Les négociations dans le secteur public et parapublic voient le jour au début des années 1960. Alors que la ronde actuelle sur le renouvellement des conventions collectives est bien entamée, Le Point syndical propose un retour sur l’évolution de ces négociations toutes particulières.
Avant la Révolution tranquille, la plupart des syndicats des hôpitaux et des écoles négocient leurs conditions de manière dispersée. Comme la répression est féroce – on se rappellera ici du règne de Maurice Dupessis – des conflits de travail éclosent ici et là. En 1962 est créé le Carrefour syndical de la fonction publique, appelé à représenter quelque 135 000 salarié-es au fil du temps. Ancêtre du Front commun, ce carrefour facilite l’adoption du Code du travail en 1964.
Avant le front
Les négociations de 1966 et de 1969 ont posé les pierres d’assise des conventions collectives actuelles. C’est à ce moment que le gouvernement prend plus de place dans la négociation et se positionne comme État employeur. En santé, le droit de supplantation et des augmentations de salaire de 15 à 20 % sur deux ans sont notamment obtenus non sans une lutte importante, puisque les pourparlers durent 14 mois, avec grève générale en prime.
Naissance du Front commun et grèves générales 1970
Alors que l’État s’organise, la CSN, la FTQ et la CEQ se rencontrent à l’initiative de la CSN et mettent sur pied le Front commun, qui développe ses revendications sous fond de crise d’octobre. Devant la lenteur des négociations, le Front commun déclenche une grève générale à la fin mars, puis une autre en avril 1972. Un peu partout, des grèves spontanées éclatent pour appuyer les employé-es du secteur public. L’ampleur de la révolte est telle que le gouvernement libéral de Robert Bourassa impose une loi spéciale décrétant un retour au travail immédiat et interdit le recours temporaire à la grève. Les présidents Pepin (CSN), Laberge (FTQ) et Charbonneau (CEQ) invitent les grévistes à respecter le décret, mais le fait d’avoir défié les injonctions précédant la loi leur méritera des accusations pour outrage au tribunal. Les chefs de même que plusieurs dirigeants syndicaux feront deux séjours en prison.
Ces péripéties n’auront pas été vaines : à l’automne 1972, les syndiqué-es obtiennent notamment le salaire de 100 $ minimum par semaine (une hausse de 30 %), la création du régime de retraite de la fonction publique, des augmentations salariales et une clause d’indexation au coût de la vie. Marc Comby, archiviste de la CSN, précise toutefois : « Le Front commun de 1972 a marqué l’imaginaire, mais les gains les plus importants ne se sont pas faits lors de cette ronde. Marcel Pepin, qui était un étapiste, comprenait que tout ne pouvait pas être obtenu sur-le-champ. Il avait raison, puisque les rondes suivantes ont permis aux membres de faire des gains historiques. »
En effet, même si les syndiqué-es se sont heurtés à un lock-out et à une autre loi spéciale, les gains de la ronde de 1975-1976 ont été immenses : obtention de 165 $ par semaine, 48,84 % d’augmentation sur 4 ans, ajustements automatiques liés à l’inflation, congé de maternité sans solde de 17 semaines, un mois de vacances, assurance-salaire en cas d’invalidité… Quand même !
Des reculs et des gains
Front commun de 1981-82. Le gouvernement de René Lévesque fait subir aux syndiqué-es les contrecoups de trois lois spéciales très dures. Évoquant la crise économique majeure, il impose un recul salarial de 20 % à plusieurs titres d’emploi et décrète les conditions de travail jusqu’en décembre 1985. Une véritable douche froide après l’euphorie entourant la réélection du Parti Québécois. « Des syndiqué-es de la CSN ont déchiré leur carte de membre du parti », évoque Marc Comby.
Malgré toutes ces lois spéciales, bien d’autres gains ont été réalisés de 1980 à aujourd’hui : cinq semaines de vacances, congé de maternité payé et autres droits parentaux, programme d’accès à l’égalité pour les femmes, clause pour contrer la précarité, règlement sur l’équité salariale, reconnaissance de l’enseignement collégial et attention particulière aux bas salarié-es. « On peut dire chapeau au Front commun ! », souligne l’archiviste.
Tout le monde y gagne
Dès les années 1960, la CSN souhaitait que la négociation du secteur public serve de locomotive à l’ensemble de la société en tirant vers le haut les conditions de travail et les salaires du secteur privé. « Des gains du secteur public comme les salaires d’entrée plus élevés pour l’ensemble des gens et la bonification des droits parentaux ont servi de référence pour le marché du travail de façon générale », explique Philippe Morin, conseiller syndical au Comité de coordination des secteurs publics et parapublics de la CSN.
Cinquante ans après le premier Front commun, la CSN, la CSQ, la FTQ et l’APTS ont choisi de négocier de manière regroupée pour la ronde 2023. « Notre slogan Nous d’une seule voix se veut un clin d’œil au slogan Nous le monde ordinaire de 1972. Car même si le contexte change, l’union des forces dans le secteur public, elle, est bien enracinée », conclut François Enault, premier vice-président de la CSN et responsable de la négociation du secteur public.