Caroline Senneville
Présidente de la CSN
Déjà qu’il est difficile de convaincre nos parlementaires d’adopter des lois pour protéger nos emplois, s’il fallait qu’on laisse des compagnies se placer au-dessus de celles-ci, on n’aurait pas fini de reculer.
Le projet de loi C-18 adopté par Ottawa au printemps dernier — celui-là même que voudraient contourner Meta et Google — est le résultat d’une longue bataille menée par des syndicats CSN du secteur de l’information, souvent en étroite collaboration (oui oui !) avec leurs employeurs.
Le secteur des médias est en crise, la démonstration a été faite à maintes reprises. Au cours des 15 dernières années, les revenus médias d’information ont chuté de moitié. Alors que les géants du numérique s’attribuaient une part de plus en plus grande des revenus publicitaires, plus de 450 entreprises médiatiques ont cessé leurs activités au Canada. Aujourd’hui, plus de 80 % de l’argent dépensé en publicités numériques est accaparé par deux seules entités, soit Meta (propriétaire de Facebook et d’Instagram) et Google.
Sous l’action de la CSN et de la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC–CSN), le gouvernement canadien a adopté deux mesures-phares : le crédit d’impôt de 35 % de la masse salariale des salles de presse (imité depuis par Québec) et le projet de loi C-18, devenu la Loi sur les nouvelles en ligne.
C’est cette loi que Google et Meta ont juré de torpiller. Les deux entités ont annoncé qu’elles n’hésiteraient pas à se retirer du marché canadien plutôt que d’avoir à négocier des ententes auprès des médias d’information qui produisent les contenus journalistiques dont leurs plateformes s’abreuvent allègrement.
Le Directeur parlementaire du budget à Ottawa, Yves Giroux, estime que la Loi sur les nouvelles en lignes permettrait aux médias canadiens d’aller tirer 330 millions de revenus auprès des géants du numérique.
Pourquoi viser Facebook et Instagram en particulier demain ?
Bien que les menaces de Google soient tout aussi déplorables, elles n’ont pas été mises à exécution. Facebook, de son côté, a choisi d’écraser la pédale du bullying à fond : plus aucun contenu journalistique ne peut y être publié ou consulté, laissant le champ libre à un trop-plein d’informations qui ne riment en rien avec le réel droit à une information juste et aux responsabilités qui en découlent au sein de notre système démocratique.
Car il faut reconnaître que, bien malgré nous, les géants du numérique ont complètement chamboulé nos habitudes de « consommation » de l’information. Grands titres et courts résumés, sur les nombreux fils que survolent aujourd’hui nos cellulaires, semblent malheureusement suffire à plusieurs.
La bataille actuellement menée par les plateformes numériques de La Presse, du Devoir, du Journal de Montréal, des six quotidiens des coopératives de l’information (créées à l’initiative des syndicats CSN alors que le Groupe Capitales Médias était justement… acculé à la faillite), de nombreuses radios parlées et de Radio-Canada pour rapatrier leurs auditoires, démontre à quel point les Facebook de ce monde ont profondément transformé la façon dont nous nous informons.
Ces transformations surviennent alors que nous assistons à une politisation malsaine de certains enjeux, fortement alimentée par la droite et certaines franges de nos voisins américains. Immigration, réchauffement climatique, droits des femmes, causes LGBTQ+, lutte contre la pauvreté : autant de sujets sensibles qui méritent d’être éclairés par un travail journalistique rigoureux, chose aujourd’hui prescrite.
Au nom de ses profits et de son modèle d’affaires, la multinationale Meta annonce sans vergogne son désir d’ignorer la législation d’un État souverain.
Il y a quand même bien des limites.
C’est pourquoi demain, on boycotte Facebook et Instagram.