (1) indique que l’adoption d’une procédure de vote obligatoire réduit le taux de réussite d’une requête en accréditation d’approximativement 9 %.
Par ailleurs, l’étude canadienne menée en 2002 par la professeure Karen J. Bentham et intitulée : Employer Resistance to Union Certification : A Studio of Eight Canadian Juridictions (2) révèle que l’opposition à l’accréditation prend diverses formes.
L’auteure relève les différentes ingérences et intimidations:
- 88 % des employeurs ont posé des gestes visant à restreindre l’accès du syndicat aux employés ;
- 68 % d’entre eux s’étaient adressés directement aux travailleurs pour contrer la campagne de syndicalisation ;
- 29 % ont entrepris diverses mesures de représailles et de restriction des règles d’atelier fermé ;
- 12 % ont admis ouvertement avoir eu recours à des pratiques déloyales ;
- De plus, 32 % d’entre eux avaient entraîné leurs cadres pour qu’ils puissent déceler et réagir à une campagne d’accréditation, etc.
Mises en relation, ces études permettent d’inférer que la baisse du taux de syndicalisation au Canada, au cours des dernières années, est en lien direct avec les juridictions provinciales qui ont adopté la procédure par vote obligatoire et que cette procédure de vote permet une intrusion et une intimidation accrue des employeurs dans le processus d’accréditation.
Un cas de figure illustre bien ce lien avec l’exemple de la Colombie-Britannique. Ainsi de 1978 à 1998, cette province est successivement passée d’un système basé sur l’accréditation sur carte, pour se voir imposer en 1984 l’introduction du vote obligatoire dans les dix jours du dépôt de la requête. Finalement, en 1993, le système d’accréditation sur carte était réintroduit.
C’est cette période que l’auteur Ridell a étudiée afin de déterminer l’impact de l’introduction du vote obligatoire. Ainsi, il constate que si pratiquement aucune différence significative ne peut être dénotée entre les deux périodes d’adhésion sur carte (avant 1984 et après 1992), le vote obligatoire peut être considéré comme responsable de la diminution de 19 % du taux de succès des campagnes d’accréditation dans le secteur privé subie entre 1984 et 1992. L’auteur dénote que les pratiques déloyales des employeurs ont augmenté de 160 % durant la période de vote obligatoire et que ces pratiques déloyales auraient été responsables de 25 % de la diminution du taux de succès des campagnes d’accréditation.
Le droit d’association, que cela plaise ou non à François Legault, est un droit reconnu sur le plan international par les différentes conventions et au Canada et au Québec par les chartes des droits et libertés.
Les propositions de la CAQ à cet égard sont non seulement dépassées, mais elles n’ont pas leur place sur le plan des relations de travail et dans le Québec d’aujourd’hui. Nous invitons d’ailleurs les autres formations politiques à prendre position contre elles.
(1) JOHNSON, Susan, Card. Check or Mandatory Representation Vote? How the Type of Union Recognition Procedure Affects Union Certification Success, Economic Journal, Vol. 112, pp. 344-361, 2002.
(2) BENTHAM, Karen J, Employer Resistance to Union Certification : A studio of Eight Canadian Juridictions, Queen’s University, 2002.