La pertinence de continuer à financer notre réseau télévisuel québécois Télé-Québec revient périodiquement sur la table. À chaque fois, la question économique et l’état des finances publiques sont au cœur du débat. Or, il faut être bien déconnecté de la réalité des médias québécois pour se limiter à une analyse aussi superficielle car rarement depuis des décennies leur situation a-t-elle été aussi fragile et précaire. Dans ce contexte, financer adéquatement Télé-Québec et lui donner les moyens de développer son plein potentiel est encore plus nécessaire que jamais.
Le rôle des médias dans une société démocratique est central. Il leur revient d’informer, de divertir et bien souvent aussi d’éduquer les populations. Sans un système médiatique fort et sain, les citoyens sont privés d’un regard important sur leur société, d’une fenêtre sur l’imaginaire collectif, d’une porte sur le monde.
Le contexte médiatique québécois, de par le fait français, de par ses particularités culturelles et historiques, de par l’étendue de son territoire, est unique en soi. En effet, pour répondre aux besoins de leur public, les médias québécois doivent produire une abondance de programmation exclusive qu’on ne retrouve pas ailleurs au Canada anglais, où les échanges de contenus avec les États-Unis sont beaucoup plus fréquents. Ces caractéristiques occasionnent des coûts importants pour la production et pour la diffusion de cette programmation particulière.
Les chaînes généralistes telles que TVA ou V ne rempliront jamais le mandat le Télé-Québec. Les médias privés sont soumis aux aléas du marché et aux dictats des cotes d’écoutes. Même si Télé-Québec n’existait plus, ces derniers n’investiraient pas davantage les champs des émissions d’affaires publiques, éducatives, pour enfants, artistiques et culturelles, ou les documentaires. Ce ne sont pas des domaines qui intéressent les marchés publicitaires, et pourtant, ils sont nécessaires pour refléter la diversité du Québec. Sans Télé-Québec, tout un pan de notre création locale et de notre identité collective cesse d’exister pour tous ceux qui autrement n’y ont pas accès.
Il faut aussi arrêter de faire un amalgame malencontreux entre Radio-Canada et Télé-Québec dont les missions et les contenus sont bien différents. Non seulement cela, mais étant donné que le Canada et le Québec font piètre figure en terme de financement de ses diffuseurs publics, à peine 29$ par habitant par année pour CBC/Radio-Canada et 7$ pour Télé-Québec, alors que la moyenne des pays de l’OCDE est à 87$, l’argument économique ne tient plus.
En considérant les compressions répétitives à Radio-Canada, l’incertitude quant à l’avenir des diffuseurs privés dans le contexte de l’évolution des technologies et de l’ouverture des frontières avec l’arrivée des Netflix, Vice et autres plateformes de ce genre, l’existence de Télé-Québec est encore plus pertinente que jamais grâce à son rôle unique et collé sur la réalité québécoise. Éliminer Télé-Québec c’est ébranler encore davantage l’univers médiatique et participer à réduire au silence des voix d’ici. C’est restreindre encore plus la diversité et la pluralité des contenus. C’est participer à l’érosion de notre tissu culturel et social.
D’ailleurs, après plus d’un an de consultations d’experts et d’intervenants du milieu et du public, de recherches et d’analyses sur l’avenir de l’information, la Commission Payette en 2011 en était arrivée aux mêmes conclusions. Le rapport recommandait alors de « doter Télé-Québec d’un mandat d’information axé sur l’information régionale et interrégionale » (parce que c’est un domaine que délaissent les médias privés) et « d’augmenter de manière substantielle le budget de Télé-Québec dès que les finances publiques le permettront ». Ce n’est pas parce que le rapport a été tabletté par le gouvernement que la réalité qu’il décrit n’existe plus.
Pascale St-Onge, secrétaire générale à la Fédération nationale des communications (CSN)