Les 75 ans de l'assurance-chômage

Histoire d’une mobilisation ardue

La Loi sur l’assurance-emploi célèbre sa 75e année d’existence en 2015. Cette loi a été calquée sur celle de la Grande-Bretagne et adoptée en 1940 par le gouvernement de Mackenzie King sur fond de crise économique. Une première canadienne qui résulte du pouvoir de l’action populaire et prouve la véracité du dicton « l’union fait la force ».

Durant la Grande dépression, le travail saisonnier est la cause d’un chômage endémique. Entre 1929 et 1933, le nombre de sans-emplois bondit de 105 000 à plus de 645 000. Dans la région de Montréal, on compte plus de 60 000 personnes sans travail. À cette époque, aucun programme fédéral centralisé ne compense les pertes d’emplois. Le modèle des Poor Laws britanniques (allocations pour les pauvres) façonne les politiques d’assistance publique au Canada. Au Québec, l’Église et les organismes qui gravitent autour d’elle se chargent de venir en aide aux indigents. « L’Église s’occupait de toutes les formes de pauvreté, excepté celle causée par le chômage », souligne l’historien et auteur Benoît Marsan.

Les gouvernements mettent alors en place le Secours direct, un programme temporaire visant, en principe, à fournir logement et nourriture à la population dans le besoin. Dans les faits, l’accès à cette assistance était largement réservé aux pères de famille, perçus comme des pourvoyeurs responsables de subvenir aux besoins des leurs.

Camps de travail et travaux forcés

En 1932, le gouvernement conservateur de R.B. Bennet crée des camps de travail à travers le pays. « On cherchait à éviter les soulèvements que risquaient de provoquer les chômeurs itinérants en les éloignant des villes, explique Jean Ayotte du Comité chômage de l’Est. S’ils refusaient de s’y rendre, l’aide leur était refusée. »

Plus de 20 000 chômeurs au Canada se retrouvent dans ces camps où ils sont mal logés, mal nourris, en plus d’être soumis à une discipline militaire et de ne retirer qu’un salaire dérisoire de 20 cents par jour. En 1933, un chômeur est tué par un policier lors d’une éviction de logement à Montréal. Le 4 avril 1935, plusieurs grèves se déclarent dans les camps de la Colombie-Britannique, appuyées par des dizaines d’organisations politiques et syndicales. Peu après, les actions s’intensifient ; à Vancouver, des confrontations éclatent entre les forces de l’ordre et les grévistes appuyés par la population. L’exaspération des travailleurs est à son comble.

Pour accentuer leurs revendications, les grévistes entreprennent une longue marche vers la capitale fédérale. Afin d’en accélérer le rythme, des manifestants s’accrochent à des trains qui se dirigent vers Ottawa. Le 14 juin 1935, plus de 1500 marcheurs arrivent à Régina ; d’autres contingents les suivront. Quelques jours plus tard, l’Ontario et le Québec entrent dans la ronde des grèves : à la base de Valcartier en construction, 1900 chômeurs refusent de travailler. Le 1er juillet 1935, les autorités fédérales et la GRC interviennent à Régina et déclarent illégale cette traversée pancanadienne en vertu du Code criminel. L’initiative fortement répressive provoque une émeute où l’on dénombre plusieurs personnes arrêtées, blessées et même la mort d’un manifestant.

Peu de temps après, des marcheurs se préparent à prendre la route de Montréal vers Ottawa. L’administration municipale du maire Camilien Houde compte bien tuer dans l’œuf cette manifestation et déploie quelque 800 policiers qui resteront en service pendant tout l’été ; la ville interdit également les rassemblements de plus de trois personnes et ne tolère aucun regroupement dans les parcs. À Valleyfield, 200 personnes sont arrêtées. « Peu de gens ont réussi à se rendre à Ottawa, fait remarquer Benoît Marsan, en raison de la zone de sécurité organisée autour de Montréal qui les empêchait d’en sortir. »

L’inaction des gouvernements

Entre 1936 et 1939, la crise économique continue de sévir et la mobilisation se poursuit. Pour enrayer la grogne populaire, patrons et gouvernements mettent sur pied des programmes de travaux publics : le Jardin botanique et autres parcs, des bases militaires comme celle de Valcartier et des infrastructures routières sont le résultat du labeur des chômeurs forcés de travailler dans des conditions exécrables. « Au final, ces travaux rapportaient encore moins que le Secours direct », souligne Jean Ayotte.

En cherchant à interrompre la mobilisation par la répression, le gouvernement a provoqué la révolte chez les chômeurs. Ce faisant, il a encouragé dans presque tous les camps du pays la création d’un réseau d’activistes sensibles à des idées plus radicales. À Montréal, des militants de divers horizons politiques se sont unis dans les conseils de quartier et les comités de chômeurs pour protester contre leur situation misérable par une série d’actions directes (occupations, grèves, confrontations, éducation populaire). Celles-ci s’inspiraient notamment du programme du Parti communiste du Canada et de la CCF, ancêtre de l’actuel NPD, tous deux acteurs de la lutte des sans-emplois à l’échelle du pays.

En 1940, après plusieurs années de pression, les demandes des chômeurs et du mouvement ouvrier sont entendues et le régime fédéral d’assurance-chômage est finalement créé.

Une lutte sans merci

« L’adoption de politiques sociales comme celle de l’assurance-chômage pouvait stimuler la demande de biens. L’aile gauche du Parti libéral a fait pression sur son parti pour qu’il intervienne dans ce sens », relate l’historien Jacques Rouillard.

Le régime se fait donc de plus en plus en plus généreux jusqu’en 1970. Il se métamorphose ensuite en régime d’assurance-emploi et prend un virage radical. Dès lors, la mission de stimuler l’emploi surpasse celle de payer des prestations décentes aux chômeuses et chômeurs. En 1990, l’État se retire du financement du régime qui incombera désormais aux employeurs et aux salarié-es. Il l’utilisera sans gêne pour financer ses programmes de formation de la main-d’œuvre. « L’argent de la caisse doit servir à payer des prestations, pas à financer de la formation au service des seuls intérêts du patronat, dénonce Jean Ayotte. Et c’est sans compter les 57 milliards détournés par les libéraux pour assainir les finances publiques. »

On assiste ensuite en 1994 à de sérieuses baisses de prestations et au resserrement de l’admissibilité au régime. La réforme de 2012, elle, contraint notamment les chômeuses et les chômeurs à accepter des emplois moins bien payés dans un rayon allant jusqu’à cent kilomètres de leur domicile.

Même si les dernières manifestations contre la réforme Harper sont restées lettre morte, elles permettent de garder une note d’espoir sur le sort des chômeuses et des chômeurs. Car une leçon doit être tirée des mobilisations des années 30 et de la grande marche vers Ottawa : la persistance dans la lutte porte ses fruits, même si ceux-ci peuvent être longs à cueillir.

LE RÔLE DE LA CSN

En 1928, la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), ancêtre de la CSN, vote des résolutions pour la création d’une assurance contre le chômage et introduit expressément une telle demande dans un mémoire. Par la suite, la CTCC, devenue la CSN en 1960, continue à revendiquer régulièrement l’amélioration du régime. Plus tard, au tournant des années 70, la CSN et le Conseil central de Montréal haussent le ton face aux attaques que commence à subir le régime d’assurance-chômage. Michel Chartrand se bat pour un syndicat de chômeurs et appuie la création de groupes de défense des sans-travail. La CSN a aussi fortement milité contre les restrictions et compressions de la réforme de 1994 et a multiplié les actions de protestation au sein de la Coalition contre le saccage de l’assurance-emploi lors de la réforme de 2012. En 2007, la Cour suprême avait accepté d’entendre sa cause contre le fédéral au sujet du détournement des fonds de la caisse pour réduire le déficit.

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