Réplique à Alain Dubuc

Des salaires d’une autre époque

Depuis que le Front commun a déposé ses demandes, les épithètes affluent. On nous taxe d’être « d’une autre époque », « déconnectés de la réalité ». Et voilà que le chroniqueur de La Presse Alain Dubuc reproche aux 400 000 travailleuses et travailleurs des services publics québécois de sombrer dans l’inertie, l’immaturité et, gâtons-nous, la schizophrénie.

Il fallait y penser. Si on l’écrit, si on le répète, ce doit être vrai. Pouf ! Pourtant, M. Dubuc reconnaît lui-même que les salarié-es de l’État méritent un rattrapage salarial avec les autres employés québécois. L’an dernier, l’Institut de la statistique du Québec, un organisme gouvernemental indépendant, chiffrait à 8,3 % l’écart de la rémunération globale (incluant régime de retraite et autres avantages sociaux) entre les salariés du secteur public et ceux des autres secteurs de l’économie, et ce, pour des emplois comparables. Cet écart se creuse considérablement depuis plusieurs années. Alors que plus de 75 % des emplois du secteur public sont occupés par des femmes, refuser de corriger cet écart relève tout simplement de la discrimination salariale basée sur le sexe.

Le Front commun réclame ni plus ni moins que la parité salariale avec les autres travailleurs québécois. Nos demandes sont d’une autre époque? Ce sont plutôt nos salaires qui le sont. Au cours des prochaines années, 15 000 salariés des services publics prendront annuellement leur retraite. Alors que plusieurs secteurs en santé et en éducation souffrent déjà de problèmes criants de pénurie de main-d’œuvre, qui voudra encore prendre soin de nos enfants, de nos aînés et des plus démunis de notre société si les conditions de travail du secteur public ne sont pas attrayantes?

M. Dubuc nous indique que le Québec, en crise financière, n’a pas cet argent. Quelle trouvaille ! Comme si le gouvernement ne nous répétait pas la même chose à chaque période de négociation ! Depuis 1989, les employés de l’État ont perdu 10 % de leur pouvoir d’achat. À coups de décrets, de gels salariaux ou d’augmentations insuffisantes pour nous protéger contre la hausse du coût de la vie, les travailleuses et les travailleurs du secteur public ont plus d’une fois contribué à l’assainissement des finances publiques. Les sacrifices, nous les avons faits plus souvent qu’à notre tour.

Accuser le Front commun de faire semblant que la crise financière n’existe pas relève de la mauvaise foi. Tour à tour, nos organisations ont présenté leurs solutions à la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise. Non, nous ne proposons pas de nous endetter pour refiler la facture aux citoyens de demain, mais plutôt d’aborder autrement la question des finances publiques que par la seule colonne des dépenses. Faut-il rappeler qu’en vertu des diverses réformes de la fiscalité québécoise des 20 dernières années, l’État québécois se prive aujourd’hui de plus de 4 milliards de dollars annuellement, particulièrement après avoir allégé le fardeau fiscal des entreprises et des mieux nantis?

Le Québec n’a pas d’argent? Nous croyons plutôt que les gouvernements qui se sont succédé à Québec ont fait le mauvais choix de se priver de revenus. À tous les jours, des centaines de milliers de personnes vont travailler dans nos écoles, nos hôpitaux, nos centres d’hébergement, nos CLSC, nos cégeps et nos organismes publics. Leur passion? Contribuer, avec dévouement, au bien-être de l’ensemble de la population québécoise. Elles ne méritent pas qu’on dénigre le fait qu’elles réclament aujourd’hui d’être rémunérées au même titre que leurs concitoyens.

Francine Lévesque Vice-présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)

Lucie Martineau Porte-parole du Secrétariat intersyndical des services publics (SISP)

Daniel Boyer Président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)

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