Plus d’une vingtaine de groupes citoyens, agricoles, environnementaux, syndicaux et de défense de la langue française ont lancé ce vendredi la campagne «Speak vert!» afin de faire valoir leur indignation face à l’Office national de l’énergie (ONÉ), cet organisme fédéral qui refuse de rendre disponible pour les citoyens francophones une traduction officielle des 30 000 pages de documents déposés en anglais seulement par TransCanada concernant le projet d’oléoduc Énergie Est.
Le projet Énergie Est touchera près de 2000 propriétaires fonciers au Québec ainsi qu’un très grand nombre de communautés.
Non-partisan, le regroupement d’organisations déploiera des actions citoyennes afin de mettre pression sur l’ONÉ pour qu’il suspende les processus en cours tant et aussi longtemps qu’une documentation finale et complète du projet Énergie Est ne sera pas disponible en français également. Par ailleurs, plusieurs plaintes au Commissariat aux langues officielles ont également été enregistrées jusqu’ici et font toujours l’objet d’un examen.
Plus tôt cette semaine, la cour fédérale avait donné raison à l’ONÉ en rejetant une demande d’injonction destinée à préserver les droits fondamentaux des francophones dans ce dossier et intentée par l’agricultrice France Lamonde et le Centre québécois du droit en environnement (CQDE).
La conférence de presse de vendredi était animée par la comédienne Lucie Laurier, nouvelle porte-parole du Mouvement Québec français.
France Lamonde, agricultrice et porte-parole de l’Association des propriétaires privés, agricoles, acéricoles et forestiers (ApPAF), a affirmé: «Sur nos fermes on vit des problèmes réels, pas virtuels. On doit comprendre quels seront les impacts et conséquences d’avoir des pipelines sur nos terrains. On veut nous en confier la responsabilité dans une langue qu’on ne comprend pas, c’est ça qui est inacceptable. La demande des francophones pour avoir accès aux documents de Énergie Est dans leur langue a été combattue en cour fédérale par l’ONÉ. Notre confiance en cette organisation est sévèrement ébranlée. L’ONÉ semble plus intéressée à travailler avec les compagnies de pipelines de Calgary qu’à comprendre la réalité des agriculteurs et propriétaires francophones qu’elle abandonne à leur sort.»
Steven Guilbeault, cofondateur et porte-parole d’Équiterre, a ajouté: «C’est inacceptable qu’une compagnie comme TransCanada ne puisse fournir des informations cruciales sur le projet Énergie Est en français, alors qu’on demande aux Québécois de se prononcer sur ce projet.»
Karine Péloffy, avocate et directrice générale du CQDE qui porte ce dossier depuis l’automne dernier, a fait valoir: «Nous respectons la décision de la cour fédérale de lundi dernier rejetant notre demande d’injonction, mais nous déplorons ses implications qui obligent les francophones à participer à un processus de consultation sur la base d’une traduction incomplète et non officielle dans des délais inéquitables par rapport aux communautés anglophones. Pour le CQDE, le dossier se poursuivra par la voie judiciaire, notamment devant le Commissaire aux langues officielles, également saisi de notre plainte.»
Maxime Laporte, avocat et président général de la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) de Montréal, a soutenu: «Avant la Révolution tranquille, les francophones se faisaient dire “Speak White!”, insulte qu’a si bellement traduite en poème Michèle Lalonde. Aujourd’hui, en 2015, c’est “Speak Oil!”. Or, il faut bien faire comprendre à l’ONÉ que le Québec n’est pas pipelineophone, qu’ici nous parlons français, tout d’abord, et que nous parlons la langue du respect de l’environnement, de nos terres et de nos ressources, dont seul le peuple est maître, cela dans le respect des droits des Premières nations. C’est pourquoi aujourd’hui, on dit à l’ONÉ et à TransCanada: Speak vert! Parlez pour qu’on vous comprenne bien; pour qu’on comprenne bien toutes les implications de vos dangereux projets.»
Patrick Bonin, porte-parole de Greenpeace, a tenu à souligner: «En plus de porter préjudice aux francophones, l’ONÉ refuse d’évaluer l’impact qu’aura le projet sur les changements climatiques alors qu’il équivaudrait à ajouter 7 millions de véhicules sur les routes du Canada. En précipitant son évaluation, en limitant la participation du public et en omettant d’évaluer la contribution aux changements climatiques, l’ONÉ se discrédite et confirme son biais favorable aux pétrolières.»
Karel Mayrand, directeur général pour le Québec de la Fondation Suzuki, a déclaré: «Il est inconcevable, en 2015, que des francophones se fassent exproprier en anglais par un organisme fédéral. Les francophones ne sont pas des citoyens de seconde classe et doivent avoir accès aux mêmes informations que les anglophones.»
Martine Chatelain, présidente de la Coalition Eau Secours, a renchéri: «Sans tracé définitif avec la difficulté supplémentaire d’avoir à traduire et comprendre les documents techniques, il devient difficile pour les groupes de citoyens de savoir où et comment les cours d’eau ou prise d’eau municipale peuvent être menacés.»
Alain Brunel, directeur climat-énergie à l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), a témoigné: «Il est désormais clair que la consultation de l’ONÉ sur Énergie Est est une royale farce bitumineuse made in HarperLand. L’ONÉ demande aux citoyens de se prononcer sur un projet qui n’est pas définitif et dont nombre d’éléments techniques sont écrits dans une langue que beaucoup ne comprennent pas. L’environnement des francophones vaut-il moins que celui des anglophones? De plus, l’ONÉ écarte explicitement de son enquête l’enjeu environnemental du siècle à savoir l’augmentation des gaz à effet de serre liée à la production des 1,1 million de barils par jour qui seraient transportés par le pipeline. Pour arriver à ses fins, le gouvernement conservateur a affaibli les lois environnementales et veut maintenant intimider les opposants au développement pétrolier effréné en les associant au terrorisme avec le projet de loi C-51. La démocratie, la liberté d’expression, la langue française et l’environnement deviennent conjointement menacés par les politiques pro-pétrole du gouvernement fédéral en place…»
Anne-Céline Guyon, porte-parole et coordonnatrice du Mouvement Stop Oléoduc, a souligné: «Comment consentir à un projet lorsque l’information disponible n’est même pas accessible dans sa propre langue? On est loin du consentement libre et éclairé devant être le prélude à toute prise de décision. Or, cela ne fait que décrédibiliser un peu plus un processus d’audience publique déjà considéré à juste titre par beaucoup de citoyens comme au mieux, une mascarade de relation publique et au pire une véritable imposture intellectuelle. Comment, dans ces conditions ne pas penser que les jeux sont déjà faits?»
Christian Simard, directeur général de Nature Québec, a indiqué: «L’ONÉ s’est vu confier un mandat d’évaluation environnementale et ne peut être simplement considéré comme un tribunal ordinaire où l’entreprise peut choisir de témoigner dans la langue de son choix. On peut difficilement imaginer un promoteur qui présenterait une étude d’impacts en anglais seulement au Québec dans la procédure d’examen public par le BAPE. La même logique devrait prévaloir à l’ONÉ. On se retrouve avec un projet bâclé, non définitif, en anglais seulement et l’ONÉ voudrait aller de l’avant comme si de rien n’était.»
Jacques Tétreault, coordonnateur général du Regroupement Vigilance hydrocarbures du Québec, a soutenu: «Le monde agricole, qui peine à conserver la pérennité de ses terres et qui risque encore une fois de voir diminuer comme peau de chagrin leur superficie cultivable, ne devrait pas avoir à subir en plus le mépris de l’ONÉ, qui ne daigne même pas fournir de la documentation dans leur langue. Ce manque de respect est choquant et doit être corrigé. Comment peut-on avoir une idée juste du projet si nous ne pouvons consulter les informations dans notre propre langue? Cela relève d’un comportement colonialiste inacceptable que de nous obliger à nous en remettre au promoteur pour obtenir les informations essentielles en français.»
Jean Léger, de la Coalition Vigilance Oléoduc (CoVO), a affirmé: «La CoVO, qui est formée de groupes environnementaux et de groupes de citoyenNEs hautement préoccupéEs par le déficit démocratique du gouvernement du Canada tant sur la question des droits linguistiques que par l’abrogation unilatérale de nombreuses articles clés de la loi sur l’environnement depuis 2012, demande le report immédiat du délai de 15 mois jusqu’à ce que l’ONÉ se conforme en tout point au respect des valeurs linguistiques québécoises.»
Floris Ensink, du Club Sierra Québec, a conclu: «Pour TransCanada, des audiences publiques posent un obstacle additionnel, mais il faut que ce soit clair que la pleine participation de toutes personnes concernées ne nuit pas au processus de consultation, cela est l’essentiel du processus.»
Les organismes qui appuient le front commun:
l’Association des propriétaires privés, agricoles, acéricoles et forestiers, l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), la Coalition Éco-étudiants contre les oléoducs, la Coalition Vigilance Oléoduc, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), le Conseil central Montréal métropolitain de la CSN, le chapitre montréalais du Conseil des Canadiens, Eau Secours! (Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau), ENvironnement JEUnesse (directeur général: Jérôme Normand), Équiterre, la fondation David Suzuki, Greenpeace Canada, Mouvement Québec français, Mouvement STOP oléoduc, Nature Québec, les Pétroliques Anonymes, le Regroupement vigilance hydrocarbures Québec, Sierra Club Québec, la Société pour la Nature et les Parcs Québec, la Société Saint-Jean Baptiste (SSJB) de Montréal, les SSJB de la Maurice et du Centre-du-Québec, la Société pour vaincre la pollution et l’Union des producteurs agricoles (UPA).