L’économie doit être au service de la société et non l’inverse. Il s’agit là du parti pris fondamental contenu dans les rapports moraux de la CSN, rédigés par Marcel Pepin dans les années 1960-1970. Retour sur une pensée toujours très actuelle.
Les rapports moraux de Marcel Pepin servaient d’ouverture au congrès de la CSN ; on parle aujourd’hui de rapports du comité exécutif. Ils étaient cependant rédigés dans un autre esprit et cherchaient à prendre un pas de recul face aux luttes quotidiennes des syndicats dans leurs milieux de travail (premier front). Le 20 octobre 1968, Pepin livre aux membres de la CSN l’un des discours les plus importants de l’histoire de la confédération et du syndicalisme au Québec. Pour accompagner ce discours, il présente un document révolutionnaire pour le monde syndical, son deuxième rapport moral intitulé Le Deuxième front dans lequel il appelle les membres à mener des luttes sociales qui vont servir l’ensemble de la société. Pour celui qui fut président de la CSN de 1965 à 1976, les travailleuses et les travailleurs doivent avoir leur mot à dire dans l’économie : c’est la démocratisation du système qui lui est si chère. Comme cela ne peut se réduire à la négociation de la convention collective, il faut ouvrir le deuxième front. « La pauvreté d’une partie de notre population s’explique dans une certaine mesure par les disparités extrêmes de revenus dans une économie abandonnée au libéralisme économique », écrit-il.
Des problèmes qui persistent aujourd’hui
Déjà, en 1966, les syndicats sont pointés du doigt lorsque l’économie s’emballe. « On nous reproche d’accentuer la hausse du coût de la vie. Ce reproche peut vraisemblablement être adressé à d’autres qu’à nous, et nous allons certainement chercher à savoir dans quelle mesure ceux qui spéculent sur les prix sont responsables de la hausse exorbitante de ces derniers », constate Pepin. Pendant cette période inflationniste, il parle de « danse des profits » et, se basant sur l’analyse de l’économiste Jean-Guy Loranger, il écrit : « Il y a eu des contrecoups terribles pour ceux qui prennent l’argent à la cuillère, mais il n’y en a pas eu pour ceux qui le ramassent à la pelle. Bien au contraire. » Pepin dénonçe ainsi l’augmentation des taux d’intérêt utilisée pour freiner l’inflation, politique de subterfuge qui n’a pas eu d’effet réel sur la hausse des prix.
Marcel Pepin est également catastrophé par la pénurie de logements à Montréal et par la gourmandise des promoteurs immobiliers qui, faisant fi des besoins de la population, ne construisent que de petits logements lucratifs. Il est évident pour lui que la spéculation et le peu de terrains dont dispose la ville afin de construire des logements abordables sont responsables du problème.
L’héritage des rapports moraux
« La lutte se poursuit sur le deuxième front encore aujourd’hui, notamment avec nos batailles pour un système de santé vraiment public, pour la protection du français, pour la santé-sécurité au travail et pour l’augmentation notable du salaire minimum », souligne pour sa part la présidente de la CSN, Caroline Senneville.
En effet, plusieurs problèmes actuels font toujours écho aux propos de Marcel Pepin, alors que la société de l’époque se trouvait elle aussi en pleine période d’inflation.
Pour éviter que le contrôle de l’argent des retraites échappe complètement aux travailleuses et aux travailleurs, Pepin suggérait notamment de confier l’argent des retraites à la Caisse de dépôt. Dans cette optique, la CSN avait mis sur pied le Service de budget familial ainsi que des comités d’action politique et une presse populaire militante. Elle a de plus développé une critique articulée des idées de la classe dominante pour s’attaquer aux problèmes qui dépassent la convention collective. Certains de ces moyens sont encore très utilisés aujourd’hui alors que d’autres n’ont pas perduré. Mais une chose est sûre : tous ont eu leur pertinence pour lutter contre la recherche de profits effrénés. « Il faut continuer à s’en inspirer tout en renouvelant nos façons de lutter pour des conditions de vie meilleure », affirme Caroline Senneville.
Car pour reprendre les mots de Pepin, « lorsque le syndicalisme tend à devenir l’équivalent d’une police d’assurance plutôt qu’un instrument de réforme totale de la société, il dépérit et les vrais militants tendent à s’en désintéresser. »