Les débats et les luttes féministes à la CSN ne datent pas d’hier. Depuis des années, des femmes s’engagent au sein du mouvement pour une réforme continuelle de la condition des travailleuses. Mais les mentalités ont parfois la vie dure et bien que des progrès s’accomplissent tous les ans, les acquis d’hier peuvent sauter à la première crise politique ou économique. Rencontre avec deux militantes au parcours fascinant qui n’ont jamais renoncé à faire entendre la voix des femmes.
Une pionnière dans son milieu
Dès ses études en électrotechnique au collège Ahuntsic, où elle est l’une des deux femmes sur un groupe de 70 personnes, Linda Boisclair s’engage pour la cause féministe et devient présidente de « Femmes regroupées en options non traditionnelles » (FRONT) qui œuvre dans la communauté. Lorsqu’elle commence à travailler chez Gaz Métro en 1992, le syndicat en place ne compte que six femmes sur 430 membres.
La militante rappelle le contexte de son embauche : des toilettes et des vestiaires pour femmes manquent à certains endroits dans l’entreprise. La taille pour hommes de leurs uniformes et de leurs chaussures crée des risques de blessures. Aujourd’hui, de telles situations problématiques n’existent pratiquement plus et Linda Boisclair n’est pas étrangère à l’amélioration des conditions de travail de son milieu. En 1996, elle contacte les autres femmes qui travaillent dans divers secteurs de l’entreprise et les convie à un souper. Son objectif vise à échanger sur leur réalité respective et à tisser des liens avec elles. « On sentait la méfiance masculine face à notre présence, comme si certains craignaient qu’on ne leur vole leur place. On s’est rendu compte qu’on vivait les mêmes choses. On a ciblé quelques revendications pour les faire valoir auprès du syndicat et de l’employeur. » Elle admet que les relations avec le comité exécutif de l’époque ne baignaient pas dans l’huile et souligne qu’aucune femme n’avait jamais siégé à l’exécutif ni fait partie des délégués.
Pour toutes ces raisons, elle et ses consœurs décident en 1995 de mettre sur pied un comité de condition féminine. Avec l’appui d’une linguiste de l’UQAM, les membres du comité contribuent à la féminisation des appellations d’emploi de la convention collective. Elles travaillent sur des enjeux comme le harcèlement psychologique et prennent une part active dans la création du réseau d’entraide qui sert non seulement aux femmes, mais à l’ensemble des employé-es. « Personne n’avait le temps ni la motivation de travailler sur ces questions. Nous les avons prises à bras-le-corps, avec l’appui indéfectible de la CSN. » Comme quoi, estime-t-elle, la vision des femmes amène une valeur ajoutée à une organisation.
Des alliés chez les hommes
L’élection du président du syndicat actuel, Michel Charron, a constitué un élément bénéfique pour les travailleuses de Gaz Métro. « Il nous a beaucoup aidées à prendre notre place tout en évitant de bousculer les membres. Il comprenait les réticences de ses compagnons et savait les faire cheminer. »
En outre, le comité de condition féminine a participé activement à la révision du programme d’accès à l’égalité dans l’entreprise qui connaissait des ratés. Aujourd’hui, 62 femmes sont embauchées par l’organisation, si on exclut les employé-es de bureau. « Je n’aurais jamais pensé voir ça. L’employeur a fait ses devoirs ! », ajoute-t-elle. Au début des années 2000, elle décide de faire le saut et se présente à l’exécutif syndical à la suite d’une démission. Elle remporte l’élection.
La création d’un poste réservé de vice-présidente à la condition féminine constitue l’une des grandes satisfactions de Linda Boisclair, qui prend sa retraite dans quelques semaines. « Je remercie mes confrères de reconnaître le caractère essentiel d’un tel poste. Ils ont vu que notre travail avait des répercussions positives pour tout le monde. Ça m’émeut beaucoup. »
À sa retraite, Linda poursuivra son engagement envers les femmes avec le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel en siégeant au conseil d’administration de CALACS et en offrant aux femmes une demi-journée par semaine de massothérapie, bénévolement. « Je veux les aider à reprendre contact avec leur corps. »
« Linda a toujours su partager sa fougue féministe, fait remarquer Véronique De Sève. La retraite ne fera pas exception à la règle et je suis certaine qu’elle poursuivra sur le même chemin. Chapeau, Linda ! »
Une intellectuelle aux barricades
Georgette Lachaîne, combattante des premières heures à la CSN, est aujourd’hui âgée de 95 ans. Issue d’une famille de cinq enfants, cette infirmière de formation n’a pas pratiqué ce métier compte tenu de sa fragile constitution. Par contre, la militante fait sa marque sur le plan des idées et des convictions en se faisant élire à la vice-présidence de la CSN, en 1962.
Lorsqu’elle apprend à lire, la jeune Georgette se découvre une passion pour cette activité qui gruge une grande partie de son temps. « Ma tante ne semblait intéressée que par les bouquins, tellement que ma grand-mère ironisait en disant que c’était une enfant plate », souligne en riant sa nièce, Louisette Lachaîne. Le personnel de la bibliothèque du quartier Verdun où réside la famille de Georgette est impressionné : « Elle prenait en note les titres de tous les livres qui apparaissaient dans les journaux et se rendait sur place pour les emprunter. Parfois même, elle informait les bibliothécaires des nouvelles publications. »
Georgette Lachaîne entame son implication militante au sein de son syndicat chez Dupuis et frères où elle travaille ; le magasin embauchait alors une grande majorité de femmes. « Mes oncles n’étaient pas très syndicalistes. Ils lui disaient souvent : “Toé pis ton maudit syndicat !” Elle se défendait et suscitait des discussions animées. Elle avait du nerf tante Georgette et elle croyait dans ce qu’elle faisait ! » En 1952, elle prend une part active à la grève menée par les quelque 1000 employé-es de Dupuis et frères, qui ne gagnent à l’époque que 30 $ par semaine. Grâce à leur lutte, elles obtiennent la semaine de travail de 40 heures, la formule Rand et des hausses de salaire hebdomadaire se situant entre 4 $ et 6 $.
L’ex-vice-présidente de la CSN s’indigne de l’exploitation des femmes au travail et se désole du sort réservé aux personnes les plus démunies. Pour ces raisons, elle donne bénévolement de son temps afin d’aider les familles à revenu modeste à établir leur budget. Une fois élue au comité exécutif de la confédération, Georgette continue à promouvoir la juste reconnaissance pour l’ensemble des femmes d’une multitude de droits : autonomie financière, éducation, encadrement du travail de nuit des femmes, parité salariale, droits pour les femmes mariées : autant de luttes qu’elle a durement et chèrement menées sur plusieurs fronts.
Bien placée pour comprendre les difficultés d’implication de ses consœurs dans différents milieux de travail et dans les syndicats, elle œuvre pour les aider à s’y tailler une place, notamment par l’entremise du comité féminin de la CSN : « Le mouvement syndical ne peut rester indifférent aux aspirations d’un groupe aussi important », écrit-elle dans un rapport de ce comité. Georgette Lachaîne luttait pour des problématiques encore bien actuelles de nos jours. En 1966, elle doit cesser ses activités militantes en raison d’ennuis de santé. Malgré une carrière écourtée, elle a contribué au débat tant sur le plan idéologique que dans l’action sur le terrain pour améliorer la situation des femmes de son époque. « Je suis fière de travailler dans le sillage de cette grande femme, qui a su démystifier les enjeux sur lesquels il était urgent de se pencher pour faire progresser la condition de toutes les femmes. Merci, Georgette Lachaîne, nous tâcherons de poursuivre votre œuvre avec toute l’ardeur que vous y avez déployée vous-même », conclut finalement Véronique De Sève, vice-présidente de la CSN.