La politique proposée est sous la responsabilité du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles. D’ailleurs, même si le document de présentation de la politique laisse la parole au premier ministre, au ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, à la ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation et au ministre responsable des Affaires autochtones, il ignore complètement le ministre de l’Environnement. C’est à croire que la question énergétique peut être examinée sans égard aux enjeux environnementaux.
Pour Pierre Patry, trésorier de la CSN et responsable politique des questions environnementales et du développement durable, le contexte d’urgence écologique commande qu’on agisse avec force si nous voulons infléchir le cours des choses. « En décembre dernier, à la conférence de Paris, nous avons entendu le chant des nations alors qu’elles convenaient toutes qu’il fallait maintenir le réchauffement de la planète à moins de 2 °C, voire à moins de 1,5 °C. Il est maintenant temps de définir comment ». Ainsi, pour le trésorier de la CSN, la mise en place d’une nouvelle politique énergétique est certainement une façon d’y arriver. Alors que le gouvernement a déjà pris l’engagement de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 37,5 % par rapport au niveau de 1990, et ce, d’ici 2030, et sachant que 70 % de nos émissions totales de GES découlent de la production, du transport et de notre consommation d’énergie, il est impossible de ne pas aborder la question énergétique. « Énergie et environnement sont intimement liés, que le gouvernement fasse preuve d’aveuglement volontaire n’y change rien », renchérit monsieur Patry.
Le temps d’agir concrètement
Au nombre de cinq, les objectifs ne manquent pas d’ambition. Améliorer de 15 % l’efficacité avec laquelle l’énergie est utilisée; réduire de 40 % la quantité de produits pétroliers consommés ; éliminer l’utilisation du charbon thermique ; augmenter de 25 % la production totale d’énergies renouvelables et augmenter de 50 % la production de bioénergie : voilà les cibles que le gouvernement s’est fixées, et pour lesquelles il y a peu à redire. « L’enjeu ne repose pas sur les objectifs à atteindre, ça, on y adhère », dira Mireille Pelletier, chimiste et spécialiste des questions environnementales au Service des relations du travail de la CSN. Selon elle, la question fondamentale est de savoir quels seront les moyens que le gouvernement mettra en place pour assurer l’atteinte de ces objectifs. En effet, augmenter de près de 28 % notre consommation d’énergies renouvelables et réduire de 40 % celle de produits pétroliers n’est pas une mince tâche. Au Québec, contrairement à plusieurs autres économies, 47,6 % de l’énergie utilisée provient déjà d’énergies renouvelables. De plus, 75 % de la totalité des produits pétroliers utilisés à des fins énergétiques est consommé dans le secteur des transports. À l’heure de l’auto en solo, des VUS et du just in time, la transition proposée apparaît encore plus incertaine si des actions concrètes ne sont pas mises en place.
Pourtant, c’est justement au chapitre des actions concrètes que le programme gouvernemental montre ses failles. Certes, il y a la création d’un organisme visant l’économie d’énergie et la transition énergétique, responsable de coordonner l’ensemble des services et des programmes offerts. Ce guichet unique devrait favoriser la cohérence des actions gouvernementales et un accès plus grand des citoyennes et des citoyens aux programmes gouvernementaux. Il y a aussi des projets-pilotes pour l’installation de stations multicarburants et un projet de loi pour bannir définitivement l’utilisation du charbon. La politique énergétique propose de son côté l’expansion du réseau gazier et le développement d’un réseau d’approvisionnement en gaz naturel liquéfié, ce qui devrait permettre à des entreprises de se procurer des ressources moins polluantes. Par ailleurs, même si on reconnaît l’importance de l’économie d’énergie en la hissant au rang de filière de production, bien peu de mesures sont proposées à cet égard. Pour Mireille Pelletier, il n’y a aucun doute, l’énergie la moins coûteuse est celle qu’il n’est pas nécessaire de produire. Ainsi, l’État pourrait être beaucoup plus proactif sur cette question. « Le volontariat a ses limites. Il serait temps que le gouvernement revoie la réglementation de façon à obliger la prise en compte de cette dimension, notamment lors de constructions neuves », précise-t-elle. Finalement, même si la question du transport est abordée, on s’en réfère pour l’essentiel aux annonces déjà rendues publiques, dont celle concernant le plan d’action sur l’électrification des transports. Faut-il pourtant rappeler tout le scepticisme qui entoure la capacité réelle d’atteindre ces cibles, particulièrement celle de voir plus de 100 000 véhicules électriques et hybrides rechargeables immatriculés au Québec d’ici 2020 ?
Des moyens à la mesure de la tâche
On décèle aussi à la lecture de la politique, que le gouvernement est favorable à l’exploitation des hydrocarbures en territoire québécois. La proposition d’un cadre légal pour régir ce type d’activité et les hypothèses quant à l’utilisation des redevances qui découleraient de cette exploitation laissent peu de doute sur les intentions réelles du gouvernement en la matière. Pourtant, il est de plus en plus évident que l’exploitation de cette ressource se situe en porte-à-faux avec la volonté affirmée de réduire nos émissions de GES. À coup sûr, elle retarderait notre transition énergétique qu’on affirme par ailleurs poursuivre.
Le Québec doit aussi avoir les moyens de ses ambitions. Une transition de l’envergure de celle qui nous est proposée ne peut se faire sans délier les cordons de la bourse. Et justement, le gouvernement a annoncé qu’il consacrerait 4 milliards de dollars à ce projet de transition énergétique, mais ce montant sera déboursé sur une période de 15 ans, soit une moyenne de 267 millions par année. C’est là que le bât blesse, de l’avis de Pierre Patry. « C’est vraiment peu quand on pense à l’ampleur de la tâche et notamment au passage obligé vers l’électrification des transports. C’est encore moins crédible quand le gouvernement ne peut garantir qu’il s’agira d’argent frais », souligne-t-il.
Les questions énergétiques ne sont pas détachées des questions économiques. À maintes reprises au cours de notre histoire, les ressources énergétiques ont servi de levier au développement économique. Tous le reconnaissent, notre électricité apparaît pour plusieurs un avantage comparatif indéniable qui a permis la création de plusieurs emplois de qualité. De même, plusieurs ont foi en l’énergie éolienne pour développer des régions comme la Gaspésie. Pourtant, et malgré ce constat évident, la question de l’emploi et celle de l’importance des travailleuses et des travailleurs pour opérer cette transition énergétique sont tout à fait absentes du décor ! « Le gouvernement doit voir la transition énergétique comme une occasion de développement. Un moyen de s’engager vers un développement durable », indique le trésorier de la CSN.