La transition vers une information hybride, parfois papier, parfois entièrement numérique, ne s’est pas faite sans heurts pour les médias québécois. Comme partout dans le monde, la recherche d’un modèle de revenus qui assurerait la pérennité de l’information s’est faite au rythme des mises à pied et des fermetures des salles de presse.
C’est une génération entière de nouveaux journalistes qui ont été préparés à la précarité professionnelle dès les bancs d’école. Or, la situation économique de certains médias semble enfin se stabiliser. La pandémie a eu des retombées positives dans les salles de presse et a amené un afflux de lectrices et de lecteurs, de même que de nouveaux revenus publicitaires, notamment des différents paliers gouvernementaux.
« Je suis très optimiste en ce qui concerne le futur du Devoir, j’ai l’impression que la volonté gouvernementale est là. Les gens comprennent l’importance de la liberté de la presse », explique Andréanne Bédard, présidente du syndicat de la rédaction du Devoir.
Même son de cloche du côté de La Presse, qui a amorcé quant à elle l’année 2023 avec des bénéfices évalués à 11 millions de dollars.
Le chemin a toutefois été long pour que le gouvernement agisse concrètement afin d’assurer la viabilité et l’indépendance des médias d’information, et c’est notamment la pression mise par la Fédération nationale de la culture et des communications–CSN qui a permis d’obtenir la mise en place d’un crédit d’impôt remboursable de 35 % pour la masse salariale des salles de nouvelles.
Sur le plan canadien, les travailleuses et les travailleurs du domaine de l’information devraient bientôt pouvoir compter sur l’adoption de la loi C-18 qui forcerait les Google et Facebook de ce monde à négocier des ententes d’indemnisation équitables avec les médias pour le partage de leurs contenus journalistiques, un autre gain de la FNCC–CSN.
Une réalité en demi-teinte
La situation semble plus difficile du côté de la nouvelle Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2i) qui rassemble une série de quotidiens régionaux (Le Soleil, Le Droit, Le Quotidien, La Voix de l’Est, La Tribune et Le Nouvelliste). Alors qu’ils avaient réussi à conserver l’édition papier de leurs journaux jusqu’à maintenant, ils se voient finalement forcés de transitionner totalement vers le numérique. Sur le banc des accusés, le coût toujours plus élevé de la production et de la distribution du papier. Cette transition s’accompagne de compressions d’une centaine d’emplois, soit près du tiers des effectifs de la coopérative.
À Montréal, la situation est précaire pour l’information locale, alors que la trentaine d’artisanes et d’artisans derrière le journal Métro et de ses hebdos de quartier pourraient bientôt perdre leur emploi. Métro Média attend toujours l’aide promise par l’administration Plante pour faire face à l’arrêt de la distribution des Publisac et à la perte draconienne de revenus publicitaires.
« Une vraie inquiétude règne au sein de la rédaction depuis quelque temps. On a tous conscience qu’il y a une crise dans l’industrie depuis plusieurs années, on sent que notre domaine d’emploi est précarisé », explique Zoé Magalhaes, présidente du syndicat montréalais de l’information qui représente les employé-es du Métro.
Ainsi, si la situation semble bonne dans certains grands médias, la santé financière est loin d’être au rendez-vous pour toutes et tous. Récemment, Québecor annonçait la suppression de 240 postes, dont 140 directement à TVA. De ces coupes, la majorité ne semble pas affecter les postes de journalistes, mais Pierre Karl Péladeau envisage de nouvelles compressions.
Du côté de Radio-Canada, c’est le spectre de Pierre Poilievre et du Parti conservateur qui angoisse. Ce dernier a récemment réitéré sa proposition de privatiser CBC/Radio-Canada s’il est porté au pouvoir lors des prochaines élections.
Les médias sont donc loin d’être sortis du bois et si certains font preuve d’optimisme, la majorité d’entre eux continuent de faire face aux défis que suppose la transformation en profondeur de leur modèle économique. La fin du modèle papier continue de s’imposer, mais bien futé celui ou celle qui prédira jusqu’où ira ce changement.